INTERNATIONAL

Après le Covid : comment vont évoluer les relations internationale ?

Le Covid a profondément impacté les relations internationales. Aujourd’hui si les États-Unis s’ouvrent de nouveau aux étudiants internationaux, la Chine ou l’Inde leur restent fermées. C’est donc toute une stratégie qu’il faut repenser pour l’envoi de ses étudiants à l’international, notamment en privilégiant les pays européens ou ses propres campus internationaux. D’autant qu’à cette question conjoncturelle s’ajoute une question structurelle : alors que le réchauffement climatique est une évidence de plus en plus patente l’enseignement supérieur doit revisiter ses pratiques en termes de déplacements. Un sacré dilemme alors que la dimension internationale est au cœur du projet de beaucoup d’écoles, notamment de management. « Nous ne souhaitons pas faire une croix sur l’expérience internationale, qui reste l’une des principales attentes de nos étudiants. La question se pose également pour savoir si des accords de cours à distance avec des universités partenaires peuvent suffire pour valider le semestre à l’étranger obligatoire dans nos écoles… Les cours ne constituent qu’une partie de cette expérience », analyse la directrice de TBS Education, Stéphanie Lerouge.

La question des visas. C’est unanimement reconnu : les autorité françaises ont été parmi les plus ouvertes du monde à l’accueil des étudiants internationaux en période de Covid. « Alors que la crise Covid et la fermeture des frontières menaçaient une attractivité qui s’effritait déjà, le MAEE et le MESRI ont très rapidement mobilisé les parties-prenantes, conférences, réseau des VPRI, Campus France, Crous etc. pour accompagner les établissements, permettre d’affiner au fil des informations disponibles, une gestion de l’accueil à flux tendus en suscitant des initiatives pour que collectivement, nous préservions la position de la France dans la course à l’attractivité », se félicite Jean-Michel Nicolle, vice-président de la Cdefi et directeur général de l’EPF.

La Cdefi n’en sollicite pas moins en ce début d’année le « soutien de l’État pour que la délivrance des visas soit accélérée et facilitée ». « Outre les retards et les difficultés liées à la quarantaine obligatoire à l’arrivée sur le territoire, les écoles relèvent également une situation inquiétante concernant les logements des étudiants internationaux qui restent insuffisants », demande Jocelyne Brendlé, présidente de la commission Internationale et développement de la Cdefi.

A distance, pourquoi pas ? C’était une option indispensable en période Covid. De nombreux établissement ont développé des cours à distance avec de grandes universités. Et maintenant ? « Si les étudiants étaient perplexes au départ, ils ont vite compris l’intérêt de suivre des cours d’une grande université américaine, même à distance. Certains étudiants considèrent même que c’est une solution qui permet d’économiser bien des coûts ou du temps de transport », assure Stéphanie Lerouge. Et cette possibilité de suivre des cours à distance rassure également les étudiants internationaux comme s’en fait l’écho le directeur général de Rennes SB, Thomas Froehlicher : « Nous constatons le retour des étudiants chinois et indiens qui savent que leurs cours leur seront délivrés qu’ils soient ou non présents en France. Nous gardons aussi l’acquis de la diversification des origines de nos étudiants étrangers constatée l’an passé. Mais il y aussi des jeunes qui préfèrent rester à distance ».

Une solution qui vaut pour les étudiants comme pour les professeurs et même les chercheurs. « Aujourd’hui on ne se dit plus : « ce n’est pas la peine de faire quoi que ce soit si on ne peut pas se déplacer ». Aujourd’hui on organise des ateliers virtuels, assure Christopher Cripps, le directeur du développement des relations internationales de Sorbonne Université. Bien sûr c’est moins intéressant et beaucoup moins efficace pour le réseautage mais cela permet également à plus de collègues de s’investir. Hier seuls les douze qui pouvaient voyager étaient concernés, aujourd’hui d’autres peuvent également participer ».

International at home. L’émergence de concepts comme l’« international at home » vise à satisfaire les compétences produites habituellement par une expérience internationale.  En 2020 et 2021, l’EPF a ainsi renforcé certains partenariats avec des universités étrangères pour associer ses étudiants dans la réalisation de projets communs de dimension internationale avec des interactions exclusivement en langue anglaise et à distance établit Jean-Michel Nicolle : « Nous avons ainsi réussi à adresser les compétences visées sans dégrader nos exigences. L’ensemble de nos actions ont porté sur la sécurisation des « learning outcomes », les compétences attendues ».

Un mouvement rendu possible par l’émergence nouvelles technologies que la crise du Covid a boosté. Aujourd’hui ce sont ainsi 75% des dirigeants de business schools dans le monde qui déclarent que leur école utilise des classes virtuelles – soit une augmentation par rapport à 51% fin 2020 -, selon le rapport AMBA & BGA Education Technology que vient de publier Amba en association avec Barco.

Source : Rapport AMBA & BGA Education Technology 2021

L’Edhec vient ainsi de créer une salle d’enseignement à distance très sophistiquée à Singapour qui va permettre à ses enseignants-chercheurs de délivrer à des étudiants du monde entier des cours sur les infrastructures et la finance, domaines de recherche très pointus que l’école développe là-bas. « Le virtuel peut être un recours mais il demande des investissements. D’autant que beaucoup d’établissements, notamment les classes préparatoires, sont loin d’être équipés. Sans parler aussi des cours à distance. On a vu durant la pandémie les réactions des étudiants », s’inquiète Jean-François Fiorina.

Mais pas question de voyager pour suivre ensuite les cours à distance insiste Jocelyne Brendlé : « Les écoles constatent un véritable engouement des étudiants français à réaliser une mobilité mais ils ne souhaitent pas suivre de cours à distance et s’orientent donc vers des destinations qui leur assurent des cours en présentiel ».

Avoir ses propres campus permet de mieux gérer ses flux d’étudiants à l’international constate Stéphanie Lerouge : « Comme toutes les écoles, nous avons dû gérer les mécontentements de nos étudiants qui n’ont pu partir à l’international – sinon sur nos campus de Barcelone et Casablanca. Finalement, un nombre important de nos étudiants ont pu partir ». Même analyse du côté de l’EM Normandie dont le directeur, Elian Pilvin, met en valeur le développement des campus de l’école en Europe, à Oxford et Dublin, pour garantir toujours l’expérience internationale de ses étudiants : « Nous faisons évoluer nos maquettes pédagogiques pour que tous nos étudiants puissent partir à l’étranger pendant leur cursus. Avoir cinq campus dans trois pays c’est avoir la faculté d’y affecter nos propres étudiants quand beaucoup d’universités partenaires ferment leurs portes et quand les gouvernements ferment leurs frontières hors d’Europe ».

Multi-campus, aucune école ne l’est autant que Skema rappelle sa directrice générale, Alice Guilhon : « Dès le début de l’école notre stratégie est toujours de créer une marque globale sur le modèle des grandes entreprises internationales. Une multinationale de l’éducation haut de gamme, possédant les meilleures accréditations, excellente en recherche, en ajoutant petit à petit des étages à la fusée ».

Devenir locale. Le modèle de Skema a évolué et évolue encore avec le Covid rappelle encore Alice Guilhon : « Quand nous sommes allés nous installer en Chine il s’agissait pour nous de donner à nos étudiants une véritable éducation globale de qualité, leur offrir le monde entier en apprentissage. Nous y avons fait d’importants investissements avec beaucoup de personnels et beaucoup d’étudiants. Mais au début il ne s’agissait pas d’aller former des Chinois en Chine alors qu’aujourd’hui nous proposons un master avec l’université Jiao Tong de Shanghai et une joint school avec Nankin ».

Cette stratégie de formation des étudiants locaux a tout de suite été celle des Ecoles Centrale. Que ce soit à Pékin, Hyderabad (Inde) ou Casablanca, les Ecoles Centrale ont implantéà l’international des formations d’ingénieur généralistes qui n’y existaient pas. Début 2000 c’est ainsi que les autorités chinoises se sont intéressées à son modèle de formation et ont voulu le tester. « Dans chaque pays nous nous adaptons aux spécificités locales. Au Maroc notre objectif est ainsi de recevoir 30% d’étudiants issus de pays subsahariens dans lesquels les entreprises marocaines veulent s’implanter. En Inde nous avons finalement préféré ouvrir un bachelor en quatre ans qu’une école d’ingénieurs car, de toute façon, les meilleurs étudiants indiens partent aux États-Unis pour effectuer leur master. Et le succès est là avec 450 étudiants dans chaque promotion », commente Philippe Dufourcq, le directeur général adjoint de CentraleSupélec.

S’appuyer sur des acteurs locaux. Centrale Pékin est née d’un partenariat entre l’Université de Beihang (l’Université d’aéronautique et d’astronautique de Pékin) quand en Inde son partenaire est une entreprise privée, Mahindra. Enfin Centrale Casablanca est le fruit d’un accord inter Etats entre la France et le Maroc. « A chaque fois il faut réinventer le modèle, ce que des universités même expérimentales auraient du mal à faire, et il faut pour cela toute l’agilité qu’a le Groupe des Écoles Centrale », reprend Philippe Dufourcq.

Autre exemple : celui de l’École internationale de droit / Sorbonne-Assas International Law School qui a été créée en 2011 et a ouvert en 2012. Comme le rappelle son fondateur, Stéphane Braconnier, « elle est le fruit de la rencontre de deux idées. Celle du gouvernement de Singapour qui était à la recherche d’une université continentale non anglo-saxonne pour enseigner le droit civil, et pas seulement le droit anglo-saxon comme jusque-là ». Aujourd’hui l’école reçoit là-bas des étudiants du monde entier qui viennent surtout apprendre le droit international des affaires pour commercer avec l’Europe : « Il y a une vraie appétence des milieux d’affaires pour l’apprentissage de modèles juridiques différents, notamment le modèle civiliste ».

Mieux gérer les déplacements internationaux. Au-delà du Covid une prise de conscience planétaire des enjeux environnementaux nés des déplacements d’étudiants, professeurs et chercheurs voit le jour. « Notre plan stratégique « Impact Future Generations » a fait du développement durable l’un des axes prioritaires du développement de l’EDHEC. Il nous faudra désormais adapter nos modes de vie et le fonctionnement de nos institutions : limiter et encadrer nos déplacements à l’international est par exemple une piste de réflexion », remarque le directeur général de l’école, Emmanuel Métais.

Source : Rapport AMBA & BGA Education Technology 2021

Comme lui Jean-François Fiorina, directeur général adjoint de Grenoble EM, s’interroge : « Nous entamons une réflexion sachant qu’il ne faut surtout pas tout jeter du jour au lendemain de ce qui a fait notre modèle. C’est un chantier titanesque alors que nous nous déplaçons beaucoup d’un campus à l’autre, pour des séjours académiques, des congrès ou encore de la prospection pour faire venir des étudiants internationaux sur nos campus ».

Alors quels déplacements faut-il maintenir s’interroge Jean-François Fiorina :« Sans doute faut-il les concentrer sur des temps précis. Fondé sur les déplacements, notre modèle doit être transformé sans pour autant nous mettre en danger ».

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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