Juillet 2013, un défi qui paraît fou est lancé par Geneviève Fioraso, alors ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche : créer une plateforme de MOOCs (massive open online courses) dès début 2014 pour ne pas laisser le champ libre aux acteurs américains. Avec les équipes de l’Inria, du Cines er de Renater, Catherine Mongenet relève le défi et crée la plateforme FUN. Deux ans après le lancement du projet, elle fait le point.
Olivier Rollot : Au début cela semblait une vue de l’esprit d’imaginer que nous étions capables, en France, de concevoir et de lancer une plateforme de MOOCs capable de se mesurer aux Américains de Coursera. Et pourtant vous l’avez fait !
Catherine Mongenet : Nous avons lancé officiellement le projet le 12 juillet 2013, il y a donc presque exactement deux ans. Ça a été un travail colossal pendant six mois avec les équipes de l’Inria, du Cines et de Renater pour, d’abord mettre au point l’architecture du site, et ensuite le finaliser tout en travaillant avec les premiers producteurs de MOOCs qu’étaient le Cnam, l’institut Mines Télécom, Paris 2 Panthéon-Assas Sciences Po, les universités de Montpellier 2, Bordeaux 3,Paris Ouest Nanterre, l’École polytechnique ou encore l’université de Paris 5. En janvier 2014 nous avions déjà 25 MOOCs prêts à être diffusés. Nous avons aujourd’hui plus de 100 MOOC sur la plateforme et certains d’entre eux ont déjà été «joués » deux voire trois fois.
O. R : Quels ont été les plus gros écueils que vous avez rencontrés?
C. M: Les premiers établissements français pionniers dans la conception de MOOC souhaitaient pouvoir accéder à une plateforme mutualisée, qui mette en valeur les MOOC des universités et écoles françaises. Au départ, les experts français des MOOC avaient des avis divergents sur le choix technologique, considérant que les technologies n’étaient pas matures et qu’il fallait conduire des expérimentations sur différentes solutions.
Mais dès lors que le consortium edX créé par MIT et Harvard a mis à disposition de la communauté, en open source, la technologie Open edX, le consensus s’est fait autour de ce logiciel libre et c’est là que nous avons pu lancer le projet.
Problème : Open edX était une solution américaine et nous avons du traduire en français tout l’interface. Par ailleurs, la solution Open edX était construite pour s’appuyer sur le cloud d’Amazon et qu’il n’était pas question pour nous d’utiliser Amazon pour héberger les données. FUN est entièrement hébergé en France, au CINES à Montpellier. Enfin, les vidéos étaient diffusées sur YouTube et nous avons voulu passer à une diffusion française sur Daily Motion. Nous y possédons une chaîne sans aucune publicité pour les vidéos des teasers. Les vidéos des cours sont disponibles uniquement à travers la plateforme.
O. R : Comment vous êtes-vous retrouvée à la tête de ce projet?
C. M: Après avoir été vice-présidente chargée du numérique de l’université de Strasbourg, je venais d’être nommée chargée de mission France Université Numérique au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, le 1er mai 2013. Ma première mission était de finaliser la stratégie numérique de l’Enseignement Supérieur. Une des actions de cet agenda visait à déployer une plateforme de MOOC et cette action a pris de l’ampleur
Pour être prêts à diffuser en janvier 2014 il aura fallu un « bon alignement des astres » : la volonté de la ministre, une solution technique adaptée, des équipes mobilisées ! Nous étions convaincus que maîtriser la diffusion de MOOCs était crucial, notamment pour le développement de la francophonie.
O. R : 18 mois après le lancement qu’est ce qui a le plus évolué sur FUN ?
C. M: Un code open source évolue tout le temps et notre équipe, douze personnes, implémente tous les quinze jours à la fois les évolutions d’edX et celles de FUN. Aujourd’hui l’évaluation par les pairs, des exercices de de plus en plus divers tel que la possibilité de « drag and drop » fonctionnent très bien. Mais bien d’autres fonctionnalités existeront bientôt, car la communauté de développement autour d’Open edX s’agrandit. Outre les équipes d’Open edX à Boston, d’autres équipes, à l’instar de celle de la plateforme chinoise sur edX (XuetangX) et plus modestement de l’équipe FUN contribuent au développement.
O. R : Pourquoi n’avoir pas choisi une autre solution technique qu’Open edX ?
C. M: La communauté universitaire est très sensible à la notion d’open source et edX était considérée en juin 2013 comme la solution open source la plus mature. C’est une solution qui est largement utilisée aujourd’hui tant dans certaines startups, qu’au niveau international où des initiatives nationales s’appuient sur cette solution, comme en Chine, en Jordanie, en Inde, en Corée ou encore en Russie.
O. R : 50 établissements présents sur FUN c’est bien mais c’est loin des 80 universités, 200 écoles d’ingénieurs et 40 écoles de management de premier ordre qui existent en France. Pourquoi y a-t-il encore des réticences ?
C. M: Le choix de se lancer dans la conception de MOOC relève de la stratégie de chaque établissement. Certains considèrent que leur priorité ce sont leurs propres étudiants et préfèrent développer des SPOC (Small Private Online Courses). Des exemples de réutilisation de MOOC en SPOC existent d’ailleurs sur FUN, à l’image d’un MOOC réalisé par une école de l’Institut Mines Télécom utilisé en SPOC dans une autre école de l’Institut et dans une école d’ingénieurs en Tunisie où il est utilisé en classe inversée.
O. R : Les MOOCs ont avant tout été créés par de très grandes universités et écoles ?
C. M: Pas seulement, les partenaires de FUN aujourd’hui, et d’ailleurs ceux de la première heure, ont des profils très variés : universités parisiennes mais aussi de province, universités scientifiques mais aussi universités de sciences humaines et sociales – comme l’ université de Bordeaux Montaigne a été l’une des premières sur notre site avec un MOOC consacré au Transmedia storytelling – universités pluridisciplinaires et écoles d’ingénieurs, etc.
O. R : Le public n’est pas celui traditionnel de l’université. Ce n’est pas par hasard si le « MOOC vedette » est celui de Cécile Déjoux, Du manager au leader, réalisé par le Cnam !
C. M: le public de FUN a effectivement des profils très divers, avec 64% des apprenants âgés de 25 à 50 ans pour 14% d’apprenants qui ont entre 18 et 25 ans. Les apprenants sur FUN sont aussi , très « diplômé » puisque 47% de ce public a le niveau master et 10% au moins une licence.
O. R : FUN est aussi très francophone et touche de plus en plus d’Africains.
C. M: Aujourd’hui plus de 15% de notre trafic provient d’Afrique contre 12% en 2014. Cela correspond à un besoin essentiel quand on connait les problèmes de massification et le manque criant de locaux dans les universités du continent africain.
Nous voulons accueillir de plus en plus d’universités francophones produisant des MOOCs sur FUN. C’est déjà le cas de deux universités tunisiennes et nous travaillons avec des universités du Burkina Faso, du Mali, du Maroc ou encore du Viet-nam, dans le cadre d’un partenariat avec l’Agence universitaire de la francophonie. Ou encore avec les universités de Genève et de Bruxelles.
On observe également l’émergence de MOOC conçus par des universités de différents pays. Réalisé par Cédric Villani avec un professeur de Dakar, le MOOC Equations différentiels : de Newton à nos jours est emblématique de cette volonté de construire ensemble des cours.
O. R : Avec le recul qu’est-ce que vous disent les enseignants qui ont réalisé des MOOCs sur cette expérience ?
C. M: Ils disent que cela a changé leur façon de travailler, que le métier d’enseignant n’est plus un exercice solitaire mais un travail d’équipe avec des ingénieurs pédagogiques, des experts audiovisuels, des community managers.. Un travail qui demande encore plus de précision et d’efficacité face à la caméra. Résultats : même face à un auditoire ils disent ne plus enseigner de la même façon.
O. R : Jusqu’où peut-on aller dans le déploiement de MOOCs à l’université, notamment dès les premiers cycles?
C. M: En Suisse, à l’EPFL de Lausanne, beaucoup de cours magistraux sont obligatoirement suivis sous la forme de MOOCs, selon le dispositif de la classe inversée. Beaucoup d’étudiants disent préférer suivre le cours sous forme de MOOC plutôt que le cours magistral traditionnel, parce qu’ils peuvent travailler quand ils le veulent, réécouter une séance en cas de besoin ou au contraire écouter la séance en mode accéléré. Les MOOCs sont un élément disruptif qui a fait prendre conscience à beaucoup de l’importance du numérique pour la transformation des formations dans l’enseignement supérieur.
O. R : La question reste posée depuis leur création : quel est le modèle économique des MOOCs ?
C. M: Clairement les MOOCs coûtent plus cher qu’ils ne rapportent aujourd’hui et personne n’a de modèle économique, même sur Coursera. La « rentabilité » d’un MOOC peut se faire sur d’autres critères que financiers. Ainsi le MOOC sur l’épidémiologie du Cnam a permis à son auteur, Arnaud Fontanet, de doubler le nombre de candidats à son master, et d’augmenter de façon significative le nombre de candidats étrangers.
O. R : Combien coûte en moyenne un MOOC à réaliser en France ?
C. M: Un MOOC « standard », comprenant six semaines de cours, 50 à 60 minutes de vidéo par semaine, et correspondant à une trentaine d’heures de travail étudiant, coûte en moyenne 50 000€. Ce montant intègre toutes les charges, y compris les salaires des enseignants.
O. R : Parmi les moyens de rentabiliser les MOOCs il y a la possibilité de vendre des « certifications » à ceux qui achèvent leur formation et passent un examen. Où en est FUN sur ce point ?
C. M: Pour l’instant nous ne délivrons que des attestations mais nous accompagnons les établissements qui souhaitent développer de la certification sur leurs MOOC, comme l’Institut Mines Télécom ou l’université de Paris 2 Panthéon Assas. Pour que nous le fassions plus systématiquement il faudra passer un marché de certification, ce que nous ferons à l’automne.
O. R : FUN doit devenir prochainement une fondation de coopération scientifique. Où en est-on ?
C. M: Le ministère de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche n’a pas vocation à porter FUN de manière pérenne et nous avons eu de nombreuses discussions avec la Conférence des présidents d’université et la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs pour définir les évolutions. Depuis la rentrée 2014 une vingtaine établissements d’enseignement supérieur est réunie dans un consortium pour créer un « groupement d’intérêt public » qui devrait naître fin septembre.
Maitriser la diffusion des MOOCs est crucial. FUN n’a pas de business model. Ce qui signifie que FUN n’est pas auto-financé. Ce qui signifie que FUN ne sera jamais capable de connaître une croissance explosive comme Facebook, Uber ou Blablacar. D’ailleurs ce n’est pas son objectif. En revanche les acteurs américains ont cet objectif en tête. Et quand ils vont avoir terminer de construire l’écosystème et le business model permettant cette croissance explosive, le secteur de l’éducation français sera broyé comme l’a été celui de la presse, de la distribution musicale ou des taxis.
Maitriser la diffusion des MOOCs est crucial, c’est pourquoi FUN devrait disparaître pour laisser la place à une économie privée dont le focus serait de trouver une source d’auto-financement explosive.