La pandémie a tout bouleversé mais que sera la « new normal » qui s’annonce pour la rentrée ? Les réponses de Benoit Arnaud, directeur des programmes de l’Edhec, spécialiste de l’enseignement en ligne et à l’écoute d’une génération « mure et imprégnée des dimensions environnementales et sociales ».
Olivier Rollot : Il semble que nous soyons en bonne voie de sortir de la pandémie. Quel bilan tireriez-vous pour l’Edhec de cette période ?
Benoit Arnaud : La pandémie Covid-19 a été l’accélérateur de toutes les transitions numériques, logistiques mais aussi humaines. Nous avons bien compris que le métier premier des écoles était d’enseigner sur les campus au plus près des étudiants. Nous avons constaté que ces derniers, lorsqu’ils étaient en échange à l’étranger, ont su faire preuve d’agilité et d’imagination pour, par exemple, trouver des solutions afin de rejoindre leur pays d’accueil. Ces compétences correspondent à des attentes fortes des entreprises qui voient en eux une génération capable de résilience dans une période qui leur a été particulièrement difficile. D’ailleurs, si l’on considère leur insertion professionnelle, ils se placent bien partout à l’exception des secteurs les plus en difficulté.
Il faut aussi parler des professeurs qui ont dû repenser l’ensemble de leurs cours pour passer en distanciel, et dont je salue le travail. A l’avenir, le distanciel restera une ressource car il offre de la flexibilité aux étudiants et propose une expérience pédagogique très différente de ce que les jeunes vivent sur les campus. C’est précisément ce que nous demandent les étudiants qui, au fil des enquêtes, se disent satisfaits de leur année, autant qu’en 2019.
Cette année a finalement été un formidable accélérateur pour l’enseignement à distance : au niveau mondial 16 milliards d’euros ont été investis dans les EdTechs. On attend maintenant beaucoup de nouveautés pour notamment adapter les cours à chaque étudiant. On devra aussi aller vers davantage d’immersions en ligne et même imaginer des « business trips » à distance pour améliorer notre empreinte carbone.
O. R : La rentrée 2021 se fera en 100% présentiel ?
B. A : C’est ce qui est prévu, avec peut-être des jauges à respecter en fonction d’éventuels rebonds de l’épidémie, et avec la flexibilité offerte par le distanciel, initiée avant la pandémie.
O. R : Ce monde décarboné que vous évoquez va-t-il générer de nouveaux métiers ?
B. A : Les questions d’environnement et l’essor des mouvements en faveur d’une économie décarbonée font émerger de nouvelles pratiques. A l’EDHEC c’est notamment à travers le prisme de nos programmes en finance que nous agissons, en plaçant notre enseignement et notre recherche au service d’une économie plus responsable. Les travaux de nos chercheurs en matière de finance durable incitent les investisseurs à réfléchir à l’empreinte carbone de leurs investissements. L’une de nos initiatives emblématiques dans ce domaine est la création d’un MSc en finance durable (« Climate Change & Sustainable Finance ») en partenariat avec Mines ParisTech qui accueillera dans le cadre d’un double diplôme ses premiers étudiants en septembre prochain. Des cours de vulgarisation sur ces enjeux irriguent également l’ensemble de nos cursus depuis les journées d’accueil de nos primo-entrants organisées autour de la fresque du Climat jusqu’à nos Masters et nos programmes d’Executive Education.
Nos étudiants participent de plus en plus à des projets « à impact », qu’il s’agisse d’urgence climatique, d’insertion sociale ou encore de transition agro-alimentaire. C’est une génération très mure et imprégnée de ces questions. D’ailleurs de nombreuses startups fondées par des étudiants de l’EDHEC, telles que Yuka ou plus récemment 900.care, s’inscrivent dans ce mouvement vers une économie durable. Mettre le business au service du bien commun est essentiel à leurs yeux. Ils veulent rejoindre des entreprises qui respectent ces objectifs, des entreprises qui leur donnent de l’autonomie pour s’exprimer et agir pour changer le monde.
O. R : On parle beaucoup aujourd’hui d’hybridation des savoirs. L’Edhec a par exemple signé un accord avec Sciences Po Lille. Cette hybridation est une priorité pour l’Edhec ?
B. A : C’est un axe fort de notre plan stratégique. Elle passe par exemple par le recrutement d’étudiants qui ne sont pas issus des business schools ou de formation en gestion. Nous recevons ainsi chaque année 1600 candidatures d’étudiants diplômés issus de cursus divers (ingénieurs, filières littéraire, gestion, etc.). Cette hybridation des connaissances se traduit également par des doubles diplômes comme celui que vous évoquez avec Sciences Po Lille mais aussi par des parcours croisés à l’international avec des universités de renom : SKK à Seoul pour la Data ou Berkeley Haas à San Francisco pour les Humanités.
Nous proposons à nos étudiants un vaste portefeuille de certificats et de doubles diplômes dans des disciplines connexes au management – digital, science politique, humanités etc. – qui répond aux aspirations des jeunes générations et correspond à une forte demande des entreprises. Le droit enfin est un axe historique de l’EDHEC : notre accord avec l’université catholique de Lille permet à nos étudiants d’acquérir une double compétence en droit et management avec in fine la possibilité de présenter l’examen du barreau.
Outre la réponse au défi environnemental, l’hybridation des savoirs est l’une de nos deux grandes évolutions sans oublier le développement de l’entrepreneuriat. EDHEC Entrepreneurs accompagne plus de 600 projets de création d’entreprises chaque année et près de 100 startups sont aujourd’hui incubées à Station F à Paris où elles bénéficient d’un environnement très stimulant pour se développer. Nous avons également un partenariat avec l’incubateur de Berkeley pour que les créateurs d’entreprise puissent s’installer dans la Silicon Valley. Le tout dans une logique de transmission entre les plus jeunes et des profils plus expérimentés qui les guident et leur prodiguent de précieux conseils. Nos 45 000 alumni sont un formidable relais pour cela.
O. R : Parlons actualité. Comment vont se dérouler vos oraux ? Comme d’habitude ?
B. A : Cette année, nous avons pris la décision de ne pas organiser d’oraux de groupe pour éviter que certains, malades ou cas contacts, ne puissent pas y participer. Nous le regrettons car cette épreuve originale nous permet de mieux connaître chaque candidat, son profil et son fonctionnement au sein d’une équipe.
Il n’en reste pas moins que des oraux plus classiques auront lieu : ils seront l’occasion pour des personnalités de se révéler, de montrer une richesse de vie qu’on ne perçoit pas forcément dans les écrits, parce qu’ils ont travaillé dans une ONG, ont vécu à l’étranger, etc.
O. R : La question des concours rejoint celle de votre recrutement et donc d’une diversité sociale jugée insuffisante. Que faut-il faire pour y remédier ?
B. A : C’est un sujet majeur qui prend corps bien avant l’entrée dans une Grande école ou à l’université. Un vrai problème de société ! Dès le collège certains jeunes s’autocensurent et s’interdisent à tort l’accès à l’enseignement supérieur. Pour surmonter l’obstacle financier nous avons mis en place une politique de solidarité généreuse et proactive : 25% de nos étudiants bénéficient d’une bourse d’études, soit 10 millions d’euros reversés chaque année. Pour promouvoir l’égalité des chances, nous réfléchissons aussi à proposer un système de « double barre » d’admissibilité : les étudiants boursiers bien classés pourraient obtenir une seconde chance de façon à avoir accès aux oraux.
Nous sommes également favorables au « prêt contingent », c’est-à-dire remboursé par les étudiants en fonction de leurs revenus une fois entrés sur le marché du travail.
- R : L’Edhec envisage-t-elle de conditionner le montant de ses frais de scolarité aux revenus des parents comme le font deux autres écoles cette année ?
- A : C’est déjà ce que nous faisons depuis longtemps en attribuant des bourses aux étudiants les moins favorisés et, en particulier, aux échelons 6 et 7. Par ailleurs nous disposons d’un fonds d’urgence doté de plusieurs centaines de milliers d’euros pour aider des étudiants en difficulté ponctuelle. Cette année, certains d’entre eux n’ont par exemple pas pu trouver de « jobs » d’appoint. Grâce à ce dispositif de solidarité nous avons pu les soutenir financièrement.