Rapprocher l’université Paris-Sud (Orsay), l’École Polytechnique ou encore HEC dans un grand ensemble pluridisciplinaire de dimension mondiale, c’est l’objectif du Campus Paris-Saclay, qui donnera naissance à une véritable université de 60 000 étudiants le 1er janvier 2014. À sa tête depuis 2011, Dominique Vernay a dû affronter bien des tempêtes mais est aujourd’hui résolument optimiste pour un projet qui mobilise près de 2,5 milliards d’euros.
Olivier Rollot : Depuis son lancement en 2008, la création de la grande université Paris-Saclay est tout sauf une promenade de santé. Aujourd’hui tout va bien ?
Dominique Vernay : Notre objectif est de créer une université fédérale ayant une marque forte, sur le modèle par exemple de Cambridge. Mais comment chaque établissement prend-il sa place dans cet ensemble qui sera visible mondialement ? C’est logique qu’il y ait eu des difficultés quand on veut rapprocher autant d’institutions de grand renom, qui sont souvent les meilleures dans leur spécialité et veulent préserver leur marque.
Nous avons aussi traversé une phase très difficile lors de la préparation de l’Idex (initiative d’excellence) que nous avons finalement obtenue après un vrai concours. Aujourd’hui nous pouvons dire que nous allons tenir nos engagements avec la mise en place d’une véritable université fédérale. La communauté académique et les grands organismes de recherche (CEA, CNRS, etc.) sont aussi acquis à cette vision. Paris-Saclay est d’ailleurs le seul ensemble d’enseignement et de recherche français dans lequel tous les organismes sont représentés.
O.R : Il n’y plus aucun problème alors ?
D.V : Dans moins d’un an nous serons une vraie université. Ce qui ne signifie pas que tout est simple. 21 établissements membres ce sont aussi 21 gestions des ressources humaines et six ministères de tutelle ! Nous avons donc découplé la création des structures communes de celle des statuts des personnels qui restent attachés à leur établissement et conservent leur statut. Paris-Saclay est un gros navire qui doit garder de la souplesse et garantir que les petits établissements ne soient pas écrasés par les plus importants. Il faut surtout garder notre capacité d’innovation comme par exemple à l’l’Institut d’optique qui possède un modèle d’ingénieur entrepreneur et innovant.
O.R : Comment faites-vous pour intégrer les grandes écoles dans cet ensemble ?
D.V : Nous leur demandons d’abord de réfléchir à tout ce qu’elles ont de partageable et de spécifique. Ensuite de se concentrer sur l’essentiel de leur mission pour se pérenniser dans le cadre d’un modèle type Cambridge où les grandes écoles deviendront un jour des colleges.
O.R : C’est un point crucial de rapprochement entre ces institutions : où en est la mutualisation des écoles doctorales ?
D.V : Elle est en très bonne voie et les écoles doctorales seront bientôt toutes inter-établissements sous la houlette de l’université Paris-Saclay. Ainsi, ce qui était un point de fixation des divergences et devenu un point emblématique des convergences. Par effet d’entrainement, tout le niveau master suit et nous en proposerons bientôt un nombre plus limité avec une offre à la fois complète et lisible.
Maintenant pour aller plus loin il faudra des actes symboliques, comme la remise des diplômes dans des locaux communs, pour que tous les étudiants aient la fierté d’appartenir à un grand campus, et des résultats probants en matière d’attractivité internationale, d’innovation, de reconnaissance pour les établissements aient envie d’aller plus loin.
O.R : On parle beaucoup aujourd’hui de pluridisciplinarité mais vous êtes essentiellement un grand ensemble scientifique.
D.V : Nous proposons effectivement beaucoup de sciences mais, grâce aux universités Paris-Sud et Versailles Saint-Quentin (UVSQ), aussi du droit, de la médecine ou des sciences humaines et sociales. Il ne nous manque guère que les arts ou le design.
Le mot-clé de notre Idex est bien interdisciplinarité mais, pour réussir à travailler ensemble, il faut d’abord que l’organisation disciplinaire soit plus forte. Ainsi dans le cadre de l’Idex, nous créons l’Institut du numérique pour traiter des sujets à l’interface entre les technologies de l’information et les autres disciplines, nous lançons aussi une initiative dans le domaine de la modélisation du vivant qui fera travailler ensemble des biologistes et des mathématiciens, etc.
O.R : La Cour des comptes l’a dénoncé récemment : la recherche française n’est pas assez valorisée économiquement. Que faut-il faire pour que cela change ?
D.V : Je ne crois pas aux mythes de l’homme providentiel ou du grand soir qui va soudainement tout changer. Il y a encore beaucoup d’aspects comme la prise de risque ou les interactions entreprises / universités à améliorer. On n’est pas encore au meilleur niveau mais les Pôles de compétitivité ont déjà permis de bien rapprocher entreprises, université et collectivités locales. Il y a maintenant de véritables écosystèmes dans lesquels la valorisation de la recherche se fait de mieux en mieux. Dans les laboratoires de Saclay ce sont aujourd’hui 500 entreprises qui interagissent.
O.R : La création d’entreprise est aussi au cœur de votre action.
D.V : Nous avons créé le PEEPS, le Pôle d’entrepreneuriat étudiant Paris-Saclay, pour donner accès à tous aux formations à l’entrepreneuriat. Au-delà nous possédons en propre – et nous sommes les seuls en France ! -, une société d’accélération du transfert de technologie, une SATT dans laquelle l’État va investir 60 millions d’euros pour financer des projets ayant des débouchés industriels. IncubAlliance, l’incubateur commun du campus, va nous permettre de détecter les meilleurs projets.
O.R : La loi qui va bientôt être votée sur l’enseignement supérieur et la recherche prévoit la création de conseils académiques dans les universités. Mais vous avez déjà créé une communauté académique au sein de Paris-Saclay.
D.V : Nous avons été les premiers à le faire en demandant aux scientifiques de s’organiser dans la création d’un Sénat académique qui comprend 150 chercheurs et enseignants-chercheurs. Le succès de Paris-Saclay dépend d’abord de la forte mobilisation d’enseignants-chercheurs qui doivent se sentir reconnus et partager le projet commun.
- Bio express : Dominique Vernay
- Celui qui préside depuis 2011 aux destinées de la fondation de coopération scientifique Paris Saclay est d’abord un industriel. Ingénieur (Supélec), il a fait toute sa carrière dans l’industrie et a commencé à travailler avec de nombreux acteurs du projet actuel en tant que directeur technique du groupe Thalès dans le cadre de la création, en 2000, d’OpticsValley. Lisez un portrait complet sur le site du campus.