Pour les grandes écoles la nouvelle frontière c’est bien l’international ! Président de la commission internationale de la Conférence des Grandes écoles (CGE) et directeur de Télécom ParisTech, Yves Poilane revient sur ses enjeux.
Olivier Rollot (@O_Rollot) : Aujourd’hui toutes les grandes écoles travaillent avec des universités étrangères mais le nec plus ultra n’est-ce pas d’installer son propre campus à l’étranger ?
Yves Poilane : Il faudrait d’abord définir ce qu’est un campus à l’étranger. Certains parlent de campus quand il s’agit plutôt de bureaux ou représentations ! Ensuite beaucoup dépend du statut de l’établissement et de son taux de subvention par l’État. Certains établissements publics, dont la subvention représente classiquement 70-80% du budget, s’implantent à l’étranger, en appui d’une politique internationale de la France, plus que dans une dynamique propre ! Le danger est que ministère des Affaires étrangères les considère alors comme des outils de sa politique sans leur donner le budget nécessaire au développement de leurs activités à l’étranger. Pour un établissement faiblement subventionné, et a fortiori privé, le développement international est plus nécessairement soumis à la dure loi de l’équilibre économique et ce, dans la durée. Les rationalités peuvent donc différer suivant les statuts d’établissements..
Parce qu’elles sont professionnalisantes et tournées vers l’entreprise, nos écoles pensent le plus souvent le développement international en appui de l’internationalisation des entreprises françaises. Encore faut-il trouver, là aussi, le business model du développement international et je ne crois pas trop à la pérennité des financements publics français sur des projets structurants à l’international. Nous avons été très vigilants sur ce point au sein de ParisTech en nous implantant en Chine avec l’université Jiao Tong (dans le cadre de l’école « ParisTech Shanghai Jiao-Tong) sans soutien particulier du gouvernement français. Là-bas c’est le gouvernement et les étudiants chinois qui financent principalement notre Joint Venture, et chaque établissement de ParisTech partenaire du projet [École polytechnique, ENSTA ParisTech, Mines ParisTech et Télécom ParisTech] contribue en plus à hauteur de 50 000€ par an seulement. Dans le même esprit, CentraleSupélec a choisi de s’implanter en Inde avec le concours d’un partenaire industriel, Mahindra.
O. R : A Shanghai votre implantation est réservée aux étudiants chinois ou les Français peuvent également s’y rendre ?
Y. P : Pour le moment il n’y a que des Chinois mais, en 2016, quand les premiers étudiants chinois seront arrivés au même stade de leur cursus que leurs homologues français, ces derniers pourront les rejoindre à Shanghai. Ils vivront alors une expérience en Chine dans un environnement qui les placera moins en rupture qu’en allant dans une université chinoise puisque les cours y sont dispensés en français mais par des professeurs essentiellement chinois. Une expatriation et un dépaysement sans se retrouver pour autant livrés à eux-mêmes !
O. R : Aujourd’hui de plus en plus de grandes écoles d’ingénieurs, et toutes les grandes écoles de management, rendent obligatoires un séjour à l’étranger. Cela correspond également aux souhaits des étudiants ?
Y. P : Dans les écoles d’ingénieurs on est encore loin du séjour obligatoire et il ne le sera par exemple à Télécom ParisTech qu’à la rentrée prochaine. La Commission des titres d’ingénieur ne l’impose d’ailleurs pas, même si elle considère qu’au-delà de 60% d’étudiants qui partent en séjour à l’étranger l’école est dans la bonne voie et qu’en deçà de 40% c’est insuffisant. Aujourd’hui l’international fait partie de la politique de l’établissement et contribue à son projet pédagogique : on doit avoir côtoyé d’autres nationalités au cours de sa formation pour bien travailler ensuite en entreprise ! Les étudiants sont d’ailleurs demandeurs, car ils sentent bien les attentes des entreprises, leurs futurs recruteurs !
O. R : La question c’est dans quel pays ? On imagine que les États-Unis ou la Grande-Bretagne sont très demandés. Comment faites-vous pour sélectionner les candidats ?
Y. P : Pour les pays anglo-saxons, la sélection se fait essentiellement par le prix. Les États-Unis ou la Grande-Bretagne accueillent volontiers nos étudiants mais sans tarif préférentiel pour autant. Une année à Columbia coûte, par exemple, entre 40 000 et 60 000€ et, même si nous distribuons des bourses cela ne peut couvrir qu’une petite partie de ces fees ! Certains peuvent trouver sur place des « assistantships » – la correction de copies rémunérée par exemple – qui réduisent les frais de scolarité, mais c’est au cas par cas et cela se décide sur place. Heureusement dans la plupart des autres pays, européens, latino-américains ou asiatiques, les accords d’échanges prévoient la dispense des droits de scolarité et sont donc tout à fait accessibles à tous les étudiants, quels que soient leurs moyens financiers. Tout ceci pour des expériences humaines probablement même plus formatrices qu’un séjour en Grande Bretagne ou aux USA. Télécom ParisTech a ainsi des accords avec plus de 100 établissements dans le monde.
O. R : Quel est le pourcentage moyen d’étudiants étrangers dans les grandes écoles et, plus spécifiquement, à Télécom ParisTech ?
Y. P : 20% en moyenne mais 42% dans notre école, qui a toujours été particulièrement internationale, avec sa consœur Télécom Bretagne, historiquement pour accompagner le développement des télécoms français à l’international. En doctorat ce sont même les deux tiers des effectifs qui viennent de l’étranger. Sur le programme Grande école, un tiers de nos étudiants étrangers vient historiquement des pays francophones d’Afrique et du Liban, un autre tiers sont des Européens et le dernier tiers vient des pays émergents et tout particulièrement de Chine, du Brésil et du Vietnam. L’école Eurecom de Sophia Antipolis, où nous envoyons environ 20% de nos étudiants, et dont les enseignements sont dispensés totalement en Anglais, contribue significativement à nous amener des étudiants européens. Parmi tous ces étudiants certains viennent deux années entières pour obtenir un double diplôme et d’autres pour une année seulement.
ParisTech nous aide enfin beaucoup à recruter dans les pays émergents (recrutement coordonné en Chine, Brésil, Russie et Colombie). Demain notre participation à l’université Paris Saclay [déjà membre de la Comue, Télécom ParisTech rejoindra le campus de Palaiseau en 2019] nous permettra de nous présenter unis et de promouvoir nos marques sur un marché international très concurrentiel. Le problème ce n’est pas d’attirer des étudiants étrangers mais d’attirer les meilleurs !
O. R : Et comment fait-on justement pour attirer les meilleurs étudiants étrangers ?
Y. P : C’est d’abord une question de qualité des cursus et de notoriété de la marque. Ce qu’on vient chercher dans un établissement c’est un diplôme qu’on ne possède pas encore d’une institution reconnue. Ensuite, il faut savoir accueillir ces étudiants. Le projet de loi en cours d’examen sur le « droit des étrangers » nous paraît tout à fait positif puisqu’il va simplifier l’obtention des permis de séjour et de travail pour les étudiants puis les diplômés étrangers. De la même façon des guichets préfecture ont été créés pour aider les étudiants dans leurs démarches administratives, comme, par exemple, au sein de l’École polytechnique qui deviendra bientôt celui de tout Paris Saclay. Il faut aussi pouvoir proposer des bourses et on attend pour cela le soutien de mécènes dans les entreprises et des alumni.
O. R : Une question qui en fâche plus d’uns : les étudiants étrangers doivent-ils payer les même frais de scolarité que les Français ?
Y. P : Je considère qu’on ne doit pas faire payer les mêmes droits à un Français dont les parents payent des impôts en France et à un étranger hors Union européenne (sauf accords particuliers). De plus nous sommes sur un marché où il faut avoir un prix pour avoir de la valeur et afficher des tarifs trop bas ce n’est pas se rendre crédibles. Mais il faut aussi pouvoir donner des bourses d’excellence à des étudiants méritants. A Télécom ParisTech mes étudiants européens payent 2300€ de droits par an quand les autres en déboursent 4300€. Cela reste plus qu’abordable surtout si on considère que le coût réel de la formation est de 17 000€/an environ.
O. R : On vous rétorquera qu’attirer le maximum d’étudiants en France contribue à notre notoriété internationale et qu’une étude campus France démontre qu’ils rapportent net 1,7 milliard à la France chaque année (plus de détails sur ce rapport sur Challenges).
Y. P : Les étudiants étrangers rapportent, in fine, à l’économie française ? soit ! que l’État nous renvoie une partie de ce milliard que leur présence apporte ! Faute de quoi, je préfère un système simple où « l’usager » de nos formations est le payeur.
O. R : Dans un autre rapport, l’organisme France Stratégie, qui est également favorable à une hausse significative des frais de scolarité pour les étudiants étrangers, considère néanmoins qu’elle ferait diminuer leur nombre de moitié. Vous ne craignez pas qu’une augmentation des frais nuise finalement à l’internationalisation de nos écoles ?
Y. P : Dans des formations professionnelles comme les nôtres, dont plus de 90% des diplômés ont un emploi au plus tard six mois après leur sortie, qui gagnent souvent plus de 40 000€ par an – et même 43 000€ par an à la sortie de Télécom ParisTech – la question se pose-t-elle vraiment ? Les étudiants le savent et je suis persuadé que, sous réserve d’une politique de bourses d’excellence adaptée, la hausse des droits ne réduira pas les flux dans nos établissements fortement professionnalisants et où les salaires d’embauche sont élevés. Ceci pourrait ne pas être vrai dans l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur….