Tout juste confirmé dans ses fonctions de directeur de l’INSA Lyon, Eric Maurincomme dresse un bilan de ses cinq premières années de mandat et dresse son plan d’action pour les cinq années à venir. 100% de ses étudiants doivent avoir été formés à l’innovation d’ici 5 ans !
Olivier Rollot : Vous venez de démarrer un deuxième mandat de 5 ans à la tête de l’INSA Lyon. Quel bilan tirez-vous des cinq années passées ?
Eric Maurincomme : Nous avons remis en marche une institution qui avait un peu dérivé. Nous avons aujourd’hui des budgets transparents et un pilotage efficace. Cela nous permet de mener une vraie politique d’investissements avec 24 M€ (sur un budget annuel de 130 M€) consacrés à la rénovation des bâtiments et d’amphithéâtres qui n’avaient pas été rénovés depuis 50 ans. Nous avons également créé de nouveaux espaces pédagogiques favorisant la créativité et l’innovation. Ainsi que des investissements d’aménagements des espaces verts, dédiés aux étudiants et personnels.
Nous avons également mené une vraie politique de ressources humaines pour mettre par exemple au pot commun tous les postes occupés par un titulaire partant à la retraite : plus question d’affecter automatiquement un poste alors qu’il faut développer de nouvelles compétences, comme par exemple la plastronique (qui mêle électronique et plastique), la robotique, ou la fabrication additive.
Cela nous amène à notre politique de formation que nous avons entièrement remise à plat, dans le cadre des visites d’accréditation de la Commission des titres d’ingénieur (CTI). Nous avons réaffirmé que 20% de nos cours étaient consacrés aux humanités au sens large, incluant sport, langues, et sciences humaines et sociales, en pensant toujours aux compétences acquises. Un exemple très pratique : on ne donne pas de cours de rugby pour « apprendre » ce sport, mais surtout pour transmettre les compétences de se connaître soi-même, connaître ses limites, savoir travailler en équipe, respecter les règles, aimer la compétition mais aussi apprendre à gagner et à perdre.
O. R : Votre recherche a également été réaffirmée dans cette dimension « humaine » ?
E. M : Notre politique de recherche est fondée autour des enjeux sociétaux et de l’impact de la science et de la technologie sur la société. Nous avons dégagé cinq grands enjeux sociétaux (plus un 6ème avec l’université voisine) qui vont des transports à l’environnement en passant par l’énergie pour un développement durable, la société numérique et la santé. Pas moins de 17 de nos 21 laboratoires de recherche se préoccupent de l’ingénierie pour la santé par exemple.
O. R : Au-delà de l’apport des sciences humaines, qu’est-ce qui caractérise l’INSA Lyon ?
E. M : Nous proposons neuf spécialités [biochimie et biotechnologies, génie civil et urbanisme, informatique, génie mécanique, etc.] qui font de l’INSA Lyon une école d’ingénieurs de spécialités très généraliste. Après deux années postbac qui permettent l’acquisition de la culture scientifique, nos étudiants se spécialisent petit à petit. Nous avons réaffirmé cette politique de formation qui nous a permis en 2015 d’apparaître dans les 200 premières universités du monde en ingénierie, technologie et informatique dans le Classement de Shanghai.
O. R : L’INSA Lyon est particulièrement renommé pour sa capacité à valoriser sa recherche et à lever des fonds auprès des entreprises.
E. M : Notre filiale de valorisation, INSAValor, et notre Fondation (qui a levé 15 M€ en cinq ans dont 14 M€ viennent des entreprises) nous permettent de dialoguer de bien des manières avec les entreprises. Nous pouvons contractualiser aussi bien sur des projets de recherche que sur des bourses d’études ou encore des chaires. Quand nous développons un double diplôme avec l’Institut de Technologie de Karlsruhe, cela intéresse Michelin qui veut se développer en Allemagne. Quand la même entreprise veut se développer en Chine, elle vient rencontrer les 300 étudiants chinois qui étudient sur notre campus.
O. R : Pourquoi ce succès qui fait rêver plus d’une grande école ?
E. M : Tout cela fonctionne parce que les entreprises participent vraiment à l’action de notre Fondation et connaissent notre marque. Elles constituent la majorité de la gouvernance de notre Fondation, et participent ainsi aux décisions d’investissement.
Nous prônons une innovation ouverte dans laquelle on fait confiance aux universitaires. Il faut des projets précis pour convaincre une entreprise d’investir dans une université ou une école. Nous venons par exemple de signer avec la société SPIE une chaire d’enseignement et de recherche sur l’internet des objets connectés, qui encadre 5 ans de collaboration avec l’INSA et l’un de nos laboratoires, le CITI.
O. R : Qu’en est-il de votre dimension internationale ?
E. M : Elle est considérable avec pas moins de 200 partenaires. Nous nous concentrons particulièrement sur 50 d’entre eux. D’abord en Europe mais aussi en Amérique du Nord, Asie, Amérique Latine sans parler de l’Afrique où nous avons ouvert, avec les autres INSA, l’INSA Euro-Méditerranée de Fès. L’année dernière, 65 étudiants y ont fait leur rentrée et nous pensons doubler ce nombre cette année pour monter jusqu’à 200 étudiants.
Pour affirmer cette nécessité d’internationalisation, la mobilité internationale est désormais obligatoire pour obtenir le diplôme d’ingénieur, soit à travers un ou plusieurs semestres d’échange académique, soit à travers un stage à l’étranger, dans un laboratoire ou une entreprise.
Mais notre campus est également « global » : environ 1800 de nos 6000 étudiants sont étrangers et proviennent de 92 pays. Nous possédons des bureaux de représentation à Shanghai, au Vietnam, ou en Amérique Latine pour présenter les INSA. Des entreprises étrangères ou françaises nous aident parfois en accordant des bourses pour aider des jeunes à venir nous rejoindre pendant 5 ans. Cette année, en première année juste après le bac, nous accueillons près de 200 étudiants étrangers sur une promotion de 900 élèves. Ceux-ci ont pris possession des lieux plus tôt que les autres, et sont arrivés sur notre campus dès le 3 août pour suivre, des cours de français langue étrangère intensifs et une remise à niveau en maths-physique.
O. R : Comment favorisez-vous le développement de la culture de l’innovation chez vos étudiants ?
E. M : Nous leur donnons accès à des lieux de rencontre et de prototypages avec par exemple des imprimantes 3D. Mais également à de nombreux locaux associatifs où ils peuvent construire leur fusée, leur robot, ou leur véhicule automobile pour concourir dans des compétitions étudiantes internationales.
Nous avons également créé un pré-incubateur dans le cadre de notre filière étudiant entrepreneur – qui existe depuis 15 ans ! – dont le dernier semestre de la 5ème année est consacré à la création d’une start-up. Ensuite, ils peuvent créer leur entreprise au sein de l’incubateur technologique de PULSALYS, la société d’accélération du transfert de technologie (SATT) de l’Université de Lyon, implanté sur notre campus. Chaque année, quinze projets sont incubés en moyenne par nos étudiants.
Mais l’important n’est pas forcément de créer son entreprise mais de se mettre en capacité d’innover. Nous sommes aujourd’hui face à des innovations de rupture et les grandes entreprises doivent cultiver cette capacité. Notre objectif : 100% de nos étudiants doivent avoir été formés à l’innovation d’ici 5 ans !
O. R : Vos étudiants se placent particulièrement bien sur le marché du travail.
E. M : Ce qui n’empêche qu’ils aient une certaine humilité à laquelle nous sommes attentifs. Nous leur disons toujours de ne pas oublier qu’on n’est « pas plus intelligent que les autres » ! La bonne nouvelle de l’année dernière a été que, pour la première fois, les filles diplômées de l’INSA Lyon ont un salaire médian plus élevé que ceux des garçons. C’est important car, si nous recevons en tout 33% de filles, elles sont 42% en première année (alors qu’elles ne représentent que 28% des candidatures). Nous aimerions monter à 50%, car nous savons qu’ensuite les garçons sont plus nombreux parmi les étudiants que nous recrutons après une classe prépa ou un DUT.
O. R : La pluridisciplinarité est de plus en plus demandée par les entreprises : vous proposez des doubles diplômes avec d’autres établissements ?
E. M : Nous voulons nous ouvrir encore plus aux autres disciplines, que ce soit l’architecture, le design ou le management, sur le modèle du Politecnico de Turin dont nous sommes proches. La manière de penser d’un architecte sur l’utilisation de l’objet dans la ville, il faut la transmettre à nos ingénieurs. Nous avons déjà chaque année 10 architectes qui viennent chez nous obtenir un double diplôme et autant d’ingénieurs INSA diplômés de l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon. Dès la 3ème année, ils sont baignés dans les deux cultures.
Pour le management, nous avons des doubles diplômes avec l’IAE de Lyon, ou les étudiants suivent des enseignements de management et un projet de fin d’études reconnus par notre partenaire.
En design, nous travaillons avec le lycée public de La Martinière, surtout autour de « challenges » étudiants.
Enfin pour susciter la créativité, près de 400 étudiants suivent l’une de nos filières « arts études » (musique, arts plastiques, danse, théâtre). Nous allons prochainement reconnaître davantage l’engagement artistique de nos élèves-ingénieurs-artistes, en leur délivrant un supplément au diplôme « d’ingénieur – artiste ».
O. R : Après leur diplôme, vos étudiants pensent-ils à se lancer dans un doctorat ?
E. M : Aujourd’hui, 8% de nos diplômés poursuivent en thèse, c’est 25% de plus qu’il y a cinq ans. Nous sommes persuadés que le futur d’un docteur, c’est l’entreprise, et que de plus en plus d’ingénieurs doivent poursuivre leur cursus. Pas forcément dans notre école, pas forcément en France, mais poursuivre en doctorat pour ajouter des compétences spécifiques liées aux travaux de recherche, et pour que les entreprises investissent sur ces profils d’ingénieurs – docteurs. Tout le problème est qu’aujourd’hui, suivre un doctorat, c’est souvent accepter d’être moins rémunérés qu’un ingénieur-débutant, sauf dans le cas des contrats CIFRE, qui sont des CDD de 3 ans au sein d’une entreprise, et qui permettent d’effectuant sa thèse dans ou en lien avec un de nos laboratoires.
O. R : C’est la rentrée, mais une note de vacances pour finir. Votre campus accueille chaque année le Tony Parker Camp en juillet. Comment avez-vous eu cette idée ?
E. M : Nous accueillons le Camp Tony Parker depuis cinq ans au mois de juillet avec 300 jeunes qui participent au plus grand camp de basket en dehors des Etats-Unis. L’idée est venue après avoir rencontré Tony Parker fin 2011, qui souhaitait organiser un camp de jeunes dans la région, suite à son investissement dans le club de l’ASVEL, dont il a pris la présidence en 2014. Je souhaite faire bénéficier « la société » de nos chambres et de nos infrastructures sportives, inoccupées pendant l’été [voir la vidéo 2015 sur YouTube], et ce camp de jeunes sportifs en est une illustration parfaite.