L’EM Strasbourg vient d’obtenir son accréditation Equis, faisant ainsi son entrée dans la catégorie des écoles « triples couronnées » (Equis, AACSB et Amba). Reconduit en 2021 à la tête de l’école pour un second mandat, Herbert Castéran nous présente son plan stratégique pour son école. Les convictions d’un directeur qui met le cap sur l’Europe.
Olivier Rollot : Vous venez de présenter le plan stratégique 2022-27 de l’EM Strasbourg. En une phrase c’est « cap sur l’Europe » ?
Herbert Castéran : C’est effectivement au cœur de notre plan stratégique 2022-27 ; Nous souhaitons consolider notre statut d’école de management référente en Europe. À la rentrée 2022, si le Covid permet la construction, nous ouvrirons ainsi notre premier campus européen en Allemagne. Ce sera à Kehl, une ville limitrophe de Strasbourg à laquelle on accède par un pont sur le Rhin. Sur 800 m2 nous y hébergerons notre Cross- Border Management Institute (COMMIT), l’institut franco-allemand de management que nous avons créé, avec des masters, des programmes germanophones et d’Executive Education. Ce campus à Kehl va rendre visible notre politique de compétence linguistique.
O. R : Cela s’inscrit dans le campus européen Eucor dont fait partie votre université de tutelle, l’université de Strasbourg ?
H. C : C’est dans la logique d’Eucor mais pour l’heure, seule l’université de Karlsruhe est concrètement impliquée dans le COMMIT. En plus d’Eucor, l’université de Strasbourg est maintenant membre d’un réseau d’universités européennes plus large, EPICUR.
O. R : Quels autres projets européens développez-vous ?
H. C : En 2021, un triple diplôme bachelor européen a été créé. Ce parcours permet à des étudiants de notre bachelor de bénéficier d’un cursus de trois ans dans deux établissements européens de renom : HEC Liège en Belgique et l’Université de Hohenheim en Allemagne. Les étudiants de notre bachelor international peuvent passer une année au sein de chaque université partenaire et obtenir un triple diplôme. Ils peuvent également opter pour le parcours « affaires internationales » et obtenir en plus une licence d’économie de l’université de Strasbourg en suivant quelques cours supplémentaires.
Depuis 2018, nous proposons également à tous nos étudiants de suivre un module qui chapeaute les initiatives de l’école sur le terrain de l’international en général et de l’Europe en particulier : CLUE de l’acronyme résume la mission avec Crosscultural skills (conférences et cours de « Management Interculturel »), Language excellence (accès au Language Learning Center et plateforme e-learning Go Fluent), Uncommon activities (visites d’institutions européennes) et European Leadership (conférence « Enjeux économiques et sociaux en Europe »).
O. R : Le développement de l’EM Strasbourg à l’international peut-il également se faire hors d’Europe ?
H. C : Notre objectif est de travailler avec un grand partenaire sur chaque continent. Nous créerons ainsi des hubs qui auront vocation à irriguer tout un continent en hébergeant des formations de l’EM Strasbourg. Nous nous adresserons ainsi à des étudiants internationaux qui n’ont pas forcément le souhait de passer deux ou trois années en France.
En nous appuyant sur la réputation d’excellence de l’université de Strasbourg, de ses 60 000 étudiants, nous sommes très bien reconnus dans le monde. Nous pouvons ainsi par exemple proposer à nos étudiants de partir suivre un double diplôme dans une université américaine sans avoir à débourser un euro de plus.
O. R : L’EM Strasbourg va-t-elle encore plus développer ses synergies avec l’université de Strasbourg ? Et plus largement sa région ?
H. C : L’EM Strasbourg entend effectivement d’exploiter davantage les synergies avec l’université pour hybrider les compétences. Nous proposons ainsi des parcours de formation à la carte et des partenariats avec d’autres composantes pour accroitre l’offre de parcours double compétences. Dans le cadre de notre programme Grande école, les étudiants auront accès en septembre 2022 à 22 masters en gestion et économie contre 17 aujourd’hui et 12 double diplômes (7 aujourd’hui).
Nous travaillons également avec d’autres Grandes écoles d’ingénieurs, de designers, etc. Je viens d’ailleurs d’être élu président d’Alsace Tech, une alliance de Grandes écoles qui confie pour la première fois sa présidence à un non-ingénieur.
O. R : La qualité de l’expérience étudiante est également une caractéristique que vous cultivez
H. C : Nous proposons notamment un excellent ratio d’étudiants par professeur : 27 alors que la moyenne des écoles membres de l’AACSB (Association to Advance Collegiate Schools of Business) est de 33. À travers des entretiens individuels, des jeux en équipe pour développer les soft skills, des conseils de professionnels nous allons proposer un parcours sur-mesure aux élèves leur permettant de s’épanouir. Une politique de digitalisation sera également impulsée pour innover pédagogiquement et accroitre l’expérience des étudiants.
Par ailleurs l’EM Strasbourg ouvre son PGE à l’apprentissage. A partir de la 2ème année 50 étudiants par promotion pourront bénéficier de ce parcours et ainsi faire leur PGE avec un contrat d’apprentissage de 2 ans. Les étudiants auront donc le choix entre deux parcours à la carte : soit avec une année obligatoire à l’étranger, soit un autre davantage centré sur l’apprentissage.
O. R : Dans quels axes la recherche se développe-t-elle au sein de l’EM Strasbourg ?
H. C : Nous développons trois pôles d’excellence : la prise de décision dans un environnement complexe, la transformation digitale au sein des entreprises et des organisations, le management responsable et durable. Nous travaillons à la question de la dimension sociétale pour en faire un axe de recherche. C’est d’autant plus important pour nous que nous faisons partie d’un territoire qui entend produire un modèle management responsable.
O. R : La responsabilité sociétale et environnementale (RSE) est un autre marqueur fort de l’EM Strasbourg ?
H. C : Nous n’avons, comme d’autres, à faire d’effet d’affichage sur notre dimension RSE. Elle est depuis très longtemps essentielle dans notre modèle avec, à fois des modules spécifiques que suivent tous nos étudiants, et des certifications. Nous avons atteint aujourd’hui une dimension d’imprégnation de la RSE dans tous nos axes. Notre plan stratégique s’appuie d’ailleurs sur des intangibles culturels qui favorisent ce type d’émergence. L’école entend ainsi mobiliser chaque personnel pour devenir un établissement à impact social et environnemental positif.
O. R : Tout cela ne se retrouve pas forcément dans les classements de l’école. Vous en contestez même certains critères.
H. C : Nous sommes vigilants quant aux critères qui favorisent la taille brute au détriment du résultat. Notre croissance est volontairement limitée par le souhait de conserver un fort taux d’encadrement. Or, le volume de publications dépend forcément du nombre d’enseignants-chercheurs ! Cette donnée devrait être apprécié en termes de productivité par enseignant-chercheur. Le nombre d’alumni devrait quant à lui être ramené au nombre d’étudiants. Un étudiant pour sept alumni comme c’est le cas à l’EM Strasbourg c’est autant d’occasions de contacts que ne peut pas proposer une école qui a un moins bon ratio. Nous posons la question : qu’est-ce que les classements entendent mesurer ? La taille est-elle un élément consubstantiel de la qualité ? Nous ne le pensons pas. Nous voulons aujourd’hui instaurer un dialogue avec les classeurs.
O. R : Quelle croissance de l’école prévoit votre plan stratégique ?
H. C : Aujourd’hui nous recevons 3400 étudiants dont 2000 dans le programme Grande école. Dans cinq ans nous souhaitons en recevoir en tout 4000 avec une hausse qui concernera essentiellement notre bachelor et les masters universitaires. Nous souhaitons également multiplier par trois le nombre d’étudiants internationaux. Ils sont aujourd’hui 120 à suivre des diplômes sur notre campus et nous pensons passer à 360 ou 400.
Cette croissance sera toujours accompagnée d’une grande ouverture sociale. Chaque année nous allons offrir en tout un siècle d’études gratuit à nos étudiants. Entrer dans une Grande école ne doit pas être conditionné par des critères financiers mais uniquement par les compétences. Aujourd’hui nous recevons par exemple 30% de boursiers en PGE. Nous allons également créer pour 2022-2023 un statut d’« étudiant aidant » destiné à soutenir des étudiants qui ont quelqu’un à aider dans leur environnement.
O. R : Alors que la fermeture de classes préparatoires économiques et commerciales générales (ECG) se précise comment l’EM Strasbourg défend-elle leur modèle ?
H. C : C’est une vraie question. Un chiffre pour l’illustrer : en 2008 80% des recrutements post classes préparatoires avaient lieu dans 19 écoles. En 2014 ce même pourcentage se réduit à 16 écoles et en 2022 à 13. En 2026 l’essentiel du recrutement se fera-t-il dans seulement 10 écoles? Quel devenir ont les classes préparatoires si leurs débouchés se réduisent ainsi ?
Il faut s’interroger sur la possibilité de réguler les recrutements des écoles, soit en attirant plus d’élèves en classes préparatoires, soit en limitant leur croissance. Un autre chiffre : jusqu’en 2015 il y avait un élève de classe préparatoire pour sept élèves issus en Grande Ecole. En 5 ans, le ratio est passé à 1 pour 11 !
C’est d’autant plus dommage aujourd’hui de limiter la croissance des classes préparatoires qu’elles mènent à des écoles qui assurent une excellente insertion professionnelle. Quand vous appartenez à une région qui ne propose pas de classe préparatoire, y compris si vous faites partie de la classe moyenne, vous êtes défavorisé.
Il faudrait vraiment organiser aujourd’hui des assises entre les classes préparatoires et les Grandes écoles pour évoquer tous ces sujets.