« L’ESTACA est une école de passion et de passionnés »: Denis Bertrand, directeur général de l’ESTACA

by Olivier Rollot

À l’occasion du centenaire de l’ESTACA, son directeur général, Denis Bertrand, revient avec nous sur un siècle d’évolution et de défis pour cette école d’ingénieurs devenue une référence dans les transports et la mobilité durable. Il évoque la croissance de l’école, ses ambitions internationales, les défis de l’apprentissage et la fidélité à un modèle fondé sur la passion et la spécialisation.

Olivier Rollot : Cent ans d’existence, c’est un cap impressionnant. Que représente cet anniversaire pour l’ESTACA ?
Denis Bertrand: C’est un symbole fort. L’école est née dans les années 1920, alors que l’automobile et l’aéronautique explosaient. Depuis, elle a accompagné toutes les évolutions du transport y compris désormais dans les domaines ferroviaire, spatial et désormais naval. C’est un siècle d’adaptation continue. L’ESTACA reste indépendante, à but non lucratif, mais toujours à la pointe de la formation d’ingénieurs. Aujourd’hui, nous formons sur trois campus – Saint-Quentin-en-Yvelines, Laval et Bordeaux – et nous sommes portés par une dynamique très positive.

O. R : On entend souvent dire que l’ESTACA est une école de passion. Qu’entendez-vous par là ?
D. B : Nos étudiants viennent avec un projet clair : travailler dans l’aéronautique, l’automobile, le ferroviaire, le naval ou le spatial. Ce sont des passionnés. Certains rêvent de trains depuis l’enfance, d’autres de Formule 1. Cette passion, c’est notre moteur. En cinq ans, ils mûrissent leur projet, parfois changent de voie, mais toujours avec une conviction : contribuer à la transformation du transport et à la mobilité durable.

O. R : Quels sont les grands débouchés professionnels de vos diplômés ?
D. B : L’aéronautique reste notre premier secteur d’insertion avec environ 45 % des diplômés, suivie de l’automobile (25 %), du spatial, du ferroviaire et du naval. Environ 85 % de nos étudiants signent un contrat avant même l’obtention du diplôme. Leur salaire d’entrée se situe entre 42 000 et 45 000 euros annuels. Et certains bifurquent ensuite vers le numérique ou la finance, preuve que leur profil est très adaptable.

UNE ECOLE, TROIS SITES

O. R : Vous avez ouvert un campus à Bordeaux. Quel bilan en tirez-vous ?
D. B : C’est un vrai succès. Nous y sommes installés depuis quatre ans et venons d’inaugurer un campus flambant neuf dans le quartier Belvédère, non loin de la gare Saint Jean. Nous avons accueilli 142 étudiants post-bac cette année, avec plus de 90 % de mentions bien ou très bien. Bordeaux incarne notre développement maîtrisé : une croissance progressive mais solide. À terme, nous y formerons près de 700 élèves.

O. R : Les trois sites ont-ils des spécificités ?
D. B : Nous attachons beaucoup d’importance à proposer la même formation sur les trois sites. Le cursus est exactement la même sur les deux premières années. A partir de la 3e année les différents sites ne proposent pas toutes les filières : Saint-Quentin propose l’aéronautique, l’automobile, le ferroviaire et le spatial. Laval se spécialise dans l’aéronautique, l’automobile et le naval. Bordeaux développe l’automobile, l’aéronautique et, dès l’an prochain, le spatial. Nos étudiants choisissent librement leur filière. Cela demande une logistique fine, mais nous voulons préserver cette liberté, fidèle à notre philosophie d’école passion.

REGARDER À DIX ANS : INTERNATIONALISATION ET STRATÉGIE

O. R : Quels défis vous fixez-vous pour la prochaine décennie ?
D. B : Le grand enjeu, c’est de consolider nos trois campus et d’assurer la pérennité de notre modèle face à la baisse démographique annoncée. Nous devons réfléchir à notre place dans dix ans : croissance externe, alliances, ou au contraire maintien de notre taille humaine. L’internationalisation sera cruciale. Nous accueillons trop peu d’étudiants internationaux aujourd’hui. Nous voulons développer les formations en anglais, ouvrir davantage nos programmes aux étudiants francophones et anglophones et renforcer nos partenariats à l’étranger.

O. R : Vous évoquez des alliances possibles. Où en êtes-vous ?
D. B : Nous sommes déjà intégrés au concours Avenir et au groupe ISAE, qui réunit six écoles d’ingénieurs. Nous partageons des projets communs sur l’intelligence artificielle, l’international ou la recherche. Nous collaborons aussi dans des réseaux comme Ingeblue ou le Ferrocampus à Saintes. Au niveau européen, nous faisons partie du réseau Pegasus qui rassemble les grands acteurs de l’enseignement Supérieur du secteur aéronautique et spatial. Ces coopérations nous permettent de mutualiser savoir-faire, infrastructures et innovations pédagogiques.

O. R : Le financement de l’apprentissage fait débat. Qu’en est-il pour vous ?
D. B : C’est un vrai sujet de préoccupation. Les offres de contrats ont chuté de 20 à 30 % cette année. Les entreprises sont plus frileuses, par incertitude politique et économique. C’est dommage, car l’apprentissage est bénéfique pour tout le monde : étudiants, entreprises et écoles. Nous devons aider davantage nos étudiants à anticiper et trouver leur contrat. Nous venons d’ailleurs d’ouvrir une nouvelle formation d’ingénieur en apprentissage dans l’aéronautique et le spatial, mutualisée avec d’autres écoles du groupe ISAE.

O. R : Envisagez-vous de créer un bachelor ?
D. B : Ce n’est pas d’actualité. La formule fonctionne bien dans les écoles de management, mais nous restons concentrés sur notre cœur de métier : la formation d’ingénieurs. En revanche, nous proposons un mastère spécialisé en Motorsport, très prisé, qui forme des ingénieurs pour les écuries de course. Et nous développons activement la formation continue, en lien étroit avec les entreprises.

O. R : Vous êtes une école établissement d’enseignement supérieur privé d’intérêt général (EESPIG). Comment assurez-vous votre équilibre financier ?
D. B : Nous sommes une association à but non lucratif : chaque euro gagné est réinvesti dans l’école. Les frais de scolarité avoisinent 10 000 euros par an et évoluent avec l’inflation. Nous comptons aussi sur la taxe d’apprentissage, la recherche contractuelle et la formation continue. Nos partenariats industriels ou chaires – Airbus, RATP, Grand Paris, Expleo – soutiennent nos laboratoires, par exemple sur la qualité de l’air, les systèmes embarqués.O. R : Quel message souhaitez-vous transmettre pour le centenaire ?
D. B : Notre slogan cette année résume tout : « En avance sur son temps depuis 100 ans ». Cela signifie anticiper les besoins, les ruptures technologiques et les mutations sociétales. L’ESTACA a su le faire pendant un siècle, elle doit continuer à le faire. Nous restons une école de passion, tournée vers l’avenir, attachée à ses valeurs et à son indépendance.

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