L’Ensta Paris célèbre en 2021 un double anniversaire : les 280 ans de ses origines et les 50 ans de la marque ENSTA. Sa directrice, Elisabeth Crépon, nous présente celle qui est aujourd’hui la plus ancienne école d’ingénieurs française.
- Découvrez le programme que l’école va proposer dans les semaines et mois à venir : https://280.ensta-paris.fr
Olivier Rollot : Comment l’Ensta Paris a-t-elle vécu, et vit encore, ces semaines de travail largement en distanciel ?
Élisabeth Crépon : Nous avons pu rapidement basculer l’ensemble de nos cours en ligne. Demain, même après la fin de l’épidémie, nous conserverons forcément un mode de travail hybride, entre présentiel et distanciel. La question est maintenant de trouver un équilibre entre les modes de travail et de formation. Qu’est-ce que sera le campus de demain ? Il y a encore tout à inventer.
O. R : Sur quelle plateforme travaillent les étudiants et professeurs de l’Ensta ?
E. C : Sur Zoom. C’est un choix de circonstances car nous avions les licences en mars 2020. Parmi nos partenaires de l’IP Paris, l’Ecole polytechnique travaille d’ailleurs également avec Zoom quand Télécom Paris est sur Blackboard. Mais au-delà de la plateforme il faut surtout évoquer l’ENT (environnement numérique de travail). Comme tout IP Paris et Paris-Saclay nous avons choisi depuis longtemps Moodle pour faire le lien avec les ressources, voire réaliser des évaluations. Dès que nous pourrons revenir plus ou moins en présentiel nous allons équiper nos salles de cours de dispositifs de diffusion à distance.
O. R : Est-il envisageable de faire passer les oraux des concours à distance ?
E. C : Nous l’avions envisagé en 2020 sans aller jusqu’au bout. Cette année cela peut être une modalité intéressante. D’autant que nous le faisons déjà pour recruter nos étudiants à l’international. Mais nous souhaitons surtout organiser des concours sur le modèle des années précédentes. Des concours qui permettent d’évaluer les compétences qui s’expriment à l’écrit aussi bien qu’à l’oral. Au sein du concours Mines-Ponts nous avons l’habitude de dire que l’écrit trie les candidats et que les oraux les classent.
O. R : Cette année l’Ensta fête des 280 ans. Ce qui en fait la plus ancienne école d’ingénieurs française. Qu’est-ce qu’il reste de l’école initiale, qui était consacrée au génie maritime ?
E. C : Elle a évidemment énormément changé mais il reste ce qui a conduit à sa création. En 1741 Henri-Louis Duhamel du Montceau crée une école capable de former des corps de métiers différents dans la construction marine, des mats aux voiles en passant par l’architecture. Il s’agit pour ses élèves d’apprendre d’abord les généralités puis de se spécialiser peu à peu. C’est en fait une école construite autour du navire et cela constitue la première approche systémique en formation. Même si aujourd’hui les questions maritimes ne représentent plus que 15% de notre formation, cette approche système irrigue tous les enseignements, dans le transport, l’énergie, le mixte énergétique comme la défense. Finalement ce qui a essentiellement changé c’est l’ouverture très large de nos enseignements dans une école aujourd’hui généraliste tout en gardant un lien très fort avec la mécanique.
O. R : L’Ensta Paris est régulièrement classée dans le top 10 des classements de la presse. Pourtant elle n’est pas aussi connue que les autres écoles de son rang. Pourquoi ?
E. C : Cela tient sans doute d’abord beaucoup à sa taille, 250 élèves par promotion, mais aussi à une dénomination finalement assez récente comparée à d’autres écoles de sa catégorie. Sous son appellation actuelle elle n’a que cinquante ans. C’est en effet en 1970 que plusieurs écoles du ministère de la Défense se sont réunies pour créer l’Ensta.
O. R : Que retire l’Ensta de sa présence au sein d’IP Paris ? Et IP Paris de l’Ensta ?
E. C : Avec IP Paris, avec l’articulation et la complémentarité des compétences de nos écoles, nous sommes un acteur incontournable des sciences et de l’ingénierie au niveau international. Dans ce cadre l’Ensta apporte l’approche système et son positionnement en ingénierie à l’intersection entre l’industrie et le numérique. Nous travaillons par exemple avec Télécom Paris sur les data et avec l’École polytechnique sur le volet mécanique. Nous apportons également notre expertise en robotique au sein du centre consacré à l’intelligence artificielle (IA) qu’est HI Paris. Nous sommes pleinement engagés dans la dynamique de recherche d’IP Paris
O. R : Quel est le pourcentage d’étudiants de l’Ensta qui poursuivent en doctorat ?
E. C : Plus de 20% (30% à l’Ecole polytechnique). Ils se spécialisent sur la large thématique qu’est la modélisation.
O. R : L’Ensta vient de lancer un diplôme très particulier qui permet aux étudiants diplômés d’une école d’ingénieurs de venir se spécialiser.
E. C : Nous proposons effectivement à un petit nombre d’ingénieurs diplômés de venir acquérir une deuxième spécialité en cybersécurité, IA, robotique, etc. Ce programme est né de notre réflexion sur l’accompagnement de l’insertion professionnelle des diplômés ; Tout particulièrement en ces moments complexes. A la fin de leur année de formation les étudiants recevront un diplôme d’établissement de l’Ensta. Nous attendons les premiers étudiants bientôt car les diplomations et les stages ont souvent été reportés jusqu’à la fin 2020.
O. R : Est-il possible de suivre son cursus en apprentissage à l’Ensta ?
E. C : Nous en sommes aujourd’hui à la troisième rentrée d’une formation 1+2, c’est-à-dire une année de formation « classique » suivie de deux années en apprentissage. Nous y accueillons aussi bien des étudiants issus de classes préparatoires qu’admis sur titre. Mais surtout des admis sur titre issus de l’université car les élèves issus de classes préparatoires ont du mal à être convaincus : ils préfèrent le statut d’étudiant alors qu’en fin de compte tous reçoivent exactement le même diplôme. Ils sont aujourd’hui en tout entre 13 et 14 et nous espérons monter à 25 par promotion.
O. R : Comment pensez-vous faire évoluer vos cursus dans les années à venir, notamment sur la question du développement durable et de la transition énergétique ?
E. C : Comme vous le savez nous signons tous les cinq ans un « contrat » avec nos ministères de tutelle pour fixer des objectifs stratégiques. 2021 est la dernière année du contrat en cours et nous réfléchissons donc au suivant. Nous voulons notamment nous appuyer sur la transition écologique et la responsabilité sociétale pour redéfinir nos priorités.
Sur les questions de développement durable, nous avons déjà travaillé avec la Fresque du Climat et organisé des conférences depuis quatre ans. Nous voulons aller plus loin en renforçant cette dynamique avec des volets spécifiques pour chaque discipline. En cybersécurité il faut évoquer la frugalité énergétique, en mécanique les cycles de vie de la batterie, etc. Nous voulons ainsi former des ingénieurs qui seront en capacité de faire évoluer demain leurs entreprises. Et à l’Ensta même notre campus a vu son label HQE renouvelé. Enfin IP Paris a obtenu 13 millions d’euros dans le cadre du Plan de relance pour le volet écologie.
O. R : Vous évoquiez également la RSE (responsabilité sociétale des entreprises).
E. C : Nous avons mis en place un module d’engagement citoyen. Dans le cadre de leur cursus les étudiants doivent proposer des actions citoyennes pour prendre conscience de ces questions. Nous sommes également en train de finaliser un plan d’égalité professionnelle femmes/hommes.
O. R : Vous êtes également présidente de la Commission des titres d’ingénieur (CTI). Où en sont les campagnes d’évaluation avec la Covid-19 ? Et comment s’est déroulée la première vague d’accréditation des bachelors pour le grade de licence ?
E. C : Nous avons pu maintenir les évaluations des vagues A et B. En revanche l’évaluation de la vague C, et des suivantes, est décalée d’un an. Pour ce qui est du grade de licence nous l’avons accordé à 17 dossiers sur 33. Ceux qui n’ont pas été retenus étaient tout simplement non conformes avec la grille que nous avions conçue qui reprend des éléments de nos propres évaluations (le référentiel R&O), de l’arrêté sur le grade de licence mais aussi des référentiels européens et en particulier d’EUR-ACE.