Il fut un temps où les choses étaient simples : les universités produisaient de la recherche, les Grandes écoles répondaient aux besoins de professionnalisation des entreprises. Mais ça c’était avant. Avant que la mondialisation rapproche les entités : en 2021 les universités forment des jeunes qui s’insèrent très bien sur le marché de l’emploi et les Grandes écoles produisent une recherche de première qualité. L’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (Igésr) vient justement de publier un rapport passionnant sur La place de la recherche dans les grandes écoles et les écoles d’ingénieurs. Il en ressort notamment que « l’adossement des formations à la recherche s’est clairement accentué depuis ces dix dernières années sous le double mouvement des évaluations nationales et internationales. Des écoles qui pouvaient être tournées principalement vers l’enseignement ont investi le champ de la recherche. Non seulement, certaines écoles forment avec et par la recherche, mais elles forment aussi maintenant pour la recherche ».
Ce tournant « recherche » est clairement perceptible via le changement de composition du corps enseignant, très largement constitué de titulaires d’un doctorat (ou parfois d’un PhD en ce qui concerne les écoles de commerce). L’accentuation de la compétition internationale pour recruter les meilleurs étudiants et enseignants a en effet incité les établissements à investir dans la recherche, qui constitue un « critère différenciant ». Mais attention, la mission de l’Igésr n’en constate pas moins que « si certaines écoles fonctionnent comme des opérateurs de recherche ou sont intégrées dans des politiques de site dynamiques, d’autres suivent sans être motrices, voire ont une faible production scientifique, ce qui est problématique au regard de leur statut et du devenir de leurs étudiants »
Des exigences liées aux grades. La première des sept exigences de l’arrêté du 27 janvier 2020 relatif au cahier des charges des grades universitaires de licence et de master est celle de « garantir la qualité académique et un adossement à la recherche de la formation ». L’arrêté consacre ainsi le lien entre la qualité académique d’une formation et son adossement à la recherche : « le lien entre la formation et les activités de recherche et d’innovation contribue à garantir le niveau de qualité souhaité pour la collation du grade et l’actualité des savoirs et compétences enseignés ».
De plus le cahier des charges ajoute une autre exigence : celle d’un adossement du programme à la recherche, en l’occurrence, pour le grade de licence, une initiation à la recherche et pour le grade de master, une formation à la recherche (via des conférences de chercheurs, des mémoires de recherche, lectures d’articles, etc., et plus largement un ancrage recherche de l’établissement au sein d’une politique de site).
Comme le note l’Igésr entre 2014 et de 2020, l’adossement à la recherche est « devenu un critère à part entière » des évaluations de la Cefdg (Commission d’évaluation des formations et diplômes de gestion) . Dans le cas d’une demande de grade de licence ou de master, les critères édictés par la Cefdg dans son référentiel d’évaluation pour octroyer un grade recouvrent ainsi le fait :
- d’avoir un corps professoral composé d’au moins 50 % de docteurs ;
- de justifier de 50 % du volume horaire assuré par des professeurs permanents pour le grade licence – et 66 % pour le grade master ;
- de justifier d’au moins un tiers du volume horaire pour le grade licence – et deux tiers pour le grade master – assurés par des professeurs permanents produisants, notamment en gestion
Ecoles d’ingénieurs : comment favoriser le doctorat ? La procédure d’évaluation des formations d’ingénieurs par la Commission des titres d’ingénieur (CTI) repose sur un document de références et d’orientations (R&O) dans lequel figure « la capacité à effectuer des travaux de recherche fondamentale ou appliquée, à mettre en place des dispositifs expérimentaux ». La comparaison du R&O 2020 avec ses versions antérieures montre que l’adossement à la recherche occupe une place de plus en plus importante dans la procédure d’accréditation de la CTI. Le lien recherche-formation a ainsi été promu au rang de critère majeur d’orientation stratégique d’une école d’ingénieurs, en même temps que la politique de site. Le R&O 2020 introduit ainsi plusieurs modifications avec, par exemple, l’exigence de partenariats recherche avec des laboratoires reconnus internationalement au-delà des simples « relations partenariales » évoquées par le R&O 2016.
Cela reste un point noir des école d’ingénieurs : peu de leurs diplômés poursuivent ensuite leur cursus par une thèse. On compte ainsi environ 3,1% en 2020 d’ingénieurs faisant ce choix. Les disparités sont considérables : quand l’ESPCI compte le taux de poursuite en doctorat le plus élevé (53 % dans la promotion 2020) et l’École polytechnique vise 30% de poursuite d’études de ses ingénieurs en thèse, ils sont seulement 0,9% dans les école d’ingénieurs privées à faire ce choix. Résultat : si le nombre d’ingénieurs qui s’inscrivent en thèse augmente régulièrement – il est passé de 1 444 en 2014 à 1 571 en 2018, soit une augmentation de 9% – cela reste marginal.
Une « académisation » des écoles de management. Côté écoles de management on comptait 349 thèses de gestion soutenues en 2018 (contre 298 en 2017) avec une importante concentration, puisque huit établissements ont fait soutenir 42% des thèses en 2018, dont une seule grande école, l’ESSEC. Les autres écoles apparaissent plus loin dans le classement : HEC en 9ème position, l’ESCP en 12ème et Mines ParisTech en 16ème. Ainsi, 91% des thèses en gestion étaient produites par des universités en 2018. Ne pouvant pas, sauf cinq d’entre elles (HEC, ESCP, ESSEC, Rennes School of Business et l’Institut mines Télécom business school), délivrer de doctorat en propre, les écoles de commerce ont en effet développé des PhD.
Les données disponibles de la Cefdg montrent ainsi que l’on assiste depuis ces dernières années à une « académisation » des écoles de management fondée sur le recrutement accru de PhD. En 2014, on comptait 58% de titulaires d’un doctorat dans les écoles de commerce (dont 16% d’un PhD) contre 64% en 2018 (dont 20% d’un PhD). En 2014, les deux-tiers (65%) des écoles comptaient moins de 75% de leurs enseignants titulaires d’un doctorat ou d’un PhD, elles n’étaient plus qu’une petite moitié (45%) quatre ans plus tard.
Ecoles d’ingénieurs : cap sur la recherche partenariale. En moyenne, en 2019, les dépenses recherche des écoles d’ingénieurs du P150 (qui regroupe les crédits budgétaires que l’État consacre à l’enseignement supérieur et aux formations universitaires et retrace les crédits des établissements qui en sont opérateurs, soit 35 écoles d’ingénieurs en 2019) représentent 28% de leurs ressources totales, soit un pourcentage semblable à celui des universités, qui se situent autour de 27%.
Si des écoles consacrent une très forte proportion de leur budget à l’effort de recherche (ENSMA Poitiers 51 %, ENSC Paris 45 %, ENSC Montpellier44 %, Centrale Nantes, 42%), d’autres y consacrent une faible part (moins de 20 % pour SIGMA de Clermont- Ferrand, INSEA de Cergy, INSA de Lyon, ENI de Saint-Étienne, INSA de Strasbourg). Une disparité qui se retrouve d’ailleurs au niveau des universités puisque, toujours en 2019, Sorbonne Université consacrait 52% de ses dépenses à la recherche, l’université Paris Diderot 39%, l’université de Bordeaux 33% et Amiens 28% par exemple.
La présence des industriels du début à la fin des formations et dans les conseils d’administration et de perfectionnement des école d’ingénieurs oriente leur recherche vers les partenariats industriels. Selon l’Igésr, ce phénomène est « amplifié depuis vingt ans par la présence de plus en plus forte de projets réalisés par des équipes d’élèves-ingénieurs sur des sujets fournis par les industriels ».
Le rôle des écoles d’ingénieurs dans la recherche partenariale s’illustre dans leur implication dans les instituts Carnot (55% de la recherche partenariale française). La moitié d’entre eux (dont les quatre plus importants par le chiffre d’affaires) sont ainsi portés par des écoles d’ingénieurs qui représentent 50 % du chiffre d’affaires global. Sur les 39 instituts Carnot labellisés par le MESRI, les écoles d’ingénieurs sont partenaires actifs de 22.
Ecoles de management : la piste des étoiles. Comme le note l’Iégesr, « les classements nationaux et internationaux ont eu un impact grandissant pour les écoles de management avec cette particularité que seule la publication d’articles est prise en compte ». Selon l’Igésr il faut distinguer les écoles très peu productives en recherche (les EGS essentiellement), celles qui produisent moins de 200 publications par an (dont HEC et l’Essec) et celles qui en comptent entre 200 et 250 (MBS et ESCP) et enfin trois très prolifiques que sont l’Iéseg, l’Insead et Kedge.
Au total le nombre d’articles publié par les écoles de management a progressé de 1 442 en 2014 à 2 100 en 2018. Mais attention : il faut aussi prendre en compte le rang de ces publications. Concentrée sur les publications de rang 1* et 1, HEC en produisait 61% en 2017, soit 30% du total à elle seule. Alors que le taux d’encadrement moyen des étudiants a peu évolué entre 2014 (37 étudiants par enseignant) et 2018 (39), le nombre moyen d’articles par école est passé de 27 à 41 (et de 82 à 101 toutes publications confondues), sans que le nombre d’enseignants ait sensiblement augmenté sur la période.
Ce qui a pu poser problème dans certaines écoles dont la production de recherche est sans commune mesure avec la qualité des enseignements. Un coût exorbitant qui finit par obérer leur recrutement même. Les écoles de taille moyenne se retrouvent en effet « face à des arbitrages pour optimiser leur budget recherche en fonction des productivités scientifiques supposées des chercheurs recrutés, des sous-domaines de recherche spécifiques (sur lesquels elles peuvent se différencier) et des montées en compétences internes. »
Partenaires des universités (mais par trop). Comme l’explique l’Igésr, les écoles font « face à un dilemme entre la valeur ajoutée apportée par l’intégration à un regroupement, en termes d’interdisciplinarité, de moyens, d’attractivité et de visibilité internationale, et la conservation d’une autonomie de décision ». Les grandes écoles – essentiellement d’ingénieurs – sont ainsi impliquées dans 310 unité mixte de recherche (UMR) avec le CNRS et très majoritairement des universités, que ce soit comme tutelle principale ou secondaire, soit 27 % du total des unités du CNRS. Seules 18 grandes écoles sont cotutelles de trente-quatre unités mixtes de recherche avec des organismes de recherche en l’absence d’universités81, généralement pour une seule unité de recherche sauf pour l’Institut Polytechnique de Paris (9), le CNAM (4), l’ENSTA (4) ou l’ENSAM (3).
Comme le note l’Igésr, les écoles universitaires de recherche (EUR) ont « également été un vecteur de coopération pour les écoles d’ingénieurs et les grands établissements ». La première vague de l’appel à projet a retenu 20 écoles d’ingénieurs impliquées dans douze EUR, trois de ces projets regroupant jusqu’à 4 écoles d’ingénieurs différentes, essentiellement publiques. Mais, seule une école d’ingénieurs est établissement porteur d’une EUR (ISAE-SUPAERO porte l’EUR TSAE). Et seule une école de commerce est impliquée dans une EUR : Skema dans l’EUR UCA DS4H).
S’agissant justement des écoles de management, l’Igésr a pu également constater « des relations parfois difficiles avec les universités ». HEC ne participe ainsi à aucun des deux regroupements à Saclay, privilégiant une coopération via une école doctorale ou un Labex.
Les préconisations de l’Igésr. Dans leur rapport les inspecteurs de l’Igésr font neuf recommandations dont celle pour l’ensemble des grande écoles d’« interroger le positionnement, voire l’autonomie des écoles à faible impact au niveau de la recherche et favoriser leurs regroupements dans des ensembles plus vastes, leur permettant notamment de mieux répondre aux appels à projets nationaux et internationaux ».
Plus spécifiquement du côté école d’ingénieurs, l’Igésr suggère notamment :
- d’«intégrer le taux de poursuite en thèse des ingénieurs dans la contractualisation entre le MESRI et les écoles » et d’« engager une campagne de valorisation des docteurs de toutes les écoles » ;
- de « consolider l’adossement à la recherche des classes préparatoires (initiation à la recherche, recrutements de docteurs, etc.) et encourager la poursuite des activités de recherche des professeurs par leur association à un laboratoire de recherche » ;
- d’« intensifier la participation des enseignants-chercheurs des grandes écoles et écoles d’ingénieurs à des laboratoires de recherche associant universités et organismes de recherche, en l’intégrant comme critère des référentiels d’évaluation des écoles » ;
- que « les stages en laboratoire permettent de délivrer le « quitus de stage ».
Côté écoles de management, l’Igésr préconise:
- d’« inclure un critère d’adossement à la recherche » pour l’évaluation par la Cefdg (Commission d’évaluation des formations et diplômes de gestion) ;
- de faire « réaliser une évaluation des programmes de PhD des écoles de commerce par le Hcéres et intégrer au sein des critères de la Cefdg le devenir des masters en PhD ».
L’Igésr a retenu dans le périmètre de son étude 51 établissements évalués par la Cefdg en 2018 pour les écoles de management, et 203 établissements compris dans le périmètre des données dîtes certifiées de la CTI en 2020 pour les écoles d’ingénieurs.
Photo : ArtsMétiers-Laboratoire–Conception-de-produits-et-Innovation