C’est un fin connaisseur de l’enseignement de gestion qui vient de prendre la direction de l’IAE de Paris. Jean-Pierre Helfer en a en effet déjà assuré la direction (de 1990 à 2001) avant de diriger une école de management, Audencia, de 2004 à 2010. Surement l’homme idoine pour résoudre une question qui occupe les esprits de l’IAE de Paris depuis maintenant trois ans : à quelle université doit-il être rattaché ?
Olivier Rollot : A qui doit être rattaché l’IAE de Paris, à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne comme aujourd’hui ou à l’université Paris-Dauphine comme votre prédécesseur en avait le projet ?
Jean-Pierre Helfer : Depuis trois ans un processus a été mis en œuvre pour que notre IAE soit rattaché à Paris Dauphine. En me nommant à la tête de l’IAE on a voulu quelqu’un qui ait un œil un peu neuf pour conclure quel était le rivage le plus intéressant pour ancrer notre IAE. Pour l’instant rien n’est abouti avec Paris-Dauphine et rien n’est impossible avec Paris 1. Mon rôle est, soit de définir les avantages et les inconvénients de chaque solution pour que les instances dont nous dépendons prennent une décision, et de donner moi-même un avis plus incisif.
O.R: Mais pourquoi n’a-t-on pas encore abouti?
J-P.H : Faire évoluer ce qui existe depuis 60 ans n’est pas si simple. Détricoter toute une histoire c’est long. L’idée de se rattacher à Dauphine a tout son sens. Quant à Paris 1, des espaces de coopération assez larges – mais aussi de compétition -, existent avec elle. Si on élargit le débat aux écoles de management, on voit bien qu’il est plus facile de rapprocher deux institutions complémentaires, qui ont certes des différences mais ne sont pas en compétition, comme par exemple Audencia que je connais bien et l’École centrale de Nantes, que des institutions proches qui se retrouvent sur les mêmes territoires. On le constate avec France Business School ou Kedge.
O.R: Mais fallait-il alors engager ce mouvement ou, plus largement, ces fusions?
J-P.H : Il y a aujourd’hui une « prime » au changement et tout le monde veut montrer qu’il est dans le mouvement. Seulement, pris dans un certain enthousiasme parfois, on ne réfléchit pas assez aux étapes suivantes. Quand j’observe le paysage de l’enseignement supérieur je me demande si certains n’ont pas privilégié un avenir en forme de tornade alors même qu’ils n’avaient pas forcément la motivation ou l’intérêt nécessaire pour se lancer. Le changement ce n’est pas un objectif en soi !
O.R: Quel que soit le rattachement futur de votre IAE on sait que vous tenez à conserver son indépendance. Pourquoi ?
J-P.H : Il n’y a pas d’autonomie stratégique sans une indépendance qui comprend aussi bien la gouvernance de l’établissement que la maîtrise de ses locaux et de ses recrutements et, surtout, celle de ses budgets. Pour ces derniers, cela signifie par exemple que nous pouvons faire des « réserves », c’est-à-dire conserver ce que nous n’avons pas dépensé une année pour investir la suivante. C’est ce qu’autorise aujourd’hui le statut que nous avons obtenu en 1989. Et je me souviens de ce qu’était l’IAE avant ce statut comme je vois ce qui se passe aujourd’hui dans d’autres IAE qui ne bénéficient pas de notre indépendance. La capacité à avoir unes stratégie et une autonomie opérationnelle est indispensable !
O.R: Justement, les autres IAE que vous évoquez se plaignent d’être parfois peu considérés par leur université de tutelle, notamment depuis que celles-ci bénéficient d’une certaine autonomie avec la loi dite LRU. Quel regard jetez-vous sur ces IAE ?
J-P.H : De manière générale quand on utilise le mot d’autonomie aujourd’hui on parle de celle de l’université vis-à-vis de sa tutelle, pas à l’égard de l’autorité centrale de l’université. Pendant les 10 ans que j’ai déjà passés à la tête de cet IAE j’ai vécu des moments de parfaite complicité avec notre université de rattachement, mais aussi des moments difficiles. La vie de nos établissements fait qu’il faut travailler dans le consensus. Nous ne dirigeons pas des entreprises privées dans lesquelles les dirigeants peuvent imposent des oukases.
O.R: Ce que vous demandez en fait pour l’IAE de Paris c’est l’indépendance mais dans un cadre assez large pour vous soutenir ?
J-P.H : Notre IAE a des effectifs réduits : 35 professeurs pour 120 à HEC et 85 à Audencia. Nous devons donc vivre dans un régime de coopération avec notre université de rattachement et, au-delà, le pôle de recherche et d’enseignement supérieur (PRES), ou bientôt la communauté, dont il fait partie. Et là encore les deux solutions sont intéressantes : Paris 1 est dans Hesam avec le Cnam et ESCP Europe, avec lesquels nous travaillons déjà. De l’autre côté Dauphine est membre de Paris Sciences et Lettres, une véritable université de recherche avec laquelle nous pouvons bien travailler. Encore une fois les deux options sont viables et j’ai promis à ceux qui me font confiance de travailler pour pouvoir leur indiquer quelle est la meilleure à mon sens.
O.R: Au-delà de la question du rattachement, que voulez-vous faire de votre IAE ?
J-P.H : Notre défi majeur c’est de se projeter dans le futur et de renforcer nos territoires pour avoir suffisamment d’impact. Notre spécificité est de ne proposer que de la formation continue, une formation continue dans laquelle j’inclus l’apprentissage. Au total, 70% de notre activité se déroule en formation continue et 30% en apprentissage. Nous sommes enracinés dans la réalité et nous ne vivons que de la rencontre avec l’entreprise.
O.R: Quel profil d’étudiants recevez-vous ?
J-P.H : Nous sommes des spécialistes de la double compétence et nous recevons plus de 50% de scientifiques et d’ingénieurs qui viennent apprendre le management. C’est pour cela que nous proposons des masters très larges, en « finance » ou en « marketing », et pas en « marketing des grandes surfaces » ou « ressources humaines appliquées à un secteur concurrentiel » comme d’autres.
O.R: Vous avez dirigé une école de management et un IAE, donc une structure universitaire. C’est très différent ?
J-P.H : Non pas vraiment, dans les deux cas les clients sont les étudiants et les forces majeures les professeurs. Quant aux tutelles, que le soit une chambre de commerce ou le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche c’est relativement semblable.
O.R: On parle beaucoup des difficultés qu’il y aujourd’hui à recruter des enseignants de gestion. Est-ce un problème pour vous ?
J-P.H : Non. Ce que recherche ce sont des professeurs d’université qui sont, la plupart du temps, les meilleurs de leur génération. Or ils sont heureux de venir rejoindre un établissement comme le nôtre, situé en plein centre de Paris, possédant pas moins de quatre chaires d’entreprises et qui propose un portefeuille de programmes qui leur permet de porter la bonne parole partout dans le monde.