Sous tutelle du ministère des Armées sans être une école militaire l’Ensta Bretagne s’attache depuis à création à former des ingénieurs au service de l’industrie navale mais pas uniquement. Depuis 20 ans elle a également énormément développé sa recherche. Son directeur, Bruno Gruselle, nous trace le portrait d’une école de pointe dans son domaine.
Olivier Rollot : Qu’est ce qui selon vous caractérise le plus l’ENSTA Bretagne ?
Bruno Gruselle : L’ENSTA Bretagne est une école sous tutelle du ministère des Armées créée il y a un peu plus de 200 ans (en 1819) d’abord comme une école technique de la Marine. Juste avant la Seconde Guerre mondiale elle devient une école d’ingénieurs et rassemble toutes ses composantes à Brest en 1971, d’abord pour former des ingénieurs militaires puis, depuis le début des années 90, des ingénieurs civils. Dans les années 2000 nous avons également entrepris de faire de la recherche et avons créé un centre de recherche pluridisciplinaire de taille significative.
Chaque année nous diplômons 250 élèves ingénieurs, que nous recrutons essentiellement dans les classes préparatoires scientifiques, et des alternants issus des IUT. Nous proposons également 16 masters et mastères spécialisés. Le tout avec des spécialités très liées à notre histoire en sonars, propulsion, traitement du signal, hydrographie, architecture navale, etc. dont certains sont uniques comme la robotique sous-marine ou la pyrotechnie.
En résumé nous sommes une école très liée au monde de l’innovation technologique, en particulier de défense, sans être une école militaire. Cela induit depuis l’origine une grande pluridisciplinarité, qui s’accompagne d’une spécialisation marine très marquée, la plus étendue de France, particulièrement légitime étant donné les multiples acteurs du domaine rassemblés à Brest.
O. R : Aujourd’hui les écoles travaillent de plus en plus en réseau. Quels sont les rapports de l’ENSTA avec sa consœur, l’ENSTA Paris ? Et où en est le rapprochement envisagé un temps avec l’IMT Atlantique ?
B. G : L’ENSTA Paris est comme l’ENSTA Bretagne, comme l’ISAE SupAero et l’Ecole polytechnique, sous tutelle du ministère des Armées. Nous sommes dans la même démarche intellectuelle. Avec l’ENSTA Paris nous avons par exemple travaillé ensemble au changement de notre statut pour devenir toutes les deux des EPSCP (établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel) en 2021.
Avec IMT Atlantique nous avançons sur des sujets structurants dont la création d’une école doctorale commune. Elle serait consacrée aussi bien à des sujets de sciences mécaniques, technologies numériques qu’aux sciences humaines et sociales et recevrait 300 doctorants au service de l’industrie. Nous la présenterons au Hcéres (Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur) à la fin de l’année pour être accrédités en 2021.
Nous travaillons également avec d’autres établissements. Avec l’ENSM (Ecole nationale supérieure maritime), l’Ecole navale et IMT Atlantique nous avons par exemple créé un mastère spécialisé Cybersécurité des systèmes maritimes et portuaires qui est unique en Europe. Nous avons également vocation à travailler avec des universités avec lesquelles nous partageons la tutelle de laboratoires.
En résumé notre relation avec IMT Atlantique est forte mais pas exclusive. Nous menons une stratégie de remise à plat de nos collaborations pour ne pas être isolés sans entrer dans une logique de fusion. L’Institut polytechnique de Paris, dont font partie l’Ecole polytechnique et l’ENSTA Paris, est en cela un modèle pour nous : les écoles peuvent y travailler ensemble tout en conservant leur identité.
O. R : L’ENSTA Bretagne est devenue une école d’application de l’Ecole polytechnique cette année. Cela doit être une vraie satisfaction ?
B. G : Nous en sommes effectivement très honorés. Nous proposons par exemple la seule formation en France qui forme des ingénieurs à cartographier les fonds marins. L’économie maritime est en plein développement et intéresse plus en plus les élèves de l’Ecole polytechnique. L’un d’entre eux nous a d’ailleurs rejoint cette année pour suivre ce parcours en hydrographie alors qu’un autre suit nos cours sur la physique des ondes de choc (pyrotechnie).
O. R : Vous l’évoquiez, depuis les années 2000 l’ENSTA Bretagne s’est lancée dans la recherche. Quel bilan en tirez-vous aujourd’hui ?
B. G : L’ENSTA comptait deux chercheurs avant les années 2000, ils sont 100 aujourd’hui dans trois départements : en sciences mécaniques (UMR IRDL), les sciences et technologies de l’information et de la communication (UMR Lab-STICC) et les sciences humaines et sociales (UR FoAP). Un vrai succès puisque nous en retirons 8 millions d’euros de ressources sur les 25 millions d’euros de notre budget. Nous recevons même la première chaire de l’Agence nationale de la recherche (ANR) donnée à un établissement breton, co-financée par Safran et Naval Group. Huit doctorants et 4 post-doc y travaillent aux questions de prédiction de l’endurance en service des matériaux, mesurée par la méthode d’auto-échauffement. En 2021 un chercheur du CNRS nous rejoint sur les questions de robotique marine, un sujet sur lequel nous exerçons un pilotage national.
La recherche est vraiment devenue une activité essentielle pour l’école et le ministère des Armées nous pousse à la développer. Nous collaborons ainsi avec des universités étrangères dans le cadre de la politique de défense. Mais nous savons aussi que notre vocation est d’abord de former des ingénieurs. C’est sur notre capacité à former des ingénieurs pour l’économie que nous sommes forcément jugés.
O. R : Qu’attendez-vous des ingénieurs que vous formez aujourd’hui ?
B. G : Nous formons des ingénieurs conscients des enjeux stratégiques. Mais aussi des ingénieurs impliqués dans la réponse aux problèmes des autres. Nos élèves sont tout sauf une génération nombriliste. Ils veulent conjuguer développement économique et préservation du climat. En architecture navale – qui représente un quart des diplômés chaque année – ils apprennent aussi à construire des navires qui n’existent pas encore et imaginent des propulsions nouvelles. Etre moins consommateur de ressources quand il faut se déplacer loin est devenu un vrai sujet pour toute l’économie, y compris les armées. Aujourd’hui on prévoit la déconstruction des navires au moment de leur construction.
O. R : En quelles classes préparatoires recrutez-vous vos élèves ingénieurs ?
B. G : Nous recrutons nos élèves dans le cadre des écrits du concours Mines-Ponts puis par des oraux spécifiques au concours Mines Télécom, commun à 17 écoles. Dans ce cadre nous sommes l’école la plus choisie par les candidats. La première après celles du top 20. Tous les profils ont leur chance : MP, PSI, PC, comme PT ou TSI. Et nous recevons également 20% d’étudiants internationaux comme ceux que nous formons avec l’université d’Adelaïde, en Australie, sur la conception des sous-marins. Une formation qui accompagne la vente des sous-marins à l’Australie par Naval Group. C’est tout l’intérêt de travailler ensemble avec l’industrie française.