«Nos étudiants apprennent à travailler « avec » l’IA, pas à la subir»: Dominique Baillargeat, directrice 3iL Ingénieurs

by Olivier Rollot

Directrice de l’école 3iL Ingénieurs, Dominique Baillargeat défend une vision humaniste de la formation d’ingénieurs. Entre ancrage territorial, rigueur académique et ouverture à l’international, elle revient sur le modèle singulier d’une écoleEESPIG, présente à Limoges, Rodez et Nantes, et sur les défis d’un enseignement du numérique à l’heure de l’intelligence artificielle.

O. R : Pouvez-vous présenter 3iL ingénieurs en quelques mots ?
D. B : 3iL Ingénieurs est né en 1987 à Limoges, sous l’impulsion de la Chambre de commerce et d’industrie de Limoges et de la Haute-Vienne, du Medef et de la CPME. L’école n’était pas encore accréditée par la Commission des titres d’ingénieur (CTI) à ses débuts, mais elle proposait déjà des titres professionnels certifiés par la CNCP (remplacée depuis par France Compétences). En 1995 nous avons obtenu l’accréditation CTI et adopté le statut associatif loi 1901.

Aujourd’hui, 3iL est une école d’ingénieurs généraliste en informatique : développement, systèmes, réseaux, infrastructures, data, cybersécurité, robotique, intelligence artificielle, santé numérique… tout le spectre du numérique.

Nous recevons aujourd’hui environ 700 étudiants, dont la moitié en apprentissage. C’est une de nos spécificités : l’alternance est au cœur de notre modèle.

O. R : 3iL est présente à Limoges, Rodez et plus récemment Nantes. Comment se sont décidées ces implantations successives ?
D. B : La campus de Rodez est né en 2002, à la demande de la CCI de l’Aveyron et avec le soutien des industriels locaux. C’est une école 100 % en alternance, ancrée dans son territoire : les étudiants viennent et restent en Aveyron.

Nantes est une aventure plus récente, lancée en 2023 à la demande d’un partenaire local, dans un environnement économique dynamique. Nous avons obtenu l’accréditation CTI dès la première demande.

Rodez compte environ 40 à 45 étudiants par promotion, et Nantes vise une cinquantaine. L’ouverture d’un nouveau campus est toujours un défi : il faut du temps pour que les entreprises locales s’approprient le modèle de l’apprentissage.

O. R : Justement, le marché de l’apprentissage semble tendu…
D. B
: Oui, depuis deux ans, on observe un certain ralentissement. L’incertitude économique freine les entreprises, qui préfèrent parfois recruter à court terme plutôt que de s’engager sur trois ans. Cela touche surtout les nouveaux sites comme Nantes, où la dynamique doit encore se consolider. À Limoges, heureusement, nous avons un tissu d’entreprises fidèle.

O. R : Comment fixez-vous vos frais de scolarité ?
D. B
: Nous veillons à rester raisonnables : 5 500 € en classe préparatoire intégrée, et 7 500 € en cycle ingénieur à la rentrée 2026. Nos tarifs sont dégressifs et nous proposons également des bourses territoriales pour les élèves méritants de première année. Limoges reste une ville abordable : les loyers étudiants sont souvent autour de 350 €, et nous ajustons nos tarifs en fonction de cette réalité.

O. R : 3iL a obtenu le statut établissement d’enseignement supérieur privé d’intérêt général (EESPIG) en 2019. Qu’est-ce que cela vous a apporté ?
D. B : Ce statut s’inscrit dans notre ADN : une association à but non lucratif, gérée avec rigueur et au service des étudiants. Nous veillons à ce que chaque euro serve la formation, la pédagogie, l’international. Tous nos étudiants partent à l’étranger en cinquième année, y compris les apprentis. Nous les accompagnons financièrement grâce à des bourses régionales ou Erasmus.

O. R : Vous avez développé plusieurs chaires d’entreprise. Pouvez-vous nous en parler ?
D. B : Nous avons créée deux nouvelles chaires cette année : l’une autour de la robotique et de l’industrie 4.0, l’autre sur le numérique éthique et frugal avec le groupe La Poste, qui nous a fait un don de 400 000 € en serveurs reconditionnés. Ces chaires sont d’abord pédagogiques : elles permettent aux étudiants de travailler sur des projets réels, en lien direct avec les entreprises. Elles reposent sur une logique de co-construction : matériel, projets, expertise.

O. R. : Ces partenariats semblent très ancrés localement…
D. B.
: Nos formations naissent toujours d’un dialogue avec les acteurs du territoire. L’exemple du parcours Santé Numérique est parlant : il a été conçu avec l’Université de Limoges et les hôpitaux et structures médico-sociales locales. Nous adaptons ensuite les contenus aux compétences numériques requises : cybersécurité, data, IA, etc. L’objectif est clair : répondre aux besoins réels des entreprises et des territoires.

O. R : Et sur le plan financier, comment l’école se porte-t-elle ?
D. B
: Nous ne vivons pas de subventions massives : un peu d’EESPIG, la CVEC, la taxe d’apprentissage, et c’est tout. En revanche, nous n’avons aucun emprunt. Cela nous donne une vraie liberté de gestion. Nous investissons directement dans les équipements : salles de robotique, réalité augmentée, cybersécurité, IA… Je préfère financer des heures de cours et du matériel que des canapés design !

O. R : La VAE et la formation continue sont-elles des axes importants pour vous ?
D. B
: Aujourd’hui, tout le monde sait que la validation des acquis de l’expérience est très chronophage. Mais nous répondons toujours positivement à une demande de VAE émise par une entreprise partenaire avec 3iL de longue date. Et notamment au travers de nos titres RNCP.

C’est beaucoup plus compliqué pour un titre ingénieur. Les candidats ont parfois du mal à justifier les compétences scientifiques requises. Pour y répondre, nous avons développé avec la Commission des titres d’ingénieur (CTI) une offre de formation continue diplômante, plus souple et adaptée aux profils en poste. C’est du sur-mesure, de la dentelle mais c’est la seule façon de garantir la qualité.

O. R : Vos titres RNCP (Répertoire national des certifications professionnelles) ont une importance particulière ?

D. B : Nous délivrons quatre titres RNCP que nous déployons chez des partenaires selon une philosophie claire : le contrôle total du contenu et de la qualité. Nous ne nous contentons pas d’indiquer qu’elles sont les compétences à valider. France Compétences peut le vérifier et c’est sans doute cette exigence qui explique que nous les conservions.

O. R : Comment pensez-vous développer plus de ressources propres ?
D. B : Par la formation continue diplômante, que nous structurons davantage. Nous avons recruté récemment un collaborateur chargé de la commercialiser et d’accompagner les entreprises dans leurs besoins en formation et alternance. Nous ne cherchons pas à multiplier les sources de revenus, mais à les aligner sur notre mission : former.

O. R : Vous avez souvent évoqué votre ancrage territorial et la proximité avec les étudiants. Comment cela se traduit-il au quotidien ?
D. B : Nos campus restent à taille humaine. Les élèves connaissent les enseignants, et l’équipe administrative connaît chaque étudiant. L’exigence est forte : assiduité, implication, respect. Mais en retour, les étudiants disposent d’un environnement d’apprentissage complet, avec de vrais outils et des doubles diplômes à l’international. Nous privilégions la qualité à la quantité.

O. R : Comment abordez-vous la question de l’intelligence artificielle dans vos formations ?
D. B
: C’est une révolution. Nous avons choisi de l’intégrer dès la première année, mais en développant l’esprit critique. Nos étudiants apprennent à travailler « avec » l’IA, pas à la subir. Nous les incitons à réfléchir, à reformuler, à vérifier. Les évaluations se font sur machine déconnectée, pour garantir l’authenticité du travail. Et nous avons lancé un nouveau module combinant mathématiques et algorithmique pour leur réapprendre la rigueur du raisonnement.

O. R : Cela passe aussi par un retour au papier-crayon !
D. B
: Nous les poussons à écrire, à raturer, à chercher. Certains sont déstabilisés : pour eux, tout doit être propre et parfait du premier coup. Mais apprendre, c’est essayer, recommencer. Nous leur montrons que l’IA peut aider à formuler, pas à penser à leur place. La clé, c’est de comprendre ce que l’on fait.

O. R. : Et côté discipline numérique ? Téléphones, ordinateurs…
D. B.
: En prépa, les téléphones sont dans les sacs, les ordinateurs fermés sauf si le cours l’exige. Sinon, impossible de capter l’attention de nos étudiants. C’est une question d’habitude et de respect du cadre mais les élèves s’y font très bien. D’ailleurs, ils apprécient ce retour à la concentration. Peut-être qu’un jour, nous leur proposerons une pause sans téléphone, juste pour voir s’ils peuvent encore se parler !

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