Loi de « Modernisation et régulation de l’enseignement supérieur » : et maintenant ?

by Olivier Rollot

Les contours du projet de loi de « Modernisation et régulation de l’enseignement supérieur » sont maintenant connus : le nouveau « cadre législatif doit simplifier et adapter les outils de régulation pour tous les publics, et notamment les étudiants de l’enseignement supérieur privé » ; sujet essentiel de la loi mais pas unique.

Alors que la Conseil supérieur de l’Education, le Conseil d’État et le Cneser vont donner leur avis, le conseil des ministres pourrait examiner le projet de loi 30 juillet avec l’espoir de le présenter au Parlement à la rentrée. Cela en commençant par un Sénat sans doute moins éruptif sur le sujet que l’Assemblée nationale, où plusieurs projets de loi avaient été déposés quant à la régulation de l’enseignement supérieur privé. Dans un communiqué le SNESUP-FSU parle déjà d’une « tentative de passage en force du gouvernement pour saborder l’enseignement supérieur ».Un projet qui n’est pourtant pas une révolution a des effets de bord prévisibles. Analyse du texte de loi.

« Agrément » et « partenariat ». C’est bien sur cette notion de régulation qui occupe au premier chef les esprits sachant que la future accréditation sera accordée pour l’ensemble des grands secteurs enseignés dans l’établissement. Mais qu’est-ce qu’un établissement ? Peut-on créer des filiales abritant certaines formations moins « accréditables » ? Cette accréditation est assortie d’une évaluation périodique par une instance nationale indépendante, « garantissant le maintien de la qualité. »

Alors qu’on ne parlait jusqu’ici que d’« agrément » – avec plusieurs cercles – le projet de loi introduit une nouvelle notion, celle de « partenariat » avec l’État pour éviter toute « hiérarchisation » entre les établissement :

  • l’agrément « atteste de la qualité globale de l’offre de formation après évaluation par une instance nationale indépendante et est accessible à tous les établissements privés et organismes de formation » ;
  • le partenariat est lui réservé aux établissements à but non lucratif et « permet de concourir aux missions du service public de l’enseignement supérieur, notamment par l’adossement des formations à la recherche, et un accompagnement social des étudiants ». Les EESPIG ont vocation à être partenaires de même que les EESC (établissements d’enseignement supérieur consulaires) selon Philippe Baptiste.

Des établissements privés lucratif dont certains, à l’image de emlyon, sont reconnus au plus haut niveau international, ne pourront ainsi pas être « partenaires » du MESR en France ! Un vrai handicap d’autant que Les écoles « partenaires »auront en plus « l’avantage de développer de nouvelles formations sans l’aval du ministère qui procédera à des vérifications a posteriori, précise à Challenges Philippe Baptiste. Ça leur donnera beaucoup plus de liberté et de flexibilité pour s’adapter aux besoins de compétences des entreprises. » Un ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche qui insiste : « Il ne faut surtout pas croire qu’on a un échelon « partenariat » de top qualité et un échelon « agrément » de moindre qualité. » Les mêmes obligations pour tous mais pas les mêmes avantages ! On comprenait la justification pour les EESPIG dès lors que la qualité de la recherche était en jeu, mais là comment se justifie la distinction dès lors que la qualité de la formation est la même ?

Dans un cas comme dans l’autres il faudra attendre la publication des décrets d’application pour savoir quels seront les critères exacts des deux niveaux de reconnaissance. Philippe Baptiste trace des pistes en évoquant « taux de réussite des étudiants par formation, qualité du tutorat, qualifications des enseignants, politique sociale ». De beaux combats en perspective sachant que tout le monde y va de ses idées. La nécessité d’avoir un corps professoral permanent semble également devoir s’imposer mais avec quels ratios d’encadrement ? « La nécessité de délivrer entre 30 et 50% de ses cours avec des professeurs permanents pour obtenir l’agrément me semble normale. Une école doit avoir d’une part un corps pédagogique permanent, de l’autre des enseignants vacataires qui ont les pieds dans l’entreprise », considère Jonathan Azoulay, président du groupe Skolae.

L’article L. 732-4.précise seulement que « l’agrément, qui atteste de la qualité globale de l’offre de formation de l’établissement, est délivré, pour une durée limitée, après une évaluation par une instance nationale indépendante, qui porte notamment sur la stratégie et le pilotage de l’établissement, l’offre de formation et l’existence d’une politique sociale en faveur des étudiants ».

Quant à la conclusion d’un partenariat elle sera « subordonnée à une évaluation préalable par une instance nationale indépendante qui porte notamment sur la non-lucrativité, la stratégie et le pilotage de l’établissement, la politique de formation, l’adossement à une politique de recherche, et l’organisation de la vie étudiante ». 

Quoi qu’il en soit les établissements d’enseignement supérieur technique privés, EESPIG mais aussi consulaires qui rentrent dans le champ du partenariat, qui, « à la date d’entrée en vigueur de la présente loi, bénéficient d’une reconnaissance par l’État bénéficient de droit, et pour une durée limitée, d’un agrément » précise le projet. Un décret en Conseil d’État précisera les conditions dans lesquelles ces établissements se voient délivrer cet agrément de droit et sa durée.

L’évaluation, qui sera périodique, devrait être confiée au Hcéres (Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur). Elle devrait être payante aucun budget n’étant prévu à cet effet. Et surtout comment sera-t-elle effectuée ? Certes les critères à évaluer sont beaucoup moins nombreux que pour une évaluation « classique » du haut conseil mais ses experts ont pris certaines habitudes qu’il faudra réviser si on ne veut pas que les 3 500 établissements potentiellement évaluables attendent au-delà de 2030.

Le « label » Parcoursup. Au moins l’un de ces deux reconnaissances sera obligatoires pour qu’une formation puisse figurer sur Parcoursup qui devient de facto le maître étalon de la qualité reconnue par l’État des établissements. Logiquement les formations en apprentissage d’établissements ne bénéficiant pas d’un des deux labels ne devraient pas plus pouvoir y participer que les autres. Toutes les formations d’un établissement agréé ou partenaire devraient forcément y figurer.

Mais attention il est ajouté à l’article L.612-3-2 que le retrait de la plateforme nationale de préinscription de tout ou partie des formations proposées qui ne respecte pas les règles de fonctionnement de cette plateforme peut « être prononcé par le ministre chargé de l’enseignement supérieur, qui tient compte des intérêts des étudiants et de l’intérêt public qui s’attache au bon déroulement de la procédure nationale de préinscription pour fixer la date d’effet de la mesure ». Un simple arrêté du ministre chargé de l’enseignement supérieur précisera les conditions d’application de ces dispositions. 

Des dispositions qui devraient entrer en vigueur dès le 1er octobre 2026 – soit avant la publication de la loi – en vue de la procédure Parcoursup de la rentrée universitaire de 2027. Mais il faudra attendre 2030 pour que tous les établissements soient évalués.

EESPIG et Qualiopi. Il n’y aura plus de nouveaux EESPIG ! La qualification établissement d’enseignement supérieur privé d’intérêt général ne pourra plus être accordée à de nouveaux établissements sans qu’on comprenne très bien pourquoi.  Les établissements qui, à cette date, bénéficient de cette qualification en « conservent le bénéfice, y compris pour le renouvellement de cette qualification ».

Par ailleurs l’article 6 du projet de loi étend l’obligation de certification Qualiopi à tous les organismes dispensant des formations sanctionnées par un titre professionnel, quelle que soit la source de financement.

L’article 7 conditionne quant à lui la possibilité pour un établissement privé d’obtenir un diplôme reconnu par l’État ou de conférer un grade universitaire à l’obtention préalable d’un agrément ou d’un partenariat avec un établissement public. L’article L. 613-2-1 précise que cette évaluation « tient compte de la qualité académique de la formation et de sa réponse aux besoins socio-économiques et de la carte territoriale des formations. Pour la délivrance d’un grade universitaire, l’évaluation prend également en compte l’adossement à la recherche ». Rien de nouveau donc.

Ouvrir un établissement privé. C’est l’un des points à la fois les plus délicats et les plus centraux si on veut éviter que tout en chacun ouvre un établissement d’enseignement supérieur privé pour des motifs purement lucratifs. Jusqu’ici l’article L733-1-1 du Code de l’Education ne limitait cette possibilité que dans un cas : « Le représentant de l’État dans le département peut s’opposer à l’ouverture d’un cours ou d’un établissement d’enseignement supérieur privé afin de prévenir toute forme d’ingérence étrangère ou de protéger les intérêts fondamentaux de la Nation ». Dans le projet de loi cette possibilité est largement étendue puisque, en plus des incapacités déjà existantes pour des personnes ne jouissant pas par exemple de leurs droits civiques (article L731-7) « l’autorité administrative compétente ou le procureur de la République peut s’opposer à l’ouverture d’un cours ou d’un établissement d’enseignement supérieur privé dans l’intérêt de l’ordre public ».

Reste à définir la notion de « l’intérêt de l’ordre public », notion à la fois souvent reprise dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel (lire l’article Libertés et ordre public de l’ancien président du Conseil constitutionnel Pierre Mazeaud qui en précise les contours) mais jamais clairement définie et qui, en l’occurrence, va entrer en contradiction avec la liberté d’ouvrir un établissement d’enseignement supérieur.

Par ailleurs l’ouverture d’un établissement d’enseignement supérieur privé devrait être « précédée d’une déclaration signée par ses administrateurs, qui doivent être au nombre de trois au moins ». La déclaration d’ouverture comporte notamment un « descriptif de l’activité de l’établissement précisant l’objet ou les divers objets des enseignements qui y seront donnés ainsi que la liste des diplômes qu’il délivre ou auxquels il prépare ».

Cette déclaration d’ouverture serait adressée à l’autorité administrative compétente et au procureur de la République, qui délivrent un accusé de réception sachant que l’ouverture « ne peut avoir lieu que deux mois après la délivrance de l’accusé de réception ou, le cas échéant, à compter de la réception des pièces et informations manquantes ». De plusles établissements d’enseignement supérieur privé « communiquent chaque année la liste des professeurs, le programme des cours et la liste des diplômes qu’ils délivrent au recteur de région académique ».

Qui agrémente, qui régule quoi ? Le Hcéres (Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur) devrait avoir la haute main sur les évaluations mais rien n’est précisé. Ce qui change (ou pas en fait) :

  • la Commission des titres d’ingénieur (CTI) n’aurait semble-t-il pas vocation à évaluer un établissement entier. L’article L642-4 réécrit d’ailleurs son rôle quant aux écoles privées. On passerait de « La commission des titres d’ingénieur décide, sur leur demande, si des écoles techniques privées légalement ouvertes présentent des programmes et donnent un enseignement suffisant pour délivrer des diplômes d’ingénieur » à « La Commission des titres d’ingénieur évalue si ces établissements présentent des programmes et donnent un enseignement suffisant pour délivrer ces diplômes (..) L’autorisation à délivrer les diplômes d’ingénieur est accordée par l’autorité administrative compétente, après avis de la Commission des titres d’ingénieur ». Ce qui ne change en fait strictement rien puisque, de toute façon, l’article « ombrelle » (L642-1) précisait bien déjà que « L’accréditation pour délivrer le titre d’ingénieur diplômé est accordée par l’autorité administrative compétente après avis de la commission des titres d’ingénieur ». Et ceci quel que soit le type d’école.
  • L’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (Igésr) voit ses pouvoirs de contrôle élargis aux personnes morales qui concourent à la gestion des organismes de formation, « répondant ainsi aux évolutions de l’écosystème de la formation privée marqué par l’émergence de groupes de formation et de structures complexes ». Cette extension « garantit un contrôle effectif de l’ensemble des acteurs influant sur la qualité des formations reconnues par le MESR ».
  • Le Comité consultatif pour l’enseignement supérieur privé (CCESP), en charge de la qualification ou pas de « lucratif » pour un établissement privé, est intégré au Hcéres.

Protéger les étudiants et les apprentis. L’article 9 crée un droit de rétractation de 30 jours avant le début de la formation pour les contrats d’inscription dans l’enseignement supérieur privé « sans juste motif et sans frais, à l’exception des frais administratifs liés à l’inscription ». Cette mesure, « inspirée du droit de la consommation, rééquilibre la relation contractuelle entre les établissements et les étudiants. » Tout manquement serait « passible d’une amende administrative dont le montant ne peut excéder 3 000 euros pour une personne physique et 15 000 euros pour une personne morale ».

L’article 10 renforce la protection des apprentis contre les clauses abusives dans leurs contrats avec les centres de formation d’apprentis. Il interdit notamment les frais de réservation et garantit le remboursement au prorata en cas de départ anticipé. Une évolution qui « protège les apprentis contre des pratiques commerciales discutables ». Oui mais beaucoup d’établissements se plaignent au contraire d’avoir des étudiants « consommateurs » de l’apprentissage qui ne respectent ni leurs entreprises, ni leur formateurs et auxquels ils voudraient faire payer des frais de scolarité.

Ce qui change pour l’enseignement supérieur public. L’article 2 du projet de loi proroge de cinq ans la durée d’expérimentation prévue par la loi du 10 août 2018 des EPE (établissement public expérimentaux), « permettant aux établissements de finaliser leurs projets de regroupement ». Il inscrit le statut de grand établissement dans le droit commun. Une évolution qui « répond aux besoins exprimés par les établissements de stabilisation juridique de ces structures ».

L’article 11 transfère quant à lui certaines compétences du niveau ministériel vers les recteurs de région académique. C’est une véritable révolution qui en indispose plus d’uns par crainte de népotisme local: la nomination des directeurs des instituts, mais aussi des écoles faisant partie des universités, serait désormais du ressort du recteur de région académique et non plus par le ministre chargé de l’enseignement supérieur (article L713-9).

Ca passe ou ça casse ? La question est maintenant de savoir s’il y a une chance que le texte passe la cap du Parlement à la rentrée alors que déjà des oppositions fortes voient le jour. Sur la question des compétences accrues des recteurs mais surtout sur la perte annoncée des prérogatives – purement consultatives pourtant du CNESER (Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche). Lisons encore le communiqué du SNEPUS-FSU qui estime que le projet de loi « permettrait au ministère, par arrêté et sans avis du CNESER, de retirer des accréditations de formation aux établissements sur simple avis du Hcéres – dont le ou la président·e ainsi que les membres du collège de direction sont tous et toutes nommé·es par l’exécutif –, mais il supprimerait le monopole de la collation des grades et titres universitaires aux seuls établissements publics pour l’ouvrir aux établissements privés. Pourquoi offrir une telle aubaine au secteur privé dont les dérives sont patentes ? » Ce à quoi Philippe Baptiste répond le but du jeu pour l’État, est « d’être capable de réguler la qualité des formations proposées aux étudiants. À terme, on aura sur Parcoursup une garantie de qualité, parce qu’il y aura eu une évaluation. C’est ça qui change, fondamentalement ». De biens beaux débats en perspective…

  • L’article 8 complète les missions du service public de l’enseignement supérieur en y ajoutant l’organisation de la vie étudiante et de campus, en coordination avec les missions du réseau des œuvres universitaires. Cette évolution « reconnaît l’importance de l’accompagnement global des étudiants au-delà des seules activités de formation ». La CVEC (contribution à la vie étudiante et de campus) sera accessible aux établissements ayant conclu un partenariat comme c’est le cas aujourd’hui pour les EESPIG et demain également pour les EESC.
  • L’article 12 adapte les dispositions de la loi aux spécificités des collectivités d’outre-mer, en tenant compte de leurs compétences particulières en matière d’enseignement supérieur et de la nécessité d’adapter certaines procédures aux réalités locales.
  • L’article 13 prévoit les modalités d’entrée en vigueur et les dispositions transitoires, garantissant le respect des droits acquis et la continuité des formations en cours. Il instaure notamment un agrément de droit pour les établissements d’enseignement supérieur technique privés actuellement reconnus par l’État, assurant la sécurité juridique de ces établissements. Il prévoit également un calendrier différencié d’entrée en vigueur permettant aux acteurs de s’adapter progressivement aux nouvelles dispositions.

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