A la tête du tout nouveau IMT Atlantique, qui réunit Mines Nantes et Télécom Bretagne depuis le 1er janvier 2017, Paul Friedel dirige aujourd’hui une école qui compte 1400 élèves ingénieurs. Mais comment réussit-on une fusion ?
Olivier Rollot : A la rentrée 2018 les cycles ingénieur de vos deux écoles vont fusionner dans le cadre d’IMT Atlantique. Qu’est-ce que cela signifie pour les étudiants ?
Paul Friedel : Cette année, les étudiants pourront encore postuler aux concours de chaque école pour suivre l’un des deux cursus d’IMT Atlantique. En juin 2017 nous présenterons le nouveau programme de formation unique à la Commission des Titres d’Ingénieurs (CTI). Si tout se déroule comme nous le prévoyons, le cursus unique généraliste – hors apprentissage, masters et doctorats -, débutera à la rentrée 2018. Les premiers diplômés d’IMT Atlantique sortiront de l’école en 2021.
O. R : Les deux cursus sont-ils si différents aujourd’hui ?
P. F : Nos cursus sont complémentaires. Néanmoins, il a fallu remettre à plat la pédagogie pour construire un programme progressif, proposer des parcours diversifiés qui nous permettront de former des ingénieurs reconnus pour leurs compétences techniques et aptes à évoluer. Une école généraliste qui offre un panel de possibilités en première année aux élèves de prépas pour ensuite choisir des thématiques d’approfondissement sur 1 ou 2 ans, voire les deux. Une école dans laquelle les enseignements des sciences humaines et sociales, de la gestion, la responsabilité sociale et les langues sont également fondamentaux. Nous travaillons sur l’émergence d’une fusion des disciplines sur les différents réseaux par exemple pour l’industrie avec une spécialisation productique à Nantes et information à Brest.
O. R : Avez-vous associé des personnes extérieures à votre réflexion ?
P. F : Les représentants des classes prépas scientifiques de l’UPS et les proviseurs de l’APLCPGE ont été associés à notre réflexion ainsi que les entreprises partenaires qui sont aussi parties prenantes. Nous avons également envoyé un questionnaire aux 8600 candidats admissibles du concours Mines-Ponts pour évaluer l’attractivité de chaque option afin d’équilibrer les flux entre Brest et Nantes.
O. R : Qu’est-ce qu’on attend d’un ingénieur aujourd’hui ?
P. F : L’ingénieur est un acteur fondamental du changement. Il doit prendre conscience de ses responsabilités et ce n’est pas toujours facile à appréhender juste à la sortie de prépa. On y a fait ses gammes et acquis des capacités d’abstraction uniques qui construisent le modèle de l’ingénieur à la française. Dans un conservatoire on a une idée de ce qu’on va faire ensuite. Les écoles d’ingénieurs doivent aller dans les prépas pour donner du sens aux formations qu’elles proposent et à leurs évolutions.
O. R : Les séjours à l’étranger joueront-ils un rôle important dans le nouveau cursus ? Peuvent-ils déboucher sur des doubles diplômes ?
P. F : Quand ils postulent les candidats posent beaucoup de questions sur les doubles diplômes mais se montrent de moins en moins intéressés à mesure qu’ils progressent dans leur cursus, d’autant que leur obtention demande une année supplémentaire d’études. L’important c’est l’expérience à l’étranger avec les trois mois de stages obligatoires, qui se transforment souvent en un semestre.
O. R : Une fusion ce n’est jamais facile à réussir et vous y êtes parvenus assez vite. Comment avez-vous procédé ?
P. F : Il ne faut pas s’attarder trop longtemps sur un processus. La décision a été prise en 2015. Le 1er janvier dernier nous avons fusionné et les deux formations d’ingénieur ne feront plus qu’une à la rentrée 2018. C’est un rythme très élevé. Avec Anne Beauval, la directrice de Mines Nantes, nous avons tout de suite affirmé que nous étions deux écoles égales. Un signe très encourageant et plutôt rare dans le contexte de fusions : les associations de diplômés ont également fusionné dès le 1er janvier. Nous avons révélé le prototype du nouvel établissement et nous sommes aujourd’hui dans la phase de réglage et d’ajustement.
O. R : En quoi la gouvernance d’une école d’ingénieurs permet-elle ces avancées ?
P. F : La gouvernance d’une école d’ingénieurs est assez proche de celle d’une entreprise. De plus, des écoles des ministères « techniques » – l’IMT dépend du ministère de l’Industrie -, peuvent mettre à leur tête des professionnels comme moi, loin du corporatisme académique des écoles sous tutelle du ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Ce poids des entreprises n’enlève d’ailleurs en rien leur autonomie aux enseignants-chercheurs. De plus les contre-pouvoirs – comités techniques, élus du personnel, etc. -, donnent une place significative à des représentants du monde socio-économique. Dans une école d’ingénieurs il est difficile de prendre une décision qui ne soit pas largement acceptée et notre fusion l’était.
O. R : Les deux écoles sont assez loin l’une de l’autre, près de 300 km, cela doit rendre une fusion assez compliquée ?
P. F : La contrainte de la distance entre les différents campus (Brest-Nantes-Rennes) c’est ce qu’on vit dans les entreprises dont les équipes sont réparties dans le monde. Le « campus numérique breton » nous donne des moyens de communication à distance exceptionnels – dont des « salles de vision immersives » que nous aurons certainement demain à Nantes – et nous travaillons aujourd’hui beaucoup en visio-conférences. Mais il faut aussi se déplacer pour faire de vraies rencontres.
O. R : On comprend bien ce que fait une école de Télécoms mais on imagine également bien qu’une école des Mines n’a plus grand chose à voir avec le sous-sol aujourd’hui. Comment vos deux écoles se complètent-elles ?
P. F : En 40 ans, Télécom Bretagne a fait bien plus que des télécoms pour se concentrer sur le traitement de l’information et des réseaux au sens large, qu’il s’agisse du geste chirurgical, des drones, du fonctionnement du cerveau etc. Dans le cadre d’une bourse ERC (European Research Council) un laboratoire travaille par exemple sur les sources de la schizophrénie. On peut tout raconter à partir des paramètres technologiques que sont les réseaux et qui vont jusqu’à l’humain. Nous nous intéressons également à tous les impacts du numérique sur la vie avec par exemple un professeur de droit pour réfléchir à sa régulation.
Un peu plus jeune, créée en 1990, Mines Nantes a été bâtie autour du numérique, de l’énergie et de l’environnement. C’était l’une des deux grandes écoles spécialisées dans l’énergie nucléaire et les particules des hautes énergies. Elle est aussi très pointue dans la détection de la matière noire, la santé, les questions d’automatique et de productique, le génie logiciel, etc. Parce qu’elles dépendent du ministère de l’Industrie, les écoles de l’Institut Mines Télécom travaillent toutes dans la recherche fondamentale autant qu’appliquée. Dans ce cadre Mines Nantes et Télécom Bretagne sont très complémentaires.
O. R : Les financements par projet sont de plus en plus importants dans la recherche. Vous déposez beaucoup de projets de recherche européens ?
P. F : Nous avons un projet sur la « smart city » qui a été retenu dans le cadre des projets européens H20/20 ; En 2016 deux des vingt projets déposés ont obtenu des financements. C’est un taux relativement bas car nous ne sommes pas encore aussi efficaces que les Britanniques et les Néerlandais dans la maîtrise de toute la chaîne de décision. Mais il n’en reste pas moins important de mettre des projets en concurrence. D’autant que les financements européens se font dans la confiance de type ERC, quand nous sommes confrontés en France à des contrôles de plus en plus sévères du HCERES (Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur) et de l’Agence nationale de la recherche (ANR).
Dans ce cadre les dispositifs des Instituts Carnot sont très vertueux – nous travaillons avec deux d’entre eux – car ils donnent des ressources en recherche fondamentale en fonction du montant de la recherche que nous montons avec des industriels : 15% en abondement de l’Etat pour de la recherche libre.
O. R : Que vous apporte l’Institut Mines Télécom (qui regroupe sept grandes écoles d’ingénieur et une de management membres, trois autres écoles d’ingénieur associées et treize autres partenaires) ?
P. F : L’IMT c’est aujourd’hui un seul établissement qui comporte un collège de directeurs. En ayant été les premières écoles à fusionner, nous sommes en quelque sorte la « grande fille » de l’IMT. Travailler en réseau nous apporte beaucoup sur la pédagogie, les recours juridiques, la comptabilité, l’international, etc. Nous testons également une plateforme commune pour gérer les candidatures aux formations en alternance. Ensemble, nous avons pu monter une vingtaine de MOOCs que nous n’aurions jamais pu développer avec une seule école.
O. R : Vos deux écoles ont à peine fusionné que vous vous rapprochez de l’Ensta Bretagne. Qu’allez-vous faire ensemble ?
P. F : Nos deux écoles dépendent de ministères « techniques », (la Défense pour l’Ensta) qui ont beaucoup en commun. Nous ne savons pas encore si nos discussions – prévue sur une année – déboucheront ou pas sur une fusion mais ce sera probablement au moins un rapprochement structurel sous forme d’association comme le permet la loi Fioraso de 2013.