Le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation a présenté cette semaine une synthèse du rapport de l’l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (Igésr) sur les Conditions de fonctionnement du centre du don des corps (CDC) de l’université Paris-Descartes. Mission conduite suite à des révélations de L’Express paru en novembre 2019. Le MESRI refuse de divulguer le rapport complet qui a été transmis au parquet de Paris.
Des conditions « indignes » de conservation des corps. Accablant pour l’université le rapport a immédiatement provoqué le départ de l’ancien président de l’université, Frédéric Dardel, du poste de conseiller de la ministre qu’il occupait depuis l’automne dernier. « L’importance et la répétition de ces alertes, à différents niveaux et selon différents vecteurs, tranchent avec l’absence de réaction à la hauteur de la gravité des faits signalés jusqu’en 2018 », estiment en effet les inspections.
En substance la mission a pu constater, « par les différents documents recueillis et notamment le jeu de photographies de 2016, des conditions indignes de conservation des corps à l’automne2016. Au cours de ses travaux, la mission a également constaté que cette situation n’a pas été unique et qu’elle s’est reproduite en février 2018, démontrant ainsi que les problèmes de fond du CDC n’avaient pas été résolus fin 2016 ».
« Le CDC ne vend pas des corps ». Contrairement à ce qui est présenté par L’Express, les experts estiment que « le CDC ne vend pas des corps ». Si L’université a bien « établi et fait voter des tarifs de «sujets» et de «pièces anatomiques», il ne s’agit pas du prix d’un corps ou d’une partie de corps. Il s’agit de faire payer une contribution aux frais que représentent la conservation et la préparation de ces corps. Ceux-ci ne sont en aucun cas vendus ou cédés aux intervenants, mais mis à leur disposition le temps de leur intervention, tout en restant à tout instant sous la responsabilité du CDC ».
La « maladresse » de présentation de l’université. La mission ne peut que « relever et regretter la maladresse de présentation de l’université, qui, en faisant voter des tarifs au corps ou à la partie de corps, a introduit une ambiguïté sur la nature du tarif pouvant laisser penser qu’elle donnait une valeur marchande aux corps ». Selon eux l’activité du CDC donnant lieu à des paiements entre l’université et les structures usagères du CDC n’est « pas répréhensible en soi au plan juridique, dès lors que les tarifs pratiqués ne visent qu’à couvrir les frais de fonctionnement de la structure et ne permettent pas de réaliser de marge bénéficiaire ».
La « marchandisation » du corps humain. Le fait que des usagers aient pu déployer une activité lucrative au sein du CDC, « par les conditions financières dans lesquelles ils faisaient payer les prestations assurées à partir des corps mis à disposition », peut être « considéré comme illégal et engageant la responsabilité de l’université, celle-ci n’ayant pas mis en œuvre de moyens suffisants pour le contrôler et l’empêcher ». C’est sur ce point que la « critique de «marchandisation» du corps humain peut être constituée ». Quant aux trafics évoqués dans l’article de L’Express, la mission n’a pu en établir la preuve.
Mais pourquoi tant de laxisme ? Les experts estiment que le fait de poser le projet de rénovation matérielle comme seule réponse aux dysfonctionnements, a « permis en grande partie de justifier l’inaction sur les autres difficultés et notamment celles concernant des problèmes de management, d’organisation et de pratiques qui pour l’essentiel sont à l’origine des dérives éthiques relevées ». Surtout le centre des Saints-Pères, «temple» de l’anatomie française, aurait laissé se « perpétuer le modèle historique des dissections pratiquées depuis plusieurs siècles sans remettre en question ses pratiques au regard de la place prise par la réflexion éthique, tant dans le monde extérieur qu’en médecine ». De plus des « enjeux de pouvoir et querelles d’écoles, avec des projets concurrents, ont pris le pas sur la résolution des problèmes du quotidien: une école anatomique au sein de Paris-Descartes qui vit la simulation comme une concurrence ».
Peut-on rouvrir le centre ? S’agissant du devenir du centre, sa réouverture apparaît « souhaitable, compte tenu de l’absence de solution immédiate permettant d’assurer le transfert intégral d’activité du centre du don des corps de Paris-Descartes, plus grand centre français, vers les autres centres ». Pour autant, compte tenu de l’historique de ce centre et de l’enjeu majeur de confiance pour l’ensemble du système, « la reprise d’activité du CDC ne peut s’envisager en l’état sans des garanties sérieuses sur les conditions de fonctionnement, à la fois sur le plan de la sécurité, de l’hygiène et de l’éthique »…
- Sur la suite judiciaire à donner le MESRI précise qu’au « moment du lancement de la mission, une enquête a été ouverte par le Parquet de Paris pour «atteinte à l’intégrité du cadavre, c’est à lui que revient donc la décision d’engager des poursuites pénales. Par ailleurs, la mission a établi ses constats sur la seule base des preuves documentées qui lui ont été transmises ou qu’elle a eu à connaître, dans des délais courts. Ne disposant pas de pouvoirs d’investigation comparables à ceux de l’autorité judiciaire, elle a pu être amenée à ne pas retenir des éléments évoqués oralement lors des entretiens conduits et non corroborés par des éléments écrits obtenus. » Selon Le Monde, plusieurs auditions ont été menées depuis décembre par la brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP), qui cherche à établir les responsabilités de l’administration sur le plan pénal. A ce jour, 67 familles ont déposé plainte contre X pour « atteinte à l’intégrité d’un cadavre » auprès du parquet de Paris.