Le groupe GENES devient ENSAE-ENSAI : «Nous souhaitons affirmer plus clairement notre positionnement dans le paysage de l’enseignement supérieur et de la recherche»: entretien avec Catherine Gaudy, sa directrice

by Olivier Rollot

L’établissement qui réunit les écoles d’ingénieurs ENSAE Paris et ENSAI vient d’achever un repositionnement stratégique. Catherine Gaudy, directrice générale, revient sur la nouvelle identité de ce Groupe, la cohabitation des deux écoles, son lien avec l’Institut Polytechnique de Paris, ainsi que sur les enjeux de formation continue, d’intelligence artificielle et de recherche.

Catherine Gaudy

Olivier Rollot : Pourquoi avoir changé le nom du groupe GENES pour ENSAE-ENSAI ?

Catherine Gaudy : Ce changement effectif depuis juillet, vise à capitaliser sur nos deux marques fortes, ENSAE et ENSAI, bien identifiées dans le paysage académique. L’ancien sigle, « GENES », était un héritage administratif et prêtait à confusion. Ce n’est pas un bouleversement stratégique : nous décrivons désormais nos formations à travers ces marques, plutôt que de créer un nouveau cycle. Nous souhaitons affirmer plus clairement notre positionnement dans le paysage de l’enseignement supérieur et de la recherche.

O. R : Les deux écoles forment des ingénieurs statisticiens. Pourquoi ne pas les fusionner ?

C. G : Elles partagent un ADN commun – statistiques et économie – mais leurs identités sont distinctes. L’ENSAI est plus tournée vers l’informatique et la statistique appliquée, tandis que l’ENSAE s’appuie davantage sur les sciences humaines et sociales, la sociologie et la modélisation théorique. L’ENSAE est aussi la seule école d’ingénieurs délivrant le titre d’actuaire, avec une forte expertise en mathématiques financières et analyse des risques.
Par ailleurs, suite à la réforme de l’encadrement supérieur parue en août, les deux écoles forment des corps distincts de statisticiens publics : l’ENSAE prépare les administrateurs de l’Insee qui vont devenir les ingénieurs de la statistique, de l’économie et de la donnée ; l’ENSAI forme les attachés statisticiens de l’Insee.

O. R : Tous les diplômés rejoignent-ils l’Insee ?

C. G : Non, c’est désormais minoritaire. À l’ENSAE, sur 290 admissions cette année, seule une vingtaine environ est fonctionnaire. À l’ENSAI, environ 60 élèves sur 210 le sont, les autres étant ingénieurs civils.

O. R : Quels sont les principaux débouchés ?

C. G : Les diplômés de l’ENSAE se tournent surtout vers la finance, l’assurance, le conseil, ou les services d’études économiques de grandes entreprises comme EDF. Les entreprises recherchent des ingénieurs capables de modéliser les données, de distinguer corrélation et causalité. On retrouve des alumni à Radio France, Air France ou dans l’industrie. Les diplômés de l’ENSAI sont eux aussi très appréciés du secteur banque-assurance, mais également du conseil et ingénierie multi secteur et par celui des entreprises du numérique.

O. R : Quelles sont les voies d’accès les plus courantes ?

C. G : Les prépas scientifiques dominent – MP, PC, MPI –l’ENSAE et l’ENSAI recrutent aussi via la voie économiques et littéraires -BL – et dans le cas de l’ENSAE via la voie économique – ECG.  Cette année à l’ENSAE environ 80 élèves viennent des prépas scientifiques, 25 de la voie BL et une vingtaine des prépas commerce -ECG). A l’ENSAI, 95 élèves sont issus des filières scientifiques, 27 viennent de BL et 18 de D2.

Pour gérer la diversité de niveaux nous avons mis en place un « semestre de convergence » en première année. Les profils économiques ou commerciaux y renforcent leurs bases en mathématiques, tandis que les profils scientifiques suivent davantage d’économie. La deuxième année, commune, consolide les compétences fondamentales en statistiques et économie.

O. R : Quelle est la place des femmes dans vos écoles ?

C. G : Cette rentrée,   environ 25% des élèves qui ont intégré l’ENSAE sont des jeunes femmes. C’est un peu plus (environ 30%) à l’ENSAI. Les voies BL et prépa commerce apportent un peu plus de diversité, mais l’équilibre global reste comparable à celui des autres écoles d’ingénieurs.

O. R : Qu’a changé l’intégration à l’Institut Polytechnique de Paris ?

C. G : Le Groupe ENSAE-ENSAI est établissement membre de l’IP Paris au périmètre de l’ENSAE Paris. Cette appartenance nous inscrit dans une dynamique de mutualisation et de pilotage renforcé, avec des cadres communs pour la recherche et la formation. Le Grants Office, par exemple, nous aide à monter des projets européens. Notre laboratoire, le Centre de recherche en économie et statistique (UMR CREST) compte aujourd’hui neuf titulaires de bourses ERC (European Research Council), et l’alliance IP Paris–HEC a permis d’obtenir 70 millions d’euros via le programme IA-Cluster.

O. R : Quelle place occupe la formation continue ?

C. G : Elle fait partie de notre histoire et est une composante à part entière du Groupe Nous proposons diverses formations en data science, économie et finance, et venons de lancer un nouveau certificat en intelligence artificielle. C’est un marché très concurrentiel, qui demande des investissements marketing que les contraintes budgétaires rendent parfois difficiles. Malgré cela, la formation continue génère des ressources propres stables.

La Banque de France reste notre partenaire le plus fidèle. Nous accordons une grande importance à la satisfaction des participants : chaque session fait l’objet d’une enquête et d’un compte rendu détaillé.

O. R : Comment abordez-vous le tournant de l’intelligence artificielle ?

C. G : L’IA s’inscrit naturellement dans nos disciplines : statistiques, mathématiques, apprentissage automatique. Nous n’investissons pas dans l’infrastructure informatique, mais dans la modélisation. Nos enseignants-chercheurs sont reconnus internationalement ; deux ERC récentes en IA en témoignent, une « Advanced » portée par Arnak Dalalyan, mathématicien et directeur du CREST et une « Starting » portée par Anna Korba, mathématicienne à l’ENSAE-CREST.

O. R : L’IA change-t-elle vos pratiques pédagogiques ?

C. G : Pas encore de rupture. Nous réfléchissons aux usages pédagogiques et à la place de l’IA dans l’évaluation, tout en restant attentifs à la confidentialité des données. Nous privilégions des chartes d’usage plutôt que des solutions internes. L’ENSAI, via l’Université de Rennes, étudie un partenariat avec Mistral.

O. R : Quelles sont les tendances côté doctorat ?

C. G : A Palaiseau, et pour l’ENSAE Paris, le doctorat relève désormais d’IP Paris. A Rennes, l’ENSAI est habilitée à codélivrer le diplôme de doctorat dans le cadre de l’école doctorale MATISSE (Mathématiques, Télécommunication, Informatique, Signal, Systèmes Électroniques), l’une des plus importantes de la région rennaise, et a demandé la possibilité de délivrer prochainement le doctorat en économie.
Le CREST regroupe environ 80 doctorants en économie, sociologie, mathématiques et finance. Nous les préparons activement au job market international, avec entraînement à la présentation du « job paper », participation à des séminaires et accompagnement personnalisé pour les placements.

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