Laurence Fort-Rioche, responsable du continuum CPGE / Grandes écoles de Rennes SB, et Alain Joyeux, président de l’Aphec
Rennes SB vient de créer le poste de responsable du continuum classes préparatoires pour le Programme Grande École, confié à Laurence Fort-Rioche. Une nouvelle qui ne pouvait que réjouir le président de l’Association des professeurs de classes préparatoires économiques et commerciales (Aphec), Alain Joyeux. Entretien croisé.
Olivier Rollot : Laurence Fort-Rioche, expliquez-nous ce que le poste de responsable du continuum classes préparatoires pour le Programme Grande École que vous occupez et que vous créez même – il est unique dans les écoles – représente pour Rennes SB ?
Laurence Fort-Rioche : Il y a toujours eu des relations très fortes entre Rennes SB et les classes préparatoires. En créant ce poste, il s’agit pour nous de confirmer ce lien essentiel, mais ce n’est pas seulement symbolique. Il s’agit d’accroitre encore nos relations avec les élèves de classes préparatoires qui représentent plus de 90% des étudiants en première année de notre Programme Grande école (PGE) et, bien sûr, avec leurs professeurs. Je me rends très souvent et depuis longtemps dans les classes prépas et je coordonne, depuis plusieurs années, un summer camp à Rennes pour leurs élèves. J’ai un attachement fort à cette formation.
Nous allons continuer d’élargir notre réflexion sur le continuum, initier de nouvelles actions pour accompagner plus efficacement encore la transition vers le programme Grande école. Je suis d’ailleurs également référente académique de l’école sur les questions de transition environnementale et sociétale, et ce n’est peut-être pas un hasard. Les transitions sont multiples, complexes, y faire face demande un large spectre de connaissances et de compétences qui s’acquièrent dès la classe préparatoire.
Alain Joyeux : Je souhaiterais que toutes les écoles s’inspirent de Rennes SB. Le summer camp que vous venez d’évoquer rencontre un gros succès. Cette initiative fait vivre le continuum et aide les élèves comme les professeurs à briser la barrière psychologique qui subsiste encore parfois entre les classes préparatoires et les Grandes écoles. Ces dernières années, l’action de l’Aphec s’est largement concentrée sur cette notion de continuum, puisque l’accès aux Grandes écoles de management est la principale raison d’être des CPGE EC Ainsi, nous montrons bien qu’il s’agit d’une filière de bac à bac+5 jusqu’au master 2. Les synergies évoquées vont -elles aussi dans ce sens de former en cinq ans des étudiants disposant de fortes et larges compétences tout en ayant la capacité à les hybrider au service de l’action et de l’innovation.
O. R : Vous avez évoqué le summer camp que Rennes SB organise chaque année pour des élèves de classes préparatoires. Pouvez-vous nous en dire plus ?
L. F-R : Chaque année, en coopération avec l’Aphec, nous invitons cinquante élèves de classes préparatoires de la France entière, pendant quatre jours, pour découvrir ce qu’est une école de management. Depuis son lancement il y a quatre ans, nous mettons en avant les questions de responsabilité sociale et environnementale (RSE) des organisations au centre de ce séminaire, en parallèle d’un focus sur l’innovation et l’entrepreneuriat. Des alumni ainsi que des professeurs de l’école et de classes préparatoires viennent partager leur vision. Un professeur du lycée Saint-Vincent de Rennes intervient sur la finance durable pour faire comprendre que face aux transitions contemporaines, les notions de responsabilité et d’impact sont centrales. Cela fait écho à un projet sur la finance durable que nous menons avec les classes préparatoires rennaises et, pour l’année à venir, avec le lycée Henri IV à Paris et Sorbonne Université sur l’achat d’actions dans un portefeuille durable.
Ce summer camp est une occasion unique pour les élèves de se plonger dans le monde de l’entreprise, car tous n’ont pas l’opportunité de faire ce type de rencontres. De plus, un challenge dédié à la création d’une projet d’innovation responsable dans le domaine de la mode permet aux participants de relier apports conceptuels et mise en pratique. Ce sont quatre jours très intenses qui débouchent sur un pitch devant un jury. Nous faisons aussi le lien entre des approches pédagogiques variées, toujours dans l’esprit “Unframed” qui nous caractérise et avec à cœur la créativité, l’innovation et les connexions au centre de notre stratégie.
O. R : Il faut encore mieux montrer le continuum CPGE / Grandes écoles. C’est ce que demande l’Aphec ?
A. J : Quelques écoles se sont lancées dans des actions comparables, notamment TBS Education. Ce qui est particulièrement intéressant, c’est de faire venir et faire participer dans ces séminaires des élèves de toute la France, de proximité comme des grandes prépas parisiennes : la diversité est fertile pour tous ! Une école ce n’est pas que son classement Sigem ! Elles ont toutes des éléments passionnants à faire partager. Que l’on puisse suivre des cours de géopolitique, de RSE, etc. cela montre bien à nos élèves que ce qu’ils apprennent en prépa ne sert pas uniquement lors des concours. Il faut absolument décloisonner les disciplines.
Par ailleurs, une cinquantaine de classes préparatoires ont initié des immersions en entreprise en première année. Les élèves n’ont pas beaucoup d’ouverture sur le monde professionnel et le summer camp en est une. Et même si l’on se place dans une dimension utilitariste, cela leur servira pour passer demain des entretiens de motivation. Enfin, la participation de professeurs de prépas montre bien la complémentarité et la cohérence du parcours CPGE – Grandes écoles.
L. F-R : Je coordonne le cours de marketing de première année du Programme Grande école de Rennes SB et il a notamment évolué au fil de mes échanges avec les élèves. Il s’appelle aujourd’hui « Critical Thinking for Responsible Marketing and Desirable Futures ». Envisager le marketing avec un esprit critique, c’est être réaliste face aux enjeux contemporains mais c’est aussi se nourrir de la richesse des échanges que je peux avoir avec les élèves de classes préparatoires qui ont un regard neuf, avec qui j’apprécie de débattre de sujets historiques ou de société et qui nous challengent beaucoup.
Nous avons également fait évoluer notre cursus de première année du programme Grande école pour être plus en phase avec le calendrier des élèves de prépas. Les quatre parcours au choix commencent maintenant au second semestre pour que les élèves puissent prendre pied au premier, avancent dans leurs connaissances des matières qui sont nouvelles pour eux et puissent choisir leurs électifs en connaissance de cause. Les heures de géopolitique du tronc commun ont également été doublées. Des conférences pointues sur des sujets contemporains, toujours en lien avec les transitions, vont ponctuer plus régulièrement encore la première année.
O. R : Cet esprit critique, on l’acquiert en classe préparatoire ?
A. J : Nous formons nos élèves à avoir un esprit critique. Dire « au fond la prépa c’est l’abstraction et les écoles la technique » c’est faux ! Les programmes de prépas ne consistent pas en du bachotage, mais bien à une ouverture sur toutes les grandes problématiques du monde contemporain comme par exemple la transition écologique. L’ambition est de faire de nos étudiants des acteurs capables d’analyse critique, d’imagination et de responsabilité. C’est pourquoi la plupart des écoles veulent absolument continuer à recruter des jeunes issus de prépa, elles souhaitent même en recruter plus qu’aujourd’hui !
L. F-R : Comme je l’ai évoqué, cet esprit critique est essentiel et, je le dis souvent aux étudiants, être à même de raisonner, d’analyser, de forger un jugement, de réfléchir par soi-même, d’avoir une approche systémique sont des atouts à vie, des compétences incontournables face aux défis contemporains. Je suis tout à fait d’accord avec Alain Joyeux. C’est une des passerelles de ce continuum entre classes préparatoires et écoles de management.
O. R : Une question plus large. Pourquoi tant d’élèves de classes préparatoires préfèrent chaque année, après leur concours, ne pas entrer dans une école et cuber voire prendre une autre direction ?
A. J : Faute d’information, trop d’élèves ne considèrent que les écoles du haut du tableau. Comme je l’ai déjà indiqué, il y a un gros travail à faire pour les convaincre qu’une école de management ce n’est pas qu’un classement Sigem. Or, beaucoup considèrent qu’entrer dans la dixième école du classement c’est obtenir HEC-10 ou plus loin HEC-15. C’est un défi pour les écoles de montrer leur projet, leur singularité. Il n’y a pas de fatalité pour que les écoles au-delà du la 15ème place ne remplissent pas les places qu’elles ouvrent.
Le risque, c’est qu’à terme les classes préparatoires ne conduisent qu’à un nombre de plus en plus faible d’écoles et que la tutelle n’accepte pas qu’un système soit réduit à travailler avec six ou sept écoles seulement. Il faut convaincre les élèves qu’une école qui n’est pas positionnée dans le top 15 en vaut pourtant la peine.
L. F-R : Cette année lors des oraux, j’ai rencontré des élèves qui étaient venus auparavant à notre summer camp. Ils m’ont dit combien cette expérience leur avait redonné le goût de poursuivre leurs objectifs. Je cite un étudiant : « J’ai compris ce que m’apportait tout ce que j’apprenais en classe préparatoire et le lien très fort entre ces connaissances et les études en école de management ». Il est nécessaire de réaffirmer que les compétences acquises en classes préparatoires ont toute leur place dans les écoles, qu’elles constituent un socle solide et précieux.
La campagne « Prépare toi » qu’a lancée la Conférence des directeurs des écoles françaises de management (Cdefm) avec l’Aphec cette année, montre justement qu’il n’y a pas deux temps totalement distincts mais une progression que nous devons rendre la plus fluide possible. J’ai d’ailleurs en tête différents projets qui seront mis en œuvre dans les mois à venir pour rendre plus tangible encore ce continuum
A. J : Nous continuons à travailler sur tous ces sujets avec la Cdefm et nous appelons toutes les écoles, pas seulement celles du très haut de tableau, à se joindre à nous pour participer aux diverses réflexions conjointes qui sont menées sur les évolutions de la filière. Nous sommes convaincus que l’avenir de la filière est dans le continuum qu’il faut rendre plus lisible. Je veux aussi remercier chaleureusement le BNEM (Bureau national des étudiants en école de management) qui nous apporte une aide essentielle et précieuse dans les salons de l’enseignement supérieur et dans divers forum pour promouvoir la filière CPGE-GE.