Directeur général du groupe d’enseignement supérieur spécialisé dans l’alternance Talis, ancien directeur de l’OPCO OPCALIA, président de l’association Walt (We are alternants) réunissant six grands organismes de formation, Yves Hinnekint est un grand spécialiste des questions d’alternance.
Quel regard jetez-vous sur les mesures prises par le gouvernement pour aider l’apprentissage ?
Il faut le dire : elles sont très positives. L’aide financière bien sûr, mais aussi le soutien à l’achat d’un ordinateur et la durée portée à six mois pour que le CFA et l’apprenti trouvent un contrat sont autant de mesures efficaces. Au lieu de tout faire en septembre-octobre on va glisser la recherche d’un contrat jusqu’à la fin de l’année.
Certes il reste encore des interrogations – sur l’absence d’aides aux contrats de professionnalisation ou sur la limitation à bac+3 – mais ce plan est une excellente chose alors que nous constations déjà que moins d’entreprises toquaient à la porte de l’alternance. Une baisse de l’ordre de 15 à 20% à un moment crucial pour la signature des contrats.
Aujourd’hui ces mêmes entreprises nous le disent : une fois qu’elles vont avoir redémarré leur activité ces aides leur donnent une réelle motivation pour réembaucher des apprentis. D’autant que des secteurs comme la grande distribution alimentaire se portent très bien, a contrario du commerce de l’habillement. Mais que vont faire les grands groupes fortement impactés par la crise comme Air France, Airbus ou Accor ? On les voit mal recruter suffisamment pour respecter leurs obligations de 5% d’apprentis sans dépasser le bac+3 s’ils ne sont pas soutenus. La reprise sera plus longue pour certains secteurs fortement impactés par la crise.
En résumé ce plan est un investissement d’un milliard d’euros judicieusement placé.
Comme les autres les écoles du groupe Talis sont passées au distanciel. Ce n’est pas particulièrement plus compliqué pour des apprentis ? D’autant que vous êtes censé faire la preuve que vos étudiants sont bien en cours.
Tous les réseaux réfléchissent aujourd’hui au bon dosage entre le distanciel et le présentiel. C’est ce que nous appelons le « télé-apprentissage ». Et ça marche. On peut même dire que nos étudiants ont parfois eu un présentiel plus fort en distanciel qu’en présentiel ! Certains, pour lesquels se lever le matin pour faire une heure et demie de transports en commun est parfois difficile, sont ravis de prendre seulement 10 minutes à se réveiller pour rejoindre, sans même s’habiller, sans mettre la caméra, leur cours numérique. Tout en télé-bavardant entre eux sur les réseaux sociaux pour s’entraider sur les cours.
Et c’est aussi une révolution pour nos professeurs qui se sont mis à l’enseignement à distance du jour au lendemain alors qu’ils pouvaient rechigner auparavant.
Quant à la preuve d’assiduité que vous évoquez elle est faite par le CFA ou l’école pour l’ensemble des OPCO. Nous n’avons pas cherché à prouver que les yeux de nos apprentis étaient bien allumés devant leur ordinateur. L’enjeu a été la continuité pédagogique. Nous recevons beaucoup de témoignages positifs de nos étudiants. Les cours sont une fenêtre pédagogique qui leur ont permis de « ne pas péter les plombs » pendant le confinement.
Mais comment les entreprises ont-elles réagi ? Des contrats ont-ils été arrêtés, suspendus, pendant la période confinement ?
Le contrat d’apprentissage, rappelons-le est un avant tout un contrat de travail.
Donc si une entreprise est en difficulté, c’est l’ensemble des salariés qui partagent cette difficulté. Alors oui le chômage partiel a pu toucher certains apprentis, et oui si des entreprises ferment, il nous faudra accompagner l’apprenti à retrouver une autre entreprise, un autre contrat de travail. L’enjeu majeur d’un contrat d’apprentissage est le mariage d’un jeune et d’une entreprise. Le marieur est bien souvent l’école ou le CFA. Gageons que les mesures déposées dans la corbeille nous aideront à booster les placements de notre jeunesse.
Le Groupe Talis regroupe neuf campus (six en Aquitaine et trois à Paris) qui dispensent leurs cours à 3 500 étudiants de BTS à bac+5. Essentiellement dans l’économie et le commerce.