Il est le premier à avoir transféré en ligne les cours de son école pour lutter contre la propagation du Coronavirus. Le directeur de Rennes SB, Thomas Froehlicher, revient avec nous sur les raisons d’une décision qui pourrait bien faire jurisprudence. Mais aussi sur l’ADN d’une école qu’il veut de plus en plus ouverte sur le monde avec notamment la naissance d’une « constellation » de business schools.
Olivier Rollot : De très grandes universités américaines comme Harvard BS passent à l’enseignement en ligne. Alors que les établissements d’enseignement supérieur ne sont pas concernés par les arrêtés préfectoraux de fermeture Rennes SB est la première en France à franchir le pas à partir du 23 mars. Pourquoi cette décision ?
Thomas Froehlicher : L’ADN de Rennes SB est d’être internationale. Tous nos professeurs sont étrangers et donc très souvent impactés dans leur propre pays. Sans parler de nos étudiants dont beaucoup sont Chinois et voient leur pays sortir progressivement de la crise quand nous y entrons. Nous avons également eu deux cas d’étudiants indiens testés positifs à leur retour de Lombardie. Ils sont directement allés à l’hôpital à leur retour – et vont bientôt sortir – et nous n’avons donc pas de cas directement sur le campus.
Même si nous ne sommes pas encore au stade 3 de l’épidémie, nous avons donc décidé de ne plus vivre avec cette angoisse diffuse de voir des cas apparaître. Le message était devenu trop difficile à gérer avec nos partenaires à l’étranger comme avec les étudiants qui envisagent de nous rejoindre à la prochaine rentrée. Nous nous pouvions plus passer notre temps à répondre à de fausses informations.O.
O. R : Comment allez-vous passer au 100% en ligne ?
T. F : A partir du 23 mars tous nos cours seront délivrés à distance après une halte entre le 12 et le 23 mars pour nous préparer. Tout le staff va être équipé pour travailler en télétravail. Nous savons très bien faire au cas par cas et il faut maintenant passer à 250 cours donnés par 175 enseignants à 2 500 étudiants d’ici à la fin de l’année universitaire.
Pour cela nous travaillons déjà avec la plateforme Teams de Microsoft sur laquelle les étudiants peuvent tout à fait poser des questions à distance. Un problème possible, par exemple, peut être la qualité du son. Nous demandons aussi à nos étudiants d’être le plus possible chez eux pour avoir le maximum de bande passante sur le campus. Près de 40 sessions distancielles auront lieu quotiennement en parallèle.
O. R : Vous notez déjà un impact du Coronavirus sur vous recrutements d’étudiants étrangers ?
T. F : Absolument pas. Au contraire nous connaissons une forte hausse. Plus l’Europe sera impactée, plus cela pourrait apparaître comme un risque mais la crise est planétaire. Ce que nous développons aujourd’hui c’est la dimension de résilience d’un campus. Avant de nous décider j’ai, par exemple, appelé le président du Politecnico de Milan. Là-bas ce sont 50 000 étudiants qui travaillent à distance. Et cela fonctionne très bien !
O. R : Ce développement de l’enseignement à distance était-il prévu dans votre plan stratégique ?
T. F : C’était tout à fait intégré et nous allons sans doute gagner plus d’un an dans son développement. Nous nous appuyons pour cela sur nos compétences internes, des partenaires comme Microsoft (Teams), Classilio ou Moodle le cluster EdTech Grand Ouest et son Learning Show qui a lieu depuis 3 ans à Rennes.
O. R : Et pour faire passer les examens ce ne sera pas trop compliqué ?
T. F : Pour les écrits il n’y a pas de soucis, à ce stade. Nous allons seulement les dupliquer à Paris pour rester en-dessous des 1 000 candidats. ECRICOME travaille sur le sujet de manière préeventive depuis plusieurs semaines.
O. R : Votre actualité c’est aussi le passage au Concours Ecricome cette année. Comment cela se déroule-t-il ?
T. F : L’atterrissage dans Ecricome est réussi avec une hausse globale de 3% des inscriptions dans le concours qui nous positionne comme l’une des quatre écoles qui a le plus de candidats post prépas cette année. Avec surtout une hausse dans élèves de classes préparatoires ECS (+ 5%) et surtout littéraires (+30%). Notamment pour ces derniers la hausse est le signal que nous avons amené de nouveaux candidats à Ecricome. À Rennes SB, nous allons donc avoir 2600 candidats de plus aux écrits que nous espérons bien rencontrer lors de nos oraux. Nous anticipons également une hausse à deux chiffres des candidatures en admissions sur titre et en bachelors.
O. R : Comment évolue votre programme Grande école (PGE) ?
T. F : Nous sommes passés au 100% en anglais et nous avons ouvert toutes nos associations aux étudiants étrangers. Nous développons de nouvelles disciplines, en humanités et développement personnel, qui sont dans l’esprit du continuum classes préparatoires / Grandes écoles sur lequel nous travaillons particulièrement avec le lycée Chateaubriand de Rennes. En deuxième année de PGE nous lançons le « pack de curiosité » pour teinter nos programmes de nos recherches académiques aussi bien en « Sustenaible Consumption » qu’en « Geopolitics and International Affairs » ou « Responsible Entrepreneurship ».
O. R : Le bien-être des étudiants est de plus en plus une priorité. Que faites-vous de spécifique en ce sens ?
T. F : Nous avons créé un service « Aloah » pour mieux renseigner nos étudiants et un autre, « Mycoach », où des alumni viennent donner des conseils aux étudiants. Même si nous n’en sommes pas affectés, nous voulons aller beaucoup plus loin dans l’accompagnement de nos étudiants pour éviter les agressions sexistes avec un service dédié. Nous voudrions également confier un audit de nos pratiques à une structure externe pour savoir repérer de possibles dérapages.
O. R : Le développement de l’apprentissage fait-il partie de vos axes de développement stratégiques ?
T. F : Nous avons même augmenté le nombre de contrats signés cette année de 20% pour atteindre les 500 apprentis. Pour aller plus loin et nous donner plus de visibilité nous créons notre propre centre de formation d’apprentis (CFA).
De même nous allons proposer une nouvelle offre de formation continue pour dépasser les 2 millions d’euros de chiffre d’affaire et ainsi entrer dans les classements du Financial Times. Nous avons déjà pratiquement doublé notre chiffre d’affaires en deux ans pour atteindre aujourd’hui les 1,2 millions d’euros.
O. R : Et l’hybridation des compétences ? Allez-vous vous rapprocher d’autres types d’établissements ?
T. F : C’est une autre priorité. Nous étendons notre partenariat avec ISEN Atlantique à Brest, Rennes et Caen en lançant un double diplôme en Digital Business Management ouvert aux étudiants de Rennes SB et ISEN dès septembre en contrat de professionnalisation.
Nous allons également développer notre expertise en géopolitique avec la création d’une chaire dédiée que nous confions à Thomas Flichy de La Neuville, ancien responsable des relations internationales de l’Ecole Militaire Spéciale de Saint-Cyr. Un track dédié recevra quarante étudiants qui suivront un programme aménagé sur le lien entre les relations internationales et le business. Le tout en partenariat avec l’Institute of World Politics de Washington DC, l’Académie diplomatique de Vienne et MGIMO, l’équivalent de l’ENA et de Sciences Po en Russie depuis plus de 60 ans, l’école de formation des cadres de la diplomatie russe.
Nous allons également lancer une chaire de cybercriminalité financière de concert avec des acteurs du Pôle d’Excellence Cyber rennais. Rennes sera au cyber ce que Toulouse est à l’aéronautique.
A Paris nous lançons dans les locaux de l’agence spécialisée dans le design thinking Zenika et l’université de Stanford un certificat professionnel « ME310 » consacré à la pratique créative et méthodologique du design thinking. De grandes entreprises vont nous confier des projets alors que deux voyages à Stanford et à Palo Alto sont également prévus. A l’arrivée les étudiants recevront un certificat « Stanford ME310 ».
O. R : Vous voilà avec de prestigieux partenaires internationaux. Pensez-vous aller encore plus loin en la matière ?
T. F : Nous avons même la volonté de créer une « constellation stratégique » de business schools sur le modèle de ce qui existe dans l’aérien avec StarAlliance ou SkyTeam, En juin 2021, dans le cadre de la célébration de nos 30 ans durant la prochaine académique, nous proposerons une signature collective partagée un certain nombre d’écoles. Ensemble nous co-affilerons nos corps professoraux et développerons des formations communes, en « course-sharing », et avec nos « frequent learners ». Nos quatre premiers partenaires engagés dans l’alliance sont la Caucasus University Tbilissi, la CENTRUM PUCP Business School, l’INSOFE Bangalore et la Zhongnan University of Economics and Law (ZUEL) Wuhan que nous espérons bientôt pouvoir réassocier à notre projet. Rennes deviendra leur campus européen et on retrouve déjà de nombreuses réalisatios comme un MSc partagé de Rennes SB à Bangalore en Data and Business Analitycs.
Dans l’avenir nous voulons présenter un réseau qui sera également présent au Royaume-Uni, aux Etats-Unis et en Afrique anglophone.
O. R : Qu’en attendez-vous exactement ?
T. F : Cette constellation stratégique est pour nous un nouveau modèle stratégique de développement à l’échelle mondiale, plaçant plus que jamais l’apprentissage de la multiculturalité et l’expérience humaine de la mondialisation au cœur de notre nouveau projet stratégique 2019-2023. Dans l’agenda stratégique de la constellation, l’adossement de marques de business schools fortes dans leur continent ou « région » à une marque-signature mondiale (comme Star Alliance) est un point majeur. Cela permettra aussi une collaboration « seamless », une experience étudiante continue en tout point de cette alliance, à travers la planète : par le partage de professeurs co-affiliés, donc une recherche académique renforcée, d’une bibilothèque commune de cours (course-sharing) permettant de multiplier des programmes conjoints et d’associer à la constellation de nouveaux partenaires hors business education apportant de nouveaux services à valeur ajoutée. Notre chaine de valeur se complexifie et se densifie.
Il faudra déployer une agence commune de ressources pour le développement de capacités partagées par tous les membres de la constellation, en management des données, en innovation digitale, dans nos aménagements intérieurs pour une meilleure expérience étudiante.
Cette constellation sera aussi un modèle original en termes de soutenabilité, de développement durable et d’inclusion sociale à l’échelle de la planète.
Dans l’immédiat, nous devons compléter notre constellation avec 3 nouveaux partenaires et aller d’un réseau organisé et donc centré sur Rennes SB à un réseau distribué où tous nos partenaires apprennent à se connaître et à collaborer de manière agile. C’est tout le travail que mène en particulier Santiago Garcia, le directeur général adjoint de l’école et directeur de la Global School de Rennes School of Business, qui pilote ce projet majeur depuis son arrivée à Rennes.