Un match avec l’Edhec qu’elle estime toujours en cours, un nouveau bâtiment emblématique en construction, des ambitions de développement mondiales, une implication très forte dans la transition environnementale et sociale, un an après son arrivée à la direction de emlyon Isabelle Huault est sur tous les fronts.
Olivier Rollot : Cette année, pour la première fois, l’Edhec a dépassé emlyon dans les choix des élèves issus de classes préparatoires. Comment analysez-vous ce retournement ?
Isabelle Huault : Nous accueillons ce recul avec sérénité et sérieux. emlyon business school renoue avec son public des classes préparatoires, en rétablissant l’équilibre entre Admission sur Titre et CPGE. Les élèves de classes préparatoires, étudiantes et étudiants de grande qualité, trouvent à emlyon un lieu d’épanouissement où les apprentissages les aident à se découvrir et à se projeter sur des horizons professionnels très ouverts. Toutes celles et ceux qui nous ont rejoint cette année sont d’ailleurs très enthousiastes d’avoir choisi notre école, pour son dynamisme, pour sa créativité, pour son ouverture sur le monde et la société.
Les classements internationaux quant à eux nous reconnaissent de fortes progressions. Le Times Higher Education nous positionne ainsi 2ème en France pour l’employabilité des diplômés. En recherche en management, le Shanghai Ranking 2021 nous place dans le TOP 3 France. Le classement QS nous situe parmi les quatre meilleures business schools pour le Master en management. L’ensemble des équipes d’emlyon est mobilisé pour traduire la dynamique visible à l’international, auprès des publics et des classements français.
O. R : Le match avec l’Edhec n’est pas fini ?
I. H : Les résultats des classements font progresser les écoles car nous en tirons des enseignements pour nous améliorer, au service des étudiantes et étudiants. En revanche, la compétition stérile ne doit pas se substituer à l’émulation positive. Assurer l’excellence des enseignements et de la recherche reste la priorité d’emlyon et nous l’avons inscrit dans notre statut de société à mission.
O. R : Qu’est-ce que cela change pour emlyon d’être devenue une société à mission à l’été 2021 ?
I. H : C’est un projet très structurant et fédérateur qui a été engagé dès mon arrivée à la direction de l’école en septembre 2020. Nous y avons travaillé avec l’ensemble des parties prenantes de l’école : les étudiantes et étudiants, les professeures et professeurs-chercheurs, les membres du personnel, les partenaires entreprises et bien sûr notre Conseil de Surveillance. C’est le fruit d’une démarche participative qui nous a permis d’aboutir à la formulation de notre raison d’être associée à des objectifs sociaux et environnementaux clairement définis. Nous réaffirmons la mission d’intérêt général de l’école avec un statut qui nous engage sur le long terme.
Comme le prévoit la loi Pacte, le pilotage de notre projet sera régulièrement contrôlé par un organisme tiers indépendant (OTI). Notre engagement social et environnemental doit profondément et concrètement irriguer toute notre activité. A l’aide d’une grille précise, l’OTI sera chargée d’évaluer nos actions et nos engagements. Nous perdrions d’ailleurs le statut de société à mission si nous ne suivions pas les objectifs ambitieux que nous nous sommes fixés ; ce qui souligne que la décision que nous avons prise est évidemment très engageante.
O. R : La démonstration de votre engagement passe également par la construction d’un tout nouveau campus au cœur de Lyon. Où en est sa construction ?
I. H : Nous posons la « première pierre » le 5 octobre. Depuis les premiers plans, le projet a évolué, avec notamment l’installation de la bibliothèque à l’entrée du bâtiment pour en faire la vitrine de l’école. Ce campus est d’abord un lieu propice à la production de connaissances partagées, de compétences hybrides, à l’innovation durable, au dynamisme des rencontres. Il connecte les différentes parties prenantes de l’école, qu’elles soient internes ou externes. Il est aussi en lien avec les institutions d’enseignement supérieur qui se trouvent à proximité, comme l’Ecole Normale Supérieure de Lyon, Sciences Po Lyon et les universités. emlyon sera ainsi au cœur d’un écosystème académique extrêmement dynamique. Ce sera également un campus connecté et durable, dans le respect des normes environnementales les plus exigeantes. Nous incitons aussi aux mobilités douces, aucun parking pour les voitures n’étant prévu.
Née il y a 150 ans, l’Ecole était initialement située dans le 2ème arrondissement de Lyon. Après 50 ans à Ecully, nous souhaitions regagner le cœur de la Cité. Nous nous installons dans le 7ème arrondissement, un quartier en pleine mutation. Vecteur de rayonnement, le campus jouera un rôle clé dans l’accueil d’étudiantes et d’étudiants de qualité, d’enseignants-chercheurs du meilleur niveau, issus du monde entier.
Nous voulons également en faire un lieu ouvert, c’est-à-dire respectant bien sûr les normes en matière de sécurité, tout en étant un lieu convivial, de rencontres, de riches interactions, de confluences et d’hybridation des talents et des métiers, avec les entreprises, les associations, les partenaires académiques. Toutes celles et ceux intéressés par nos activités – incubateur, accélérateur, maker’slab, conférences scientifiques…– seront les bienvenus.
O. R : La construction de ce nouveau campus a pris du retard avec la crise sanitaire. L’inauguration ne pourra finalement pas avoir lieu pour les 150 ans de l’école en 2022 ?
I. H : emlyon a été fondée en 1872, ce qui en fait l’une des plus anciennes écoles de management française. Et nous allons célébrer l’ anniversaire des 150 ans en 2022.
Le chantier a en effet pris du retard en raison du contexte sanitaire. Le bâtiment ne sera pas inauguré en 2022 comme cela était initialement planifié, mais la livraison est prévue pour octobre 2023 avec un accueil des étudiantes et des étudiants au 1er trimestre 2024.
O. R : Après la crise du Covid, et le recours massif aux cours à distance qui s’en est suivi, les campus sont-ils toujours aussi importants pour l’enseignement supérieur ?
I. H : Nous avons besoin de lieux de socialisation et d’échanges. Après cette période d’isolement et de distanciation, nous avons pu mesurer combien la dimension physique, le contact humain, les rencontres et la présence des différents acteurs sont essentiels à l’enseignement et à la recherche. Aussi bien pour l’ensemble des personnels, que pour nos étudiantes et étudiants, nous constatons que ce retour sur site suscite beaucoup de joie et d’enthousiasme.
O. R : Cela a été traumatisant mais qu’est-ce qu’il faut retenir de positif de la crise sanitaire ?
I. H : Pour certains cours ou certains modules, les expériences pédagogiques à distance ont eu des effets vertueux. Le Covid a par exemple généré une accélération en matière d’innovation digitale. Aujourd’hui, comme indiqué dans le plan stratégique Confluences 2025, nous allons conserver un pourcentage de cours en ligne ; de l’ordre de 20% mais avec un ajustement selon les publics et les cycles. Les dispositifs digitaux restent appropriés pour les étudiantes et étudiants en stage ou en alternance, ou encore les participantes et participants en formation continue. Pour ces derniers, nous délivrons par exemple un Executive Master en Management Général 100% en ligne qui connaît un très grand succès.
O. R : Vos enseignements sont-ils également impactés par la crise sanitaire comme, plus largement, par la transition environnementale ?
I. H : La crise nous aura amenés à revoir les matières enseignées avec un accent mis sur la gestion des risques. Les enjeux sociaux et environnementaux sont également au cœur de notre projet. Les étudiants se posent de plus en plus la question du sens de la carrière dans laquelle ils vont s’engager, du sens de leur futur métier. Pour répondre à ces interrogations, nous avons lancé dès septembre 2021 le cours obligatoire « Agir pour le climat » dans le Programme Grande École ; une démarche que j’avais déjà engagée il y a 2 ans à l’université Paris Dauphine – PSL quand j’y occupais la présidence.
Notre projet est de revisiter toute notre offre de formation, toutes nos unités d’enseignement, à l’aune des 17 objectifs de développement durable de l’ONU. En 2022, près de 60% de notre offre de formation aura été revue en ce sens et, à horizon de 2 ans, ce sera la totalité.
Avoir un impact positif pour la planète est un objectif très ambitieux, qui mobilise toute notre faculté et l’ensemble des directions de programmes. Nous ne pouvons pas, par exemple, aujourd’hui dispenser un cours de marketing sans aborder la question de la consommation responsable ou de l’obsolescence programmée.
Cette année, nous avons proposé à nos nouveaux étudiants – dont ceux du Programme Grande École – une rentrée sous le signe de l’engagement, plus particulièrement dédiée à l’ODD n°10 de l’ONU, qui vise à réduire les inégalités entre les pays et en leur sein. A cette occasion, la nouvelle promotion du PGE a pu suivre une conférence inaugurale avec un intervenant prestigieux, Pascal Canfin, Président de la Commission Environnement du Parlement européen, qui a focalisé l’attention sur la question climatique.
O. R : Les déplacements ont un impact environnemental majeur. Faut-il revoir les pratiques d’internationalisation des écoles ?
I. H : Il ne s’agit pas de remettre en cause l’internationalisation mais plutôt de s’interroger sur les séjours courts. Les learning trips ont de lourds bilans carbone. Nous avons engagé une réflexion à ce sujet et en particulier dans les MSc et les mastères spécialisés pour redéployer certaines missions en Europe sous forme de visites d’entreprises. Il convient ainsi d’éviter les déplacements à l’autre bout de la planète pour des séjours trop courts. Il en est de même pour les colloques scientifiques.
Il n’est pas question de renoncer à l’ouverture internationale, que nous considérons comme indispensable à l’expérience en milieu multiculturel et à l’apprentissage de nos étudiantes et étudiants, mais d’arbitrer sur la question des mobilités de manière raisonnable et équilibrée.
O. R : Dans la RSE, il y a également tout un volet social sur lequel emlyon est également très engagée. Notamment pour accueillir plus de boursiers ?
I. H : Nous avons lancé en 2021 un programme de formation gratuit à destination des publics en décrochage scolaire : la toile. Nous proposons à des publics éloignés du marché de l’emploi une formation aux métiers du numérique. Nous accueillons actuellement la première promotion, une trentaine de personnes, et nous devrions en former 150 durant l’année 2022.
En matière de bourses, il nous faut aller plus loin pour atteindre un total de 30% d’étudiants boursiers d’ici 2025, tous programmes confondus. Pour ce faire, nous réactivons la Fondation emlyon pour lever des fonds. Nous avons également créé notre CFA (centre de formation d’apprentis) en 2020. L’apprentissage est à la fois un dispositif d’innovation pédagogique très vertueux et un levier d’ouverture sociale important. En 2025, nous pourrions recevoir autour de 500 alternants alors qu’ils sont 80 jusqu’à présent.
O. R : Cet engagement social ne vous a pas pour l’instant conduit à aménager votre concours comme d’autres écoles qui favorisent les boursiers. Pourquoi ?
I. H : A titre personnel, je ne suis pas favorable à la discrimination positive. Je considère en effet que de nombreuses inégalités s’installent avant l’arrivée dans l’enseignement supérieur, avec des déterminations sociales qui se jouent dès la maternelle ou l’Ecole primaire. Il me semble que tout ce qui vise à lutter contre l’autocensure de lycéens méritants et à fort potentiel doit en revanche être encouragé. C’est la politique que nous menons à emlyon en nouant des partenariats avec des lycées situés en zone d’éducation prioritaire et en assurant de nombreuses séances de tutorat et de suivi. Nos étudiants dispensent des cours dans les lycées ou coachent des jeunes qui souhaitent intégrer nos écoles. Notre rôle est d’accompagner pour que de jeunes lycéens talentueux puissent se projeter dans les Grandes Ecoles.
Il faut également actionner le levier financier et offrir un plus grand nombre de bourses ; en développant des dispositifs pour que les élèves boursiers puissent financer leurs études dans des conditions correctes et sans s’endetter de manière déraisonnable.
O. R : Nous avons beaucoup parlé de votre Programme Grande École. Comment allez-vous développer votre Bachelor ? Va-t-il notamment s’implanter à Lyon ?
I. H : Nous allons dispenser notre Bachelor à Lyon en redéployant une partie de nos effectifs parisiens. A Paris, nous ne conserverons que la 4ème année pour ceux qui choisissent l’apprentissage. A Lyon, nous bénéficions du dynamisme socio-économique de toute une région très attachée à son école.
O. R : Les Lyonnais sont très attachés à emlyon !
I. H : Quand je cherche à nouer des partenariats avec des entreprises de la région, je vois combien elles sont attentives à sa trajectoire, à ses réussites, à ses ambitions. Les entreprises sont très soucieuses de soutenir emlyon parce que c’est non seulement une institution qui compte dans le paysage socio-économique, mais parce qu’elles ont aussi à cœur de recruter des étudiants de haut niveau.
O. R : emlyon c’est Lyon, Saint-Etienne, Paris mais aussi des campus à l’international. Comment allez-vous poursuivre leur développement alors que les déplacements dans le monde restent très compliqués ?
O. H: Nous avons aujourd’hui quatre campus à l’international. A Casablanca, à Shanghai en partenariat avec l’École normale supérieure de l’Est de la Chine, en Inde à Bhubaneswar avec le réseau Xavier University et enfin, depuis mars 2021, à Bombay, toujours avec ce réseau. Nous y avons installé un maker’s lab emblématique de notre signature pédagogique ‘Early maker’ : « apprendre pour faire et faire pour apprendre ». Il nous importe, sur nos différents campus organisés en réseau, tous situés dans des pays en émergence, de créer des programmes alignés avec les écosystèmes et environnements socio-économiques locaux. En Inde, nous développerons par exemple des formations en entrepreneuriat social.
O. R : Sur ces campus internationaux vous recevez essentiellement des étudiants locaux ?
I. H: Oui des étudiants locaux et nous développons aussi la mobilité inter-campus. Aujourd’hui les étudiants de notre Bachelor peuvent suivre une partie de leur semestre à Casablanca. A Shanghai, circulent aussi de nombreux étudiants issus de nos autres campus. Nous voulons également promouvoir cette possibilité sur notre nouveau campus indien, pour permettre l’immersion de nos étudiantes et étudiants dans des environnements socio- culturels variés.
Ces campus ont également été très utiles au moment de la crise Covid pour accueillir des étudiants de la zone géographique concernée. Des étudiants asiatiques ne pouvaient pas venir en France, mais pouvaient en revanche rejoindre emlyon en Asie sur le campus de Shanghai.
O. R : Il y a vos campus en propre mais aussi vos accords internationaux avec d’autres établissements. Comment allez-vous les développer?
I. H : Nous mettons l’accent sur le développement des partenariats internationaux de haut niveau avec les meilleures institutions mondiales. A l’horizon 2025, nous avons 30 projets de création de doubles diplômes dans une logique d’hybridation des savoirs. Nous voulons nous rapprocher d’établissements étrangers reliés à des champs connexes au nôtre pour gagner en multidisciplinarité.
O. R : Cette hybridation des compétences, vous la développez également en France ?
I. H : Cette année, nous avons conclu un partenariat avec l’Ecole Normale Supérieure de Lyon, en créant un certificat commun dans le cadre du Programme Grande Ecole, en permettant ainsi des échanges d’étudiants et de professeurs, et l’organisation de conférences scientifiques. La volonté d’hybridation s’incarne aussi dans l’accord que nous avons signé avec l’Ecole supérieure d’art et du design et la Cité du design de Saint Etienne. Cette stratégie a vocation à être renforcée cette année par le développement de partenariats avec des écoles d’art et le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Lyon. Concernant les écoles d’ingénieurs, nous avons relancé notre collaboration avec l’Ecole centrale de Lyon et coopérons toujours harmonieusement avec l’Ecole des Mines de Saint-Étienne.
O. R : emlyon a la particularité d’être la seule école ayant un statut de société anonyme parmi les toutes meilleures écoles de management françaises. Comment vos actionnaires vous soutiennent-ils à l’aube des 150 ans de l’école ?
I. H : Composé de Qualium Investissement, Bpifrance et de la chambre de commerce et d’industrie de Lyon, le conseil de surveillance de l’école fournit un soutien et un accompagnement concernant les décisions stratégiques structurantes pour emlyon. Il a été à nos côtés lors du changement de statut pour devenir société à mission. Nos actionnaires apportent aussi une capacité de financement significative et contribuent à des investissements décisifs, en matière scientifique, pédagogique et digitale, investissements indispensables pour l’atteinte de nos objectifs d’excellence académique.
emlyon crée également 10 postes nouveaux de professeurs par an depuis 2020 et, en 2025, l’École comptera 200 professeurs contre 170 aujourd’hui. En matière de digital, 17 millions d’euros seront investis d’ici 2025. C’est la meilleure réponse que l’on puisse faire aujourd’hui à celles et ceux qui ont tant stigmatisé l’entrée de financiers au capital de l’école.
O. R : Vos alumni devraient également être actionnaires de l’école ?
I. H : C’est prévu mais le processus a été retardé, en raison de la crise sanitaire. Réunissant 35 700 diplômés, la communauté des alumni se mobilise pour les 150 ans de l’École. Les diplômés constituent un atout majeur et font rayonner l’Ecole dans le tissu socio-économique national et international, grâce à des trajectoires tout à fait remarquables dans des secteurs variés, des organisations et des métiers très divers.