Avec plus de 8100 candidatures, les écoles du concours Ecricomen, Kedge BS et Neoma BS, sont encore celles qui en ont reçu le plus de la part des élèves de prépas en 2019. Le directeur général de Kedge BS, José Milano, revient avec nous sur la stratégie qu’il met en œuvre pour son école.
Olivier Rollot : Il y a maintenant 3 ans que vous êtes entré à Kedge BS et 18 mois que vous la dirigez. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur votre école ?
José Milano : Kedge aujourd’hui c’est une fusion réussie et un plan stratégique clair avec un positionnement différenciant. Notre école est accréditée Equis pour 5 ans, elle dispose d’une recherche de grande qualité et une gestion pérenne de ses ressources. Kedge ce sont aussi des équipes très attachées aux jeunes que nous formons, qui se professionnalisent et sont extrêmement engagées dans le développement de l’école.
Il nous reste maintenant à accentuer notre différenciation autour de l’intégration du management de la technologie, des humanités et de l’entrepreneuriat au service de nos spécialités et leurs écosystèmes (supply chain, marketing, digital, vin, industries créatives…).
Cette différenciation se caractérise notamment par un engagement de longue date à former des leaders responsables, conscients des enjeux du monde et de l’impact de leurs décisions sur leur écosystème. Si l’école est aujourd’hui devenue une référence mondiale sur le développement durable et la RSE (responsabilité sociale des entreprises), c’est qu’elle a construit sa légitimité sur une approche virale intégrant ces notions dans la recherche, la pédagogie ou la gestion de ses campus. C’est aussi grâce à sa volonté de porter des projets internationaux comme le Sulitest (115 000 tests sur le Développement Durable passés à ce jour dans le monde) ou plus récemment avec le lancement de l’antenne française du réseau SDSN (Sustainable Development Solutions Network) de Jeffrey Sax qui a pour mission de diffuser les objectifs du développement durable portés par l’ONU.
Nous sommes aussi très fiers de la reconnaissance acquise en matière d’entrepreneuriat puisque le classement Forbes 2018 positionne KEDGE comme l’une des 10 meilleures business schools et écoles d’ingénieurs françaises pour révéler, connecter et développer les jeunes entrepreneurs.
O. R : Comment allez-vous enseigner le management de la technologie ?
J. M : Nous étions déjà engagés dans le management de la technologie. Aujourd’hui nous accélérons : d’ici 2020, nous aurons transformé toute notre pédagogie et tout notre catalogue en utilisant le management de la technologie et la qualité de l’expérience étudiante comme leviers. L’ensemble de notre personnel doit porter cette évolution. Pour faciliter l’intégration des nouvelles technologies, ce sont 100% de nos collaborateurs qui auront dès cette année passés la certification DiGiTT reconnue par le Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP).
Nous allons développer nos collaborations avec des écoles d’ingénieurs pour faire de l’enrichissement croisé par exemple. Arts et Métiers ParisTech ou Sup Agro à Bordeaux. Yncrea-Isen à Toulon, Polytech à Marseille. A Dakar, nous avons monté un bachelor hybride avec l’Isara. Hybrider les compétences est une nécessité que demandent les entreprises et fait partie de la recherche et développement de nos métiers, pour mettre en œuvre le leadership du XXIème siècle.
O. R : Tous ces développements demandent beaucoup de moyens…
J. M : A Kedge, notre stratégie repose sur un modèle économique pérenne, marqué par l’absence de subvention et une capacité d’investissement conséquente. Grâce à un chiffre d’affaires de près de 120 millions d’euros chaque année, KEDGE est en effet en mesure de s’autofinancer et de réinvestir 10 à 15 % de ses recettes dans ses projets de transformation au bénéfice de ses étudiants, tout en augmentant sa politique d’ouverture sociale ambitieuse aujourd’hui de l’ordre de 15 millions d’euros par an.
Nous devons néanmoins faire évoluer notre business model. Notre secteur est de plus en plus capitalistique et a des besoins d’investissements massifs – notamment pour rénover les campus et digitaliser une partie de nos offres. Une meilleure gestion ne suffira pas à faire face aux nouveaux défis auxquels nous sommes confrontés. Or, les propriétaires que sont les chambres de commerce et d’industrie n’ont plus les moyens d’accompagner durablement le développement des écoles. Certaines écoles cherchent à ouvrir aujourd’hui leur capital, d’autres pas. Le secteur est en tout cas extrêmement attractif car c’est un marché en croissance en France comme à l’international.
Par ailleurs beaucoup d’entreprises de la EdTech cherchent à disrupter notre modèle en attaquant notre chaîne de valeur. Même si notre activité reste marquée par la notoriété des acteurs, nous sommes entrés dans une phase de disruption qui s’accélère.
O. R : Les business schools ont beaucoup évolué ces dernières années. Notamment dans le cadre de fusions qui ont donné naissance à Kedge, Neoma ou encore Skema. Comment pouvez-vous encore évoluer ?
J. M : Nos écoles restent des entreprises de taille moyenne qui s’internationalisent. Passés les effets des fusions, une fois une taille critique atteinte, les étudiants, les apprenants veulent toujours plus de service perçu. Ce qui signifie plus de présence humaine, plus d’international et d’intégration aux entreprises, mais aussi plus de technologie. Nous sommes à un moment clé du développement nécessaire à l’expérience étudiante.
C’est la raison pour laquelle, KEDGE investit aussi dans ses campus, à l’instar du nouveau campus parisien de 3200 m2 qui ouvrira à l’été 2019 et offrira un véritable concentré d’innovations pédagogiques et de services à l’étudiant high tech. De même nous avons de nouveaux espaces dédiés à l’exécutive éducation et au vin à Bordeaux, ainsi qu’un nouveau campus à Toulon en attendant notre nouveau campus à Marseille en 2020.
O. R : Le statut associatif de Kedge reste-t-il adapté ?
J. M : Nous sommes capables de nous autofinancer aujourd’hui, d’autant que notre endettement est nul. Pourquoi les entreprises investiraient dans des entreprises au statut d’EESC (établissement d’enseignement supérieur consulaire), alors qu’elles ne peuvent, ni diriger l’entreprise, ni toucher de dividende, ni revendre facilement leurs parts ? Ne peuvent investir aujourd’hui dans un EESC à droit constant que des personnes qui ont une approche affecto associatis, des alumni par exemple.
O. R : Quelles perspectives de développement a Kedge à l’international ?
J. M : S’implanter à l’international requiert à la fois une très bonne organisation et une connaissance culturelle économique et juridique très fine des pays dans lesquels on s’implante. Ce n’est pas du tout la même chose de gérer la mobilité de ses propres étudiants ou d’en faire venir, que de s’implanter dans un pays étranger grâce à la force de sa marque et à la qualité de son portefeuille de programmes.
Au Sénégal, à Dakar nous sommes actionnaires à 50% de BEM avec un potentiel de développement très fort – nous recevons déjà 1000 étudiants avec une hausse de 30% par an – dans un pays stable où nous nous appuyons sur un entrepreneur remarquable qui connaît très bien son marché. Aujourd’hui la demande est immense, les grandes entreprises ne veulent plus envoyer des expatriés à l’étranger. Elles préfèrent des cadres locaux que nous formons avec des programmes de Kedge ou de BEM, en nous appuyant sur des solutions digitales. C’est dans ce cadre, nous lançons un Euro African MBA en format blended learning en Afrique de l’ouest.
O. R : Vous ne vous implanterez pas au Maroc comme l’ont fait TBS, l’Essec ou encore emlyon ?
J. M : Nous ne voulons pas retourner au Maroc alors qu’il existe detrès bonnes universités marocaines et une offre déjà riche. De plus le « hub » marocain n’attire pas forcément beaucoup d’étudiants subsahariens. Mieux vaut pour eux, être à Dakar ou à Abidjan.
O. R : Kedge est également connue pour son action en Chine. Où en êtes-vous là-bas ?
J. M : Dans la différenciation d’une business school, pouvoir apporter la possibilité d’une expérience internationale de premier plan est crucial. En Chine, nous avons à la fois des campus et un corps professoral solide en association avec les meilleures universités locales.
L’université Renmin à Suzhou, près de Shanghai, avec laquelle nous avons créé un Institut franco-chinois en Finance, est la première du pays dans les sciences humaines et sociales. Le niveau des étudiants chinois qui le rejoignent est excellent : ils se classent au 11ème rang en lettres et au 16ème en science au Gao Kao, le bac chinois, sur 2560 universités chinoises. En France ils auraient une moyenne de 19,5/20 ! Avec les universités Paris Sorbonne et Montpellier Paul Valéry, nous leur proposons d’obtenir un master en 5 ans au terme duquel ils seront triplement diplômés avec le bachelor et le master français et la licence chinoise. 260 étudiants chinois intègrent chaque année ce programme pour KEDEGE et chaque promotion vient sur nos campus français en 3e et 5e année.
Nous mettons aujourd’hui au point sur le même modèle un nouveau projet d’Institut franco-chinois en Management des arts et du design avec la China Academy of Fine Arts (les Beaux-Arts) de Pékin pour remettre un double diplôme chinois et français en Management des industries créatives et culturelles avec la Sorbonne et l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs.
O. R : Vos étudiants français profitent également de vos excellentes relations avec les universités chinoises ?
J. M : Ils seront bientôt plus de 200 chaque semestre au sein d’un campus de quelques 35 000 m2 dans l’une des plus belles villes de Chine qu’est Suzhou. Nous avons un potentiel de développement considérable pour nous et nos partenaires en Chine au point de ne pas pouvoir répondre à toutes les demandes. D’autant que la Chine et l’Afrique sont complémentaires avec la création des nouvelles « Route de la soie ». C’est le résultat de plus de 15 ans de travail avec une première implantation en 2003 et une accélération depuis 2010.
O. R : En dehors de la Chine et de l’Afrique quels sont vos projets ?
J. M : Nous voulons renforcer le niveau de nos universités partenaires en passant à 75% d’universités accréditées Equis ou AACSB dans notre portefeuille d’accords. Nous sommes des tiers de confiance par exemple pour une école d’ingénieurs qui souhaiterait s’implanter à Dakar et avec laquelle nous pourrons ensuite construire des programmes conjoints. C’est ce que nous avons fait avec l’Isara et que nous ferons en 2019 avec l’ESTP. Nous devons également encore plus travailler à l’international avec nos écoles partenaires du concours Ecricome. Le tout dans une logique de « coopétition» qui permet de faire baisser le coût des investissements et augmenter la visibilité de nos offres.
O. R : Dans le cadre du concours Ecricome Bachelor, Kedge sera sur Parcoursup en 2020. Comment abordez-vous ce passage ?
J. M : Sur Parcoursup les élèves n’ont que dix choix. Mieux vaut donc avancer avec un concours commun à plusieurs écoles, qui ne prend qu’un seul vœu, que d’être seul. Quant à l’anonymisation des profils des candidats dont on parle, elle ne me semble pas changer grand-chose.
O. R : Contrairement à HEC ou l’Essec vous n’augmentez pas cette année le nombre de place que vous proposez aux élèves issus de classes préparatoires. Comment les attirer alors que la concurrence est de plus en plus rude avec les écoles du « top 5 » ?
J. M : C’est effectivement un challenge pour nous d’être attractifs face à des écoles du « top 5 » qui ouvrent plus de places. Il faut que notre promesse de valeur soit différente, tout en préservant le niveau de nos étudiants. Sans oublier que nous devons aussi nous mesurer à des nouveaux concurrents attractifs comme Sciences Po, ainsi que les écoles d’ingénieurs qui veulent offrir des formations en management.
Avec les élèves de prépas nous devons travailler avec les associations de professeurs et les proviseurs qui ont des élèves de grande valeur. Mais nous assistons aussi à un changement majeur de comportement des lycées. Ils se battent pour recevoir les meilleurs élèves face à la concurrence internationale ou certains postbac. Quand on est admis par exemple à McGill (Canada), Bocconi (Italie) ou encore l’IESE (Espagne) va-t-on encore forcément en prépa ?
Nous sommes entrés dans une logique de mastérisation des cursus en cinq ans dès la première année. D’où l’importance de la mise en avant du continuum entre les classes préparatoires économiques et commerciales et les Grande écoles de management. Ce qui fait la spécificité française des prépas doit être mieux valorisée tout en offrant des places à d’autres profils en admission sur titre. Il est important pour nous d’être souples pour accueillir les meilleurs étudiants. C’est d’ailleurs un modèle sur lequel nous avons beaucoup investi avec Ecricome.
O. R : Le concours Ecricome accueillera en 2020 deux nouvelles écoles, Rennes SB et l’EM Strasbourg. Qu’en attendez-vous ?
J. M : Un effet réseau positif pour être plus attractifs et investir dans des projets nouveaux comme à l’international.