« L’Isep est une école des technologies du numérique dans un sens très large »: entretien avec Aline Aubertin, directrice de l’Isep

by Olivier Rollot

On peut être une école « des technologies du numérique » et recruter plus d’un quart de filles. C’est une question de volonté comme le démontre Aline Aubertin, directrice de l’Isep, qui nous rappelle les fondamentaux de son école à un moment de transition pour l’enseignement supérieur.

Olivier Rollot : Comment s’est déroulée la rentrée de l’Isep sur ses divers programmes ?
Aline Aubertin : Nous enregistrons une croissance notable : à deux chiffres pour certaines filières, à un chiffre pour d’autres. Toutefois, nous restons vigilants pour les étudiants étrangers, dont certains ne sont pas encore arrivés. Il peut y avoir des mauvaises surprises liées aux visas.

O. R. : Faut-il comprendre que certains étudiants inscrits ne viennent pas, ou choisissent une autre voie en dernière minute ?
A. A. : Certains élèves que nous attendions ne finalisent pas leur inscription. D’autres, à l’inverse, arrivent tardivement. Le calendrier de Parcoursup, les listes d’attente, les vœux priorisés : tout cela entretient un jeu d’attente incessant pour les étudiants. Nous avons parfois à relancer ceux qui ont manifesté leur intérêt mais n’ont pas confirmé.

Aline Aubertin

O. R. : Il y aujourd’hui un débat sur les frais de préinscription qui pourraient être supprimés si le projet loi relatif à la régulation de l’enseignement supérieur privé était adopté tel qu’il est rédigé aujourd’hui. Pouvez-vous préciser leur rôle et leur statut légal ?
A. A. : Ce sont des montants modestes. Leur finalité est d’empêcher les engagements sans suite et également de rassurer les familles que l’inscription est bien prise en compte. Si un étudiant ne finalise pas, certains frais peuvent être remboursés, notamment en cas de problème de visa. Toutefois, la future réglementation pourrait interdire les frais de préinscription, ce que la Conférence des Grandes Écoles observe avec attention.

O. R. : On entend « c’est plus compliqué, c’est plus long » de placer les apprentis aujourd’hui dans les entreprises. Qu’observez-vous exactement ?
A. A. : C’est ce que nous constatons également. Dans le domaine du numérique, cela se ressent un peu — les entreprises sont moins promptes à s’engager pour trois ans d’apprentissage. Pour les élèves ingénieurs — particulièrement ceux qui n’ont que deux années d’apprentissage à effectuer — le phénomène est ténu : beaucoup trouvent encore des entreprises. Mais pour les parcours en 3 ans, c’est plus difficile. Et pour les formations de type Bachelor, c’est là que cela coince le plus.

O. R. : Les entreprises revendiquent de recruter des profils intermédiaires, mais hésitent à en engager?
A. A. : On entend régulièrement qu’elles ont besoin de techniciens, d’ingénieurs assistants, de profils moins élevés et avec de la mixité filles-garçons, mais, dans les faits, leurs engagements sont limités, même pour les candidates. Parfois, on observe que nos ingénieurs juniors en début de carrière sont sous-utilisés. Cela pourrait se corriger si les entreprises acceptaient davantage de répartir les tâches selon les compétences et les appétences, sans considérer le niveau hiérarchique comme un obstacle.

O. R. : Comment définiriez-vous l’Isep ?
A. A. : L’Isep est une école « des technologies du numérique » dans un sens très large, notamment en maintenant l’électronique comme socle pour ensuite explorer les usages : systèmes embarqués, data, cybersécurité, systèmes d’information. En troisième année, le socle commun permet aux étudiants de voir l’ensemble de ces domaines avant de choisir une spécialité. Nous sommes une école à taille humaine dont la mission est de former des professionnels, femmes et hommes, capables de donner du sens à l’innovation, c’est-à-dire de contribuer à ce que les avancées technologiques soient des opportunités de progrès pour le Bien Commun. En une phrase, « nous faisons grandir le numérique au service de l’humain ».

O. R. : Qu’est-ce que les entreprises apprécient particulièrement chez vos diplômés ?
A. A. : Deux éléments émergent. D’une part, elles reconnaissent la qualité de leur socle technique, leur polyvalence, leur capacité à naviguer d’un domaine à l’autre. D’autre part, elles valorisent « le plus » : les soft skills, l’éthique, la posture, la responsabilité sociétale, l’esprit critique. Nous demandons aux étudiants de réfléchir aux biais de l’IA, à l’impact environnemental, à leur rôle dans les technologies qu’ils produisent.

O. R. : Quels dispositifs concrets mettez-vous en place pour valider leur capacité en soft skills ?
A. A.
 : Nous leur faisons par exemple passer le test 4colors (rouge, jaune, vert, bleu) pour les aider à mieux se connaître et à comprendre ceux qui pensent différemment. Nous impliquons un philosophe spécialiste de l’éthique dans l’équipe pédagogique pour travailler les dimensions réflexives. Dans les projets informatiques, on regarde aussi l’empreinte énergétique ou les choix de conception d’IA responsables.

O. R. : C’est un sujet crucial aujourd’hui. Comment l’Isep accompagne le bien-être et la santé mentale des étudiants ?
A. A. : Nous avons créé une direction de l’expérience étudiante, de manière à mieux structurer et rendre visible pour les étudiants l’ensemble de de notre accompagnement. Par exemple, il existe un espace d’écoute et pour la santé, une convention avec l’Université Paris Cité permet à nos étudiants d’accéder aux services universitaires. Nous prévoyons aussi l’installation d’une infirmerie dans le nouveau bâtiment.

O. R. : Qu’en est-il de la vie associative ?
A. A.
 : Elle est centrale : nous y allouons environ 1 % du budget. Elle fait partie intégrante du projet éducatif car elle forge des compétences (gestion, conduite de projet, communication). Bientôt des crédits ECTS seront associés à l’engagement : les étudiants pourront valoriser leurs activités (associatives, solidaires, etc.), selon leur appétence et leur charge de travail.

O. R. : L’Isep a recruté 27 % de filles cette année, un taux élevé dans le numérique. Quelles sont vos stratégies pour atteindre et dépasser cet objectif ?
A. A. : Nous développons une démarche volontariste, systémique et continue. Dès les journées portes ouvertes, j’interpelle directement les filles : « Vous êtes au bon endroit ! ». Nous sensibilisons tous nos étudiants dès l’accueil avec la présence visible de femmes dans le corps enseignant, des textes non sexistes ou encore des initiatives pour éviter les « micro-blagues » qui peuvent être terriblement blessantes si elles se répètent trop souvent. Et c’est ça qui construit le syndrome de l’imposteur et qui sape la confiance.

Les filles ne naissent pas avec un manque de confiance en elles. Simplement, on leur retire la confiance beaucoup plus qu’aux garçons, notamment dans des domaines où elles sont minoritaires, comme le nôtre. J’invite les garçons à prendre conscience de ces inégalités invisibles en leur disant : « Ce n’est pas de votre faute si vous ne vous en rendez pas compte, mais je vous demande d’y prêter attention. » Un appel à la vigilance fondé sur des faits : les équipes mixtes sont systématiquement plus performantes. C’est prouvé, les groupes de travail composés de filles et de garçons obtiennent de meilleurs résultats.

L’objectif n’est pas d’opposer les genres mais de promouvoir une dynamique collective fondée sur la complémentarité. Ce n’est pas une démarche les uns contre les autres, c’est du gagnant-gagnant. Le bureau des élèves organise donc un accueil spécifique pour les filles dès le début. Nous signons des chartes, par exemple le Parte « femmes & IA : pour une IA responsable et non-sexiste » avec le Cercle InterL, et revoyons tous les textes que nous publions pour éviter le seul masculin universel.

O. R. : Disposez-vous d’indicateurs de progression ou des comparaisons sectorielles ?
A. A. : Notre index égalité femmes-hommes atteint 93/100. Face au secteur du numérique globalement autour de 20 %, 27 % est un taux déjà très respectable. Mais ce n’est pas suffisant : je dis toujours que je n’ai pas la formule magique — sinon je la vendrais — mais nous poursuivons cette spirale positive en montrant qu’il y a déjà des femmes à l’Isep et qu’elles y sont épanouies.

O. R. : La capacité à apprendre à apprendre est cruciale pour des métiers qui n’existent pas encore dans 10 ou 20 ans. Avez-vous des projets de formation continue ?
A. A. : C’est une piste à développer. Nous avons un master spécialisé dans la protection des données (DPO). Mais ce n’est pas suffisant. Nous réfléchissons à des modules ou capsules formatives pour les ingénieurs en activité, en mutualisant peut-être entre écoles au lieu de chacun développer son propre portefeuille.

O. R. : Est-ce que vous coopérez avec d’autres écoles ou partenaires dans ces démarches ?
A. A. : L’Isep, c’est dans son ADN, n’opère pas seul. Nous construisons des collaborations — comme les bachelors avec des lycées , par exemple le lycée La Salle Saint-Nicolas à Issy-les-Moulineaux,), des cours partagés avec l’Institut Catholique de Paris. À Bordeaux, nous avons installé un campus associé avec le lycée Saint-Joseph de Tivoli. Nous essayons que les alliances soient des synergies et non des fusions.

O. R. : Vous avez évoqué cette année un déménagement ou une extension du campus à Issy-les-Moulineaux. Où en êtes-vous ?
A. A. : Le projet de construction avance : à quatre minutes à pied du bâtiment actuel. Il vise à offrir davantage d’espace, d’infrastructures, de confort. En parallèle, une prépa associée au lycée Stanislas continue à exister dans notre réseau. C’est un modèle multisites mais coordonné.

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