Stephan Bourcieu, le directeur général de BSB, et Alain Joyeux, le président de l’Aphec ouvrent le colloque
Cette fois il a bien eu lieu. Repoussé en plein confinement au printemps 2020, de nouveau à l’automne et de nouveau en mai 2021, le congrès annuel de l’Aphec a bien eu lieu les 5 et 6 novembre dans les locaux dijonnais de BSB. La soirée avait quant à elle lieu dans un lieu particulièrement emblématique de la Bourgogne, le Clos Vougeot, où Emmanuel Macron et Angela Merkel venaient de faire leur diner d’adieux. « Nous sommes particulièrement heureux de vous recevoir cette année. D’autant plus que nos résultats de recrutement d’élèves de classes préparatoires ont été bons cette année pour nous après le creux de 2020 », recevait ses hôtes Stephan Bourcieu, directeur général de BSB.
Le démarrage contrasté des classes préparatoires ECG. Si aucun chiffre consolidé n’est à ce jour publié par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI), le démarrage des classes préparatoires ECG semble contrasté. « Les retours que nous avons de nos adhérents semblent montrer que si les classes préparatoires des grandes villes font le plein, ce n’est pas le cas des classes préparatoires de proximité, et encore moins des classes de proximité qui proposent des mathématiques approfondies », constate le président de l’Aphec, Alain Joyeux. Les chiffres qui remontent du terrain parlent d’une baisse globale des effectifs de 8 à 9% en première année mais qui devrait être bien moindre dans la mesure où ce sont essentiellement les classes en difficulté qui ont alerté l’association. « Pour elles l’impossibilité d’aller dans les lycées convaincre les élèves est un problème majeur. Il leur faut convaincre les élèves un à un », spécifie Alain Joyeux, qui ne peut que « regretter que la mise en œuvre des nouvelles classes préparatoires ECG ait lieu en pleine pandémie ». L’Aphec insiste en tout cas auprès des ministères pour qu’aucune classe préparatoire ne soit fermée cette année particulière. « Nous semblons être entendus auprès des ministères mais la décision revient de plus en plus aux recteurs et nous ne sommes pas à l’abri de décisions qui dérogent au cadre national », s’interroge Alain Joyeux.
La question du niveau en mathématiques des élèves est pour l’avenir de la filière. Fallait-il exiger que les élèves aient au moins conservé l’option « mathématiques complémentaires » en terminale ? Comment les classes de mathématiques approfondies de proximité vont-elles pouvoir résister si les candidats sont rebutés par leur niveau en mathématiques ? Et comment faire cohabiter dans les mêmes classes des élèves ayant suivi trois, six ou même neuf heures de mathématiques en terminale ?
D’autant que les écoles n’ont toujours pas dévoilé quels coefficients respectifs elles donneraient aux épreuves selon les classes. Se lancer en « maths appros » en vaudra-t-il la peine ? D’autant que rien n’empêche aujourd’hui – du moins pour la BCE – les candidats « moyens » en mathématiques approfondies de se reporter vers des épreuves moins difficiles s’ils n’en ont pas les moyens. Certaines classes préparatoires privées ont ainsi pris le pli de ne même pas signifier dans leur intitulé si leurs classes étaient « approfondies » ou « appliquées ». La question des coefficients se pose d’ailleurs également pour les ESH (histoire, géographie et géopolitique du monde contemporain) et HGG (histoire, géographie et géopolitique du monde contemporain) quand les deux disciplines sont en concurrence dans le même lycée.
En réservant des places aux candidats issus de chaque filière les écoles pourraient résoudre le problème mais elles sont réticentes à mettre fin à un interclassement tout relatif. Dans les écoles Ecricome les élèves de classes préparatoires littéraires ont bien des places réservées et il semble bien que plusieurs écoles de la BCE soient sur le point de prendre une décision similaire.
Le débat : « Comment concilier le recrutement des élites et la diversité sociale ? »« Nul n’entre ici s’il n’est géomètre. » C’est en partant de cette phrase gravée à l’entrée de l’Académie, l’école fondée par Platon que la professeure de philosophie et vice-présidente de l’Aphec, Véronique Bonnet, a introduit le débat consacré au recrutement des élites et à la diversité. A ses côtés pour en discuter, dans un débat animé par Olivier Rollot, se trouvaient Stéphan Bourcieu, Mehdi Cornillet, fondateur de « Major Prépa » et ancien étudiant d’HEC et la responsable des questions d’inclusion et de diversité au sein d’Amazon France, Virginie Pinson.
Se reportant également à l’inspirateur de l’éducation populaire, Condorcet, comme au rapport de Yannick Bodin publié en 2007 sur la Diversité sociale dans les classes préparatoires aux grandes écoles : mettre fin à une forme de « délit d’initié », Véronique Bonnet montrait que l’objectif d’établir un plus large accès à la connaissance était tout sauf consensuel. D’une Grèce en crise qui se cherchait un modèle à un Condorcet considéré accusé pendant la Révolution de « vouloir créer une nouvelle élite de la connaissance qui remplacerait la noblesse », les débats ont en effet toujours été vifs.
Issu d’une famille modeste, élève de classe préparatoire puis d’HEC, Mehdi Cornillet est le parfait témoin d’une réussite pas impossible mais difficile : « Lors d’un oral d’un concours un membre du jury, voyant que j’étais originaire de Trappes, n’a rien eu de plus intelligent à me demander que « pourquoi ne devenez-vous pas footballer ou humoriste ? ». » Et d’insister sur la nécessité de produire des « role models » pour montrer la voie à plus d’étudiants. Un travail que réalise chaque jour Virginie Pinson : « Chez Amazon l’inclusion de tous les profils, issus de la diversité, du handicap ou du genre est une priorité ».
Le débat porte également sur la forte augmentation du coût des écoles de management ces dernières années, qui empêcherait de plus en plus d’élèves de s’y rendre. Un argument qui rend Stephan Bourcieu dubitatif : « Cette année nous sommes passés devant IMT Business schools dans les choix des préparationnaires, alors même que l’école est totalement gratuite pour les bacheliers. Et l’Ecole polytechnique reçoit moins de 10% de boursiers alors même que ses étudiants sont rémunérés ». Une question de financement qui ne s’en pose pas moins particulièrement pour les étudiants étrangers qui « ne se voient proposer aucun prêt par les banques », comme le déplore Alain Joyeux.
Concours : faut-il soutenir les boursiers ? Aujourd’hui le débat porte essentiellement sur la nécessité d’opérer des changements substantiels dans le recrutement des boursiers lors des concours. « Tous les étudiants qui passent le concours pour la première fois auront des points de bonification, à l’écrit comme à l’oral. Nous maintiendrons cette bonification pour les étudiants boursiers qui passent le concours une deuxième fois », expliquait ainsi le directeur général de HEC, Eloïc Peyrache, en mai 2021 dans Les Echos. Début septembre, l’Essec annonçait à son tour la mise en place, dès le concours 2022, d’un système de « double barre » pour son concours en faveur des étudiants issus de milieux modestes. Les 40 candidats meilleurs candidats boursiers admissibles qui le souhaitent auront ainsi la possibilité de se présenter aux oraux. « Ce système de double barre nous parait préférable à un bonus. Mais les boursiers ne demandaient rien et comprennent mal une mesure qui n’aura que bien peu d’effets. Les grandes écoles parisiennes subissent une intense pression du monde politique et il leur fallait y répondre tout de suite alors que la question se pose plus en amont, dans l’accompagnement des publics fragiles », analyse Alain Joyeux, tout en regrettant que la mesure ait été prise sans que les candidats aient pu, « pour les boursiers décider éventuellement de se représenter, pour les autres de ne pas cuber ». Pour maintenir l’égalité des candidats, l’Edhec a décidé elle de reporter une décision similaire à 2023.
« En dehors des « parisiennes », des « très, très, Grandes écoles la diversité est présente dans les Grandes Écoles », remarque Stephan Bourcieu, dont l’école reçoit plus de 30% de boursiers, de « tous les échelons ». Pour lui les enjeux les plus importants sont « la mise en œuvre d’une continuum et surtout le changement d’image des prépas et des Grandes écoles qui passe par une meilleure information dans les lycées et auprès des parents ».
Le sujet qui fâche : le nouveau concours Elvi. Depuis déjà plusieurs mois la tension est palpable entre les concepteurs des épreuves de langues de la banque Elvi (issus de emlyon bs, ESCP BS, ESSEC et HEC) et les professeurs de classes préparatoires (lire aussi notre dossier du mois) quant aux épreuves qui seront proposées aux élèves de classes préparatoires en 2023 « Telles qu’elles sont conçues les épreuves de langues sont d’un niveau beaucoup trop élevé pour la plupart de nos élèves », regrette Christine Pires, professeur d’espagnol et vice-présidente de l’Aphec en charge des langues. Pour dénouer le conflit ESCP a proposé d’organiser une assemblée générale des professeurs de langues mais aucune date n’est encore fixée. « Contrairement à ce qui se passe dans toutes les autres épreuves, aucun professeur de classe préparatoire ne participe à la conception de ces épreuves », déplore Alain Joyeux quand Christine Pires remarque : « Ce sont des professeurs natifs de chaque pays qui n’ont jamais enseigné en classes préparatoires. Le niveau d’épreuves qu’ils proposent ne conviendra qu’aux élèves de quatre lycées voulant intégrer trois écoles ! »
Si la volonté de rendre les épreuves de langues plus « créatives » ne date pas d’hier, il semble que le moment soit particulièrement mal choisi selon Christine Pires : « Après deux années de confinement, après des réformes qui ont réduit le nombre d’heures d’enseignement des langues au collège puis au lycée, nous sommes bien obligés de constater que leur niveau n’est pas aussi bon que leurs prédécesseurs ».
Au cœur du débat, l’épreuve dite d’ « expression personnelle – Essai argumenté ». En 600 mots dans la langue cible le candidat devra « répondre à une question connexe, en rapport avec la thématique du dossier, qui guidera sa réflexion ». « 600 mots c’est infaisable. Sans parler des germanistes, dont les mots sont toujours plus longs que dans les autres langues, nous l’avons constaté dans les sujets 0 que nous avons pu consulter : mêler compréhension et expression dans la même épreuve est une erreur. On se tire une balle dans le pied ! »