Grenoble EM a quitté cette année le concours Passerelle dont il était membre fondateur. Une décision que nous explique le directeur général adjoint de l’école, Jean-François Fiorina, qui revient également plus largement sur les évolutions des concours.
Olivier Rollot : C’est un vrai bouleversement dans le recrutement des écoles de management, Grenoble EM a quitté le concours d’admission sur titre Passerelle et crée son propre concours. Pourquoi avez-vous pris cette décision ?
Jean-François Fiorina : Pour nous c’est la fin d’une étape. Avec les autres écoles du concours Passerelle nous avions atteint ensemble des objectifs mais nous avions le sentiment d’être parvenus à nos limites. Le monde des concours va se transformer dans les années à venir, le concours post prépas de la BCE évolue avec la réforme du bac et des classes préparatoires ECG, la création d’un bachelor universitaire de technologie (BUT) en trois ans dans les IUT va peut-être flécher la très grande majorité des recrutements sur titre à bac+3… Autant de transformations que nous voulions gérer avec beaucoup plus de liberté.
O. R : Financièrement c’est une économie importante pour GEM ?
J-F. F : Non car de toute façon il y a des coûts de communication, promotion et marketing quel que soit le système choisi. Pour GEM, c’est un investissement supplémentaire les premières années. Le modèle économique de Passerelle basé sur la mutualisation des frais et du partage des recettes, en fonction du nombre de candidats permet un coût candidat faible. C’est une décision stratégique. Pas économique.
O. R : Que va devenir Passerelle sans son école leader qu’était GEM ?
J-F. F : Passerelle doit trouver son nouveau modèle de fonctionnement. Mais force est de constater que les stratégies des écoles deviennent de plus en plus individuelles. Les marges de manœuvre et de fonctionnement sont de plus en plus différentes selon les écoles. Il y a de moins en moins de points communs aujourd’hui entre HEC Paris et le dernier de la liste.
O. R : Qu’attendez-vous de votre nouveau concours ?
J-F. F : Nous voulons encore plus diversifier les profils des candidats. Amener à nous des étudiants qui ont commencé par des études d’anthropologie ou les Beaux-Arts c’est possible. C’est une question d’acculturation qui peut également passer par le développement de nouveaux doubles diplômes.
O. R : Pratiquement comment vont se dérouler les épreuves de votre concours ?
J-F. F : Nous demandons aux candidats de présenter un score du test d’aptitude aux études de management TAGE2 pour les admissions sur titre en 1ère année et du test d’aptitude aux études de management TAGE MAGE pour les admissions sur titre en 2ème année. Ils doivent également présenter le score d’un test d’anglais (TOEFL, IELTS ou TOEIC). Ensuite l’oral ne change pas avec la possibilité, comme nous l’avons fait cette année, pour les candidats de le passer à distance. C’est important pour des candidats qui peuvent être en stage ou à l’étranger.
O. R : Vous évoquiez la création du BUT. Sa création va-t-elle conduire à un déclin inexorable des recrutements après un bac+2 dans les écoles de Management ?
J-F. F : La question est de savoir si les étudiants vont tous ou pas poursuivre jusqu’à bac+3. Quel pourcentage se contentera d’aller jusqu’à bac+2 pour obtenir l’ancien DUT ? Pour ma part je pense que la très grande majorité finira son cursus, surtout si la troisième année fait la belle part aux séjours à l’étranger et aux stages. D’autant que cela permet aux étudiants d’intégrer une école de management en payant une année de moins. Et même aucune s’ils choisissent de suivre des cursus en apprentissage qui démarrent en première année de cycle master. Reste ceux qui ne veulent pas rater une première année de Grande école qui est celle de toutes les découvertes, associatives comme académiques. Et quid de la concurrence des universités qui vont sans doute se précipiter pour recruter ces très bons étudiants en master ?
Cela vous aussi nous impacter dans nos cursus ; faut-il les réorganiser en insistant sur les spécialités suivies par les étudiants ou au contraire en homogénéisant le niveau ? Peut-être devrons nous insister sur l’accomplissement d’un tronc commun avant d’aller sur les spécialisations ? Une réflexion qui est aussi à faire pour le déroulement des futurs concours.
O. R : Les Grande écoles, notamment de management, se voient toujours accusées de ne pas favoriser la diversité sociale. Que pensez-vous des initiatives qui sont prises ici et là pour majorer les notes des boursiers aux oraux ?
J-F. F : Nous sommes attachés à une certaine équité de traitement des candidats. Ces initiatives nous interpellent mais leur légalité reste à vérifier. Mais il faudra peut-être que nous nous alignons sur elles. Je tiens d’ailleurs à rappeler que les écoles font déjà beaucoup pour la diversité. Ici à GEM nous avons ainsi créé un concours « Postbac Diversité » qui accompagnent dès le bac des étudiants d’origine sociale modeste (d’où un taux de boursiers très élevé), ou en situation de handicap, vers notre programme Grande école. C’est ce type de dispositifs qu’il faut développer plutôt que de créer des complications qui, au final, n’apportent pas grand-chose.
O. R : Les professeurs de classes préparatoires estiment de leur côté que le principal frein à la diversité dans vos écoles est l’augmentation des frais de scolarité. N’est-on pas allé trop loin ?
J-F. F : Il est important de rappeler que l’Etat ne nous soutient pas et que nous devons créer nos propres ressources. C’est pour cela qu’il y a des frais de scolarité. Le reste du budget est financé par les entreprises, la taxe d’apprentissage ou des programmes de recherche. GEM ne reçoit aucune subvention, ni de l’Etat, ni de son actionnaire la CCI de Grenoble. Or l’accès privilégié au marché du travail que nous assurons requiert une expertise qu’il faut pouvoir financer. Créer un dispositif d’apprentissage comme nos GEM Labs ce n’est pas comme éditer une slide de plus dans un cours ! Cela permet à nos étudiants de toucher du doigt des systèmes d’information complexes.
D’autant que notre coût de formation augmente que ce soit pour le recrutement de nouveaux professeurs et d’accompagnants que pour une innovation pédagogique qui passe par le recours aux nouvelles technologies. Il nous faut donc proposer un dispositif de bourses sociales conséquent pour que personne ne soit rejeté par les écoles faute de moyens financiers suffisants.
O. R : Le recours à l’apprentissage permet à de nombreux étudiants de financer leur cursus. GEM a justement créé son propre CFA (centre de formation d’apprentis). Comment l’apprentissage doit-il évoluer selon vous aujourd’hui ?
J-F. F : La question centrale est celle du coût contrat, c’est-à-dire le montant auquel France Compétences rétribue les écoles pour chaque apprenti. Ce coût contrat doit être réévalué mais dans quelles conditions ? Aujourd’hui, notamment parce qu’elles sont aidées par l’Etat, les entreprises ne rechignent pas à mettre la main à la poche pour compenser le différentiel avec nos coûts, le feront-elles toujours demain hors les métiers en tension ? Cela risque de les conduire à mettre les écoles en concurrence.
O. R : La Cefdg (Commission d’évaluation des formations et diplômes de gestion) fait évaluer son référentiel pour mettre en avant les notions de compétences. Comment les écoles abordent-elles ce sujet ?
J-F. F : C’est un chantier dans lequel les écoles devront peser ensemble. Aujourd’hui elles possèdent de belles machines en recherche. Dans l’hôtellerie elles seraient des 4 ou es 5 étoiles. Elles n’ont donc pas envie qu’on les fasse passer dans des référentiels prévus pour des 2 ou des 3 étoiles. C’est un enjeu de souveraineté.
O. R : GEM est en pointe depuis toujours sur les questions de responsabilité sociétale et environnementale (RSE). Comment agir sur la question particulièrement épineuse des déplacements, de professeurs et d’étudiants, qui sont au cœur du projet des business schools tout en étant fortement émetteurs de carbone ?
J-F. F : Nous entamons une réflexion à ce sujet sachant qu’il ne faut surtout pas tout jeter du jour au lendemain de ce qui a fait notre modèle. C’est un chantier titanesque alors que nous nous déplaçons beaucoup d’un campus à l’autre, pour des séjours académiques, des congrès ou encore de la prospection pour faire venir des étudiants internationaux sur nos campus.
Le virtuel peut être un recours mais il demande des investissements. D’autant que beaucoup d’établissements, notamment les classes préparatoires, sont loin d’être équipés. Sans parler aussi des cours à distance. On a vu durant la pandémie les réactions des étudiants.
Quels déplacements faut-il maintenir ? Sans doute faut-il les concentrer sur des temps précis. Fondé sur les déplacements, notre modèle doit être transformé sans pour autant nous mettre en danger.