L’ensemble des établissements d’enseignement supérieur délivre maintenant de nouveau des cours en présentiel tout en maintenant un fort pourcentage de cours en distanciel. Mais quelle sera leur pédagogie demain ? Parce que le monde post Covid ne sera le monde pré Covid. Parce que les entreprises changent et s’hybrident et que les jeunes diplômés doivent y être préparés. Parce que les écoles ont beaucoup appris, l’avenir de l’enseignement ne sera sans doute ni totalement distanciel, ni totalement présentiel. Il sera mixte.
Un retour progressif. Après des mois de travail à distance, les établissements d’enseignement supérieur ont commencé à rouvrir leurs portes à leurs étudiants le 25 janvier 2021 et encore plus largement le 8 février. Comme l’indiquait la circulaire du MESRI publiée le 22 janvier « à compter de la publication de la présente circulaire et au plus tard le 8 février, tous les établissements accueilleront des étudiants en présentiel dans la limite de 20 % de leur capacité d’accueil globale et dans le respect des consignes sanitaires en vigueur ». Pour les étudiants, cette reprise correspond au moins à l’équivalent d’une journée de présence par semaine qu’avait promis Emmanuel Macron. Ce 8 février 2021, ce sont par exemple 750 étudiants qui ont fait le retour en simultané sur le campus de Grenoble Sémard de Grenoble EM (133 autres sur son campus de GEM Labs à Grenoble et 121 à Paris). « L’idée est de renforcer la cohésion entre étudiants mais nous n’obligeons personne à revenir. Les étudiants qui le souhaitent peuvent rester à distance sans motif. C’est notamment le souhait de ceux dans les formations en alternance ou en dernière année d’étude » explique le directeur général adjoint de l’école, Jean-François Fiorina. GEM prévoit maintenant de maintenir ce fonctionnement jusqu’à la fin de l’année scolaire avec des examens à distance pour tous.
Un retour vraiment bienvenu. Une enquête réalisée fin novembre dans une quinzaine d’établissements révélait que 40% des étudiants ressentaient un fort sentiment d’isolement et de solitude et que la moitié avait peur de décrocher. « Il y a de vrais risques de décrochage et, pour certains, de dépression, et ce malgré les efforts très positifs faits par de nombreuses Grandes Ecoles et Universités pour maintenir le lien et accompagner les étudiants dans cette période particulière », estimait aisni Delphine Manceau, la directrice générale de Neoma BS qui se disait « préoccupée de l’état psychologique des étudiants. Sans oublier les étudiants internationaux qui sont arrivés en octobre et qui pour certains vivent assez isolés ». Depuis le 11 janvier, Neoma accueillait ainsi de nouveau des étudiants sur ses campus, en petits groupes comme s’en félicitait Delphine Manceau : « Cette réouverture va aider certains étudiants à revenir dans une dynamique collective d’apprentissage avec leurs camarades et en présence de leurs professeurs. Les étudiants de première année sont ceux qui ont le plus besoin de venir sur des campus qu’ils connaissent à peine et où ils n’ont pas eu le temps de se faire beaucoup d’amis depuis le mois de septembre ».
Comment l’enseignement supérieur s’est (plus ou moins) adapté. C’est un constat unanime : face à la pandémie la plupart des acteurs de l’éducation ont été pris de court. Comment le notent les chercheurs de l’Inria dans leur Livre Blanc « Éducation et numérique Défis et enjeux », d’une part des outils « préconisés par les structures de formation se sont révélés inadaptés dans de nombreuses situations, d’autre part beaucoup d’enseignants ont plébiscité des plates-formes permettant de mettre à disposition des contenus, d’entretenir des échanges, voire de dispenser quelques cours ». Les experts de l’Inria soulignent donc la « nécessité de développer des nouvelles collaborations entre les enseignants, les élèves et les parents pour soutenir l’apprentissage des élèves et fait apparaître le défi de penser les modalités de la formation tant synchrone qu’asynchrone ». Mais la nécessité d’un recours massif aux pratiques numériques a surtout selon eux « souligné le déficit de formation d’une partie du monde enseignant ». « L’apprentissage de la pensée informatique doit faire partie de la pensée humaine, au même titre que les arts ou la culture générale », demande l’un des auteurs de l’étude, Gérard Giraudon, qui rappelle qu’il s’agit de la « quatrième grande révolution de l’humanité après la pierre taillée, l’agriculture et la machine à vapeur ». Au-delà de la technique des questions de droit à l’image se sont également posées. On a ainsi vu des professeurs de droit de Paris 1 Panthéon-Sorbonne refuser de faire cours en visio de peur de se faire « voler » leurs cours. Ou même accepter d’être filmés à condition de… ne pas apparaître à l’image.
Du côté des élèves et des étudiants l’une des difficultés a été de s’adapter et de jongler entre les approches très diverses de leurs enseignants : récupérer des consignes sur ProNote, passer de Skype à Discord pour suivre un cours, après être allé récupérer des fichiers pdf ou audio sur Moodle et avoir envoyé une évaluation par e-mail a souvent constitué un « redoutable parcours du combattant » selon les auteurs de l’étude. La performance des moyens informatiques mis à disposition des équipes pédagogiques est également très variable : au début il a souvent fallu travailler avec des moyens prévus pour quatre fois moins d’étudiants qu’il n’y en avait finalement avec le confinement. Résultat : les étudiants allument plus ou moins leurs caméras en fonction des capacités du réseau. Mais aussi de leur propre ordinateur. Ce qui rend le contact avec les étudiants très difficile pour l’enseignant. Heureusement le tchat permet de poser des questions par écrit en direct pendant le cours. Souvent même les enseignants constatent une meilleure interactivité que dans des cours classiques. Et la prise de parole d’étudiants jusque-là muets et maintenant désinhibés.
Des salles en mode flex. Si tous ces problèmes ne sont pas totalement derrière nous – la technique reste souvent capricieuse – les progrès sont impressionnants. Notamment dans les écoles de management. « Dès la fin du premier confinement, nous avons réfléchi à la mise au point d’une pédagogie hybride permettant de réaliser en même temps les cours en face à face avec 50% des étudiants et les cours en distanciel avec les autres étudiants. Nous avons alors rapidement investi (un million d’euros !) dans du matériel le permettant. Nous pouvons donc dorénavant basculer facilement d’un mode à l’autre », se souvient Patrice Houdayer, qui résume bien comment en un an les établissements d’enseignement supérieur, et singulièrement les écoles de management, sont passées d’une adaptation subie à une capacité à évoluer rapidement d’un monde d’enseignement à l’autre. Et même de pratiquer les deux en même temps.
Rennes SB a ainsi transformé un bâtiment entier qui fonctionne intégralement en mode « eLive » dans le cadre de son « Projet Flex ». 30 salles sont équipées pour délivrer un enseignement combinant dans une même situation pédagogique les interactions entre des étudiants en présence et à distance, y compris à l’étranger. « Nous construisons un campus résilient, c’est-à-dire apprenant et agile. Nous allons encore ajouter de nouveaux équipements vidéo pour mieux visualiser les étudiants dès qu’ils interviennent en cours », commente Thomas Froehlicher qui entend maintenant équiper 80 salles avec l’environnement Teams Education.
Même réflexion du côté de Grenoble EM qui déploie ses « Hyflex rooms » pour dispenser un cours à des publics à distance et en présentiel en simultané. En ce début 2021, GEM en compte 32 (20 sur son campus de Grenoble Sémard, 5 à GEM Labs et 7 à GEM Paris) pour un investissement total de 1,2 million d’euros. Chacune des salles permet d’accueillir jusqu’à 40 places assises (plus deux salles de 120 places) et peut accepter jusqu’à 300 connexions simultanées soit une capacité totale théorique de plus de 10 000 places. « Pour que l’enseignement à distance soit une expérience la plus concluante possible, il faut que les étudiants puissent s’engager. Cela signifie qu’il faut scénariser les cours différemment : parfois prévoir plus de pauses ou de travail en petits groupes pour moins d’heures de cours « magistral » afin de ne pas subir le cours mais y participer », confie Jean-François Fiorina, qui insiste : « Nos salles Hyflex sont révolutionnaires parce qu’elles permettent un enseignement dans plusieurs dimensions. Le professeur est à la fois en face à face avec ses étudiants dans la classe et à distance. Il diffuse à tous les mêmes documents. Partout dans le monde, même à domicile de manière temporaire ou prolongée, l’étudiant peut suivre le même cours. Ainsi, nous pouvons nous organiser et respecter les jauges. S’il faut scinder les groupes de TD actuels, un professeur pourra tout de même enseigner à l’ensemble des étudiants en une seule fois du début à la fin d’un module, sans avoir à dupliquer plusieurs fois ses cours ». De plus le distanciel permet de faire intervenir d’autres personnes. Pascal Boniface, le directeur de l’Iris, peut se joindre pendant une demi-heure à un cours de géopolitique à distance, répondre à quelques questions puis passer à ses autres activités. C’est beaucoup plus simple que de faire coïncider des agendas.
Distanciel + présentiel : la nouvelle norme ? Le constat est unanime : si l’enseignement à distance a sauvé les étudiants du tableau vide il ne peut certainement pas suffire. Du moins pas longtemps. Au fil des mois les enseignants ne peuvent que constater que leurs étudiants perdent le fil, sont moins concentrés, moins motivés. Mais il n’est pas non plus question de revenir au monde d’antan. « Vers la fin des cours en présentiel et des campus ? » s’interroge ainsi Sébastien Tran, le directeur général adjoint du Pôle Léonard de Vinci sur le site Management & Datascience, tout en rassurant : « Il est assez illusoire de penser que la plupart des formations peuvent être dispensées entièrement en ligne dans un monde post-Covid. On rejoint la problématique classique de l’acceptabilité sociale des technologies qui montre que la difficulté majeure réside dans les changements des habitudes et des pratiques des individus ». D’autant que « le passage à distance nécessite en effet de revoir intégralement l’ingénierie des contenus et des modalités d’évaluation, tout en s’assurant de la maîtrise des nouveaux outils ».
Si la mise en place de cours mixtes répond aujourd’hui à la nécessité de conserver des « jauges », demain elle sera sans doute la norme. « Après la pandémie nous n’allons pas revenir à la vie d’avant. Il faudra notamment faire évoluer nos traditions quand dans nos écoles on répète tout. Cela doit ouvrir à l’innovation alors que nos écoles évoluent, se regroupent, se numérisent et diversifient leur recrutement », confiait ainsi François Bouchet, le directeur général de l’Ecole polytechnique, lors de la dernière assemblée générale de la Conférence des Grandes écoles (CGE). « Nous allons devoir réaménager nos locaux, notamment pour réaliser plus de travaux entre les établissements en interdisciplinarité », établit quant à elle Nathalie Mezureux, directrice de l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Lyon.
Quant à Jean-François Fiorina il insiste sur la nécessité de « capitaliser sur ce que nous avons mis en place durant cette période inédite et non pas espérer revenir à nos pratiques du monde d’avant. L’erreur serait d’opposer le distanciel du présentiel alors qu’ils sont complémentaires. A nous de trouver de nouveaux modèles hybrides pour le bien de nos étudiants ». D’autant qu’il s’agit également pour les écoles de s’adapter aux besoins d’entreprises pour lesquelles les changements d’organisation du travail sont déjà une réalité : « Le distanciel c’est à la fois mieux pour le bien être, moins cher pour les loyers et meilleur pour la planète. Nous devons préparer nos étudiants à ces nouvelles dimensions tout en leur proposant une expérience étudiante différente ».
De si beaux (mais vraiment si utiles) campus ? « La crise sanitaire interroge également les établissements sur la pertinence de leurs actifs physiques, notamment leur campus, et plus généralement sur le fait d’avoir encore besoin d’autant d’espaces physiques », s’interroge Sébastien Tran, qui se veut là aussi rassurant : « Les campus physiques ont encore quelques belles années devant eux et il est plus probable que l’on assiste à une cohabitation de campus physiques et virtuels. En effet, les campus physiques sont des lieux de structuration des interactions sociales et qui facilitent par ailleurs les échanges virtuels ensuite entre les individus ».
Oui mais où vont alors aller en priorité les investissements ? La parole à Emmanuel Métais, directeur général du groupe Edhec, qui constate : « Ces dix dernières années nous avons investi 150 millions d’euros sur nos campus qui sont absolument magnifiques. Dans les dix à vingt ans à venir, ce sera plutôt dans le digital qu’il faudra investir ». Pour lui aussi demain deux modèles vont donc cohabiter, le présentiel et le distanciel, qu’il ne faut pas opposer car ils « correspondent à des attentes totalement différentes. Les étudiants veulent venir sur nos campus, veulent avoir accès à des salles de cours et rencontrer leurs professeurs. EDHEC Online s’adresse à tous ceux qui ne peuvent pas se rendre sur nos campus pour des raison d’emploi du temps, d’éloignement géographique ou de handicap ». En 2025 l’Edhec estime ainsi que se plateforme EDHEC on line représentera 10% de son chiffre d’affaires. Les campus ont encore de beaux jours devant eux. A condition de s’adapter…