2015 promet d’être une année charnière pour l’enseignement supérieur et singulièrement les universités : incertitudes sur leur financement, mise en place des Comue (communautés d’universités et d’établissements), baisse de la taxe d’apprentissage versée aux établissements, tensions sur les emplois, les dossiers sont multiples. Président de la Conférence des présidents d’université (CPU), Jean-Loup Salzmann est aujourd’hui sur tous les fronts (entretien réalisé le 12 février).
Olivier Rollot : La Cour des Comptes a récemment dressé un tableau financier plutôt positif des finances des établissements d’enseignement supérieur et le gouvernement semble décidé à piocher dans les « fonds de roulement » des universités qui en possèdent pour financer les autres. Comment analysez-vous la situation ?
Jean-Loup Salzmann : La Cour des Comptes se trompe sur ce qu’est un fonds de roulement disponible comme hier elle se trompait sur les emplois vacants à l’université et aujourd’hui sur le contrôle des boursiers. Elle est coutumière de ces approximations et fait de plus en plus de la politique plutôt que des additions. Une simple règle de trois permet de comprendre que les fonds de roulement dont disposent, au global, les universités ne représentent qu’un mois et demi de fonctionnement. Il suffit donc que l’État soit en retard d’un mois et demi dans ses versements pour que nous soyons en risque de cessation de paiement. Il faut retirer de ces fonds les 30 à 35 jours nécessaires pour garantir les « ratios prudentiels » mais aussi notamment les sommes versées par l’État pour réaliser des constructions ainsi que les contrats de recherche pas encore engagés. Au total il ne reste presque rien.
Je comprends que les règles de bonne gestion imposent que nos établissements soient à l’équilibre et ne disposent pas de « bas de laine » mais la plupart des universités sont dans ce cas de figure. Le problème est qu’aujourd’hui le ministère du budget a sous calibré notre budget 2015 de 100 millions d’euros en pensant que la différence pouvait être comblée par ces fonds de roulement. Le ministère de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche est aujourd’hui bien désemparé pour mettre cette injonction du ministère du Budget en pratique : c’est déjà compliqué de connaître le montant des fonds de roulement disponibles dans une université mais, sur 400 établissements, c’est mission impossible.
O. R : Nous sommes le 12 février et vous ne connaissez toujours par le budget 2015 des universités !
J-L. S : Toujours pas. On nous demande de répondre à toujours plus de défis comme l’accueil des plus défavorisés, l’ascension sociale, le décrochage, une insertion de qualité, une recherche menée de concert avec les entreprises… sans compter toutes les dépenses imprévues liées notamment à la mise en sécurité de nos établissements comme celles que nous avons dû engager après les attentats du 7 janvier. Mais on ne nous en donne pas les moyens.
O. R : Ce retard n’est pas une première. C’est déjà arrivé d’autres années que vous deviez attendre longtemps avant de connaître votre budget.
J-L. S : Ce n’est pas une première fois que nous attendons mais c’est la première fois que ne savons vraiment pas ce qu’il y aura au final. On nous a promis beaucoup d’avancées sur l’emploi, le GVT [glissement vieillesse technicité] ou la compensation des bourses mais il manque bien 100 millions d’euros et on s’attend au pire ! Dans mon université j’ai déjà dû annoncer que la campagne d’emploi se ferait en deux fois.
O. R : Et pendant de temps, comme vous le dites, on en demande toujours plus aux universités.
J-L. S : Nous pouvons mener de grandes choses mais il nous faut des moyens et de la liberté. Sinon pourquoi avoir donné leur autonomie aux universités ? On nous demande par exemple de créer la « grande école du numérique sur tout le territoire » pour aider les décrocheurs à se former à l’informatique et à trouver un emploi, mais avec quels moyens ?
O. R : La jeunesse reste une priorité nationale constamment réaffirmée…
J-L. S : Qu’est-ce que ce serait si ce n’était pas une priorité ! Nous accueillons 2% d’étudiants de plus par an, soit 35 000, mais nos moyens sont bloqués depuis quatre ans. Nous avons atteint les limites du système. Le système de répartition de nos ressources, Sympa, est bloqué depuis quatre ans et celui qui devrait le remplacer, Modal, est un cautère sur une jambe de bois. Qui peut penser une seconde qu’en créant un nouveau système de répartition, sans mettre un centime de plus, on puisse changer quelques chose ? Comment débloquer un système de répartition des moyens sans argent en plus ni volonté politique de prendre aux uns pour donner aux autres ? Il n’y a pas aujourd’hui la capacité politique nécessaire or il devient chaque année de plus en plus vital de mettre de l’argent dans le système. Le système Modal n’est sans doute pas près de voir le jour.
O. R : Créées l’année dernière les Comue vont vraiment « entrer en service » à partir de cette année. Comment se déroule leur mise en place ?
J-L. S : Elle est progressive et cela se passe bien ! Je dirais même que je ne pensais pas que cela se passerait aussi bien lors du vote de la loi de juillet 2013 sur les universités. Bien sûr il y a quelques tensions, des problèmes de statut, quelques grandes écoles qui ne se sentent pas assez considérées, mais tout se résout et je suis résolument optimiste.
O. R : Récemment le Sénat a adopté un amendement qui semblait donner un « droit de regard » aux régions sur les formations dispensées sur leur territoire. Vous n’avez pas le sentiment qu’il existe dans les régions une tentation de régenter les établissements d’enseignement supérieur ?
J-L. S : Cet amendement a été rapidement rejeté par l’Assemblée. Il peut y avoir de ci de là, dans certaines régions, des tentations de s’immiscer dans les questions de formation ou de politique de recherche nous restons donc vigilants.
O. R : Dans le même temps le poids des universités, notamment quand elles se sont réunies, est de plus en plus important.
J-L. S : Cela se voit à Strasbourg, Aix-Marseille, Bordeaux, qui se sont toutes ou en grande partie réunies dans une seule université, mais aussi dans des universités qui sont restées dans le même statut comme en Bourgogne. Là on voit le poids considérable des financements municipaux ou régionaux et le poids de plus en plus important de l’université dans la structuration urbaine.
O. R : Une autre question qui concerne les régions, qui financent les dispositifs. De concert avec la Conférence des Grandes écoles vous venez de publier un communiqué demandant à que l’apprentissage dans l’enseignement supérieur soit préservé. Il y a un recul sur ce point ?
J-L. S : C’est un vrai problème depuis trois quatre ans car la plupart des régions – hors Ile-de-France – privilégient dans leurs politiques de financement de l’apprentissage de plus en plus ceux qui ont le plus de mal à trouver un emploi, qui sont souvent les moins qualifiés. Les élus partent d’un syllogisme selon lequel, les moins qualifiés ne trouvant pas d’emploi il faudrait favoriser leur accès au meilleur moyen d’en trouver un qu’est l’apprentissage.
Mais le vrai problème c’est leur niveau de qualification ! Il faut au contraire augmenter les moyens donnés à l’apprentissage dans l’enseignement supérieur où on voit bien que les taux d’embauche augmentent et les taux de rupture de contrat baissent. Soutenir l’apprentissage dans le supérieur, c’est revaloriser toute la chaîne de formation: tirer vers le haut au lieu de niveler vers le bas.
O. R : Vous avez engagé un travail de refonte des statuts de la CPU. Où en êtes-vous ?
J-L. S : Nous avons constitué un groupe technique de révision des statuts présidé par le président de l’université de Nîmes et président de la commission juridique de la CPU, Emmanuel Roux. Nous voulons évoluer vers une plus grande démocratie interne et moderniser le fonctionnement de la CPU.