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« Ce n’est pas possible de compenser en prépa tout ce qui a été perdu dans l’enseignement des sciences tout au long du collège et du lycée » : Sylvie Bonnet, présidente de l’UPS

L’Union des professeurs de classes préparatoires scientifiques (UPS) regroupe 2800 enseignants dans toute la France. Avec sa présidente, Sylvie Bonnet, elle s’engage régulièrement pour la promotion des sciences. Retour avec elle sur les débats du moment.

Sylvie Bonnet

Olivier Rollot (@O_Rollot) : Vous soutenez le mouvement Sciences en marche, qui traverse aujourd’hui la France pour demander plus de moyens pour la recherche. Cela fait partie des missions de l’UPS ?

Sylvie Bonnet : Le problème de l’emploi scientifique fait forcément partie de nos préoccupations, en tant qu’enseignants scientifiques mais aussi pour l’avenir de nos élèves dont nous estimons qu’aujourd’hui 20% vont aller vers la recherche, notamment en effectuant un doctorat. Aujourd’hui il y a un vrai problème pour l’emploi des jeunes chercheurs en France car la pyramide des âges ne leur est pas favorable avec des départs à la retraite repoussés suite à la réforme des retraites. Or nous considérons qu’on pourrait par exemple économiser beaucoup d’argent – et donc créer des postes – en perdant moins de temps à répondre à des appels à projet. De la même façon, le crédit impôt recherche, qui est aujourd’hui essentiellement une subvention aux entreprises, pourrait profiter à l’emploi scientifique.

O. R : Vous êtes également engagé dans la réforme des classes prépas scientifiques suite à une réforme du bac S que vous continuez à désapprouver.

S. B : A la dernière rentrée les élèves issus des nouveaux programmes du bac S sont entrés en deuxième année de prépa. Nous nous sommes adaptés à ces nouveaux profils mais il faut être conscient des dégâts qu’on a causés à l’enseignement scientifique en France avec cette réforme. Aujourd’hui jusqu’au bac les enseignements de la filière S sont cloisonnés. Il n’y a aucun lien entre les sciences ce qui est une véritable insulte à 2000 ans de pensée scientifique. C’est d’autant plus absurde que les écoles d’ingénieurs nous demandent de préparer nos élèves à travailler de façon de plus en plus interdisciplinaire. Résultat : à leur entrée en classe préparatoire scientifique, on se retrouve face à des élèves qui ont pratiqué une physique essentiellement descriptive et n’ont pas intégré les mathématiques nécessaires à des démonstrations.

O. R : Alors le niveau baisse ?

S. B : Non, nos élèves ne sont évidemment pas moins bons qu’avant la réforme. La différence c’est qu’il faut commencer par les persuader de l’importance de la démonstration et qu’ils n’ont pas appris que la physique et les maths étaient étroitement liées. D’un côté nous constatons un déclin de l’intérêt pour la physique jugée pas assez scientifique – la filière PCSI a ainsi connu une baisse des vœux sur APB de 15% à la rentrée 2013 -, de l’autre il se trouve des élèves qui se dirigent vers la physique sans savoir qu’il va leur falloir aussi un bon niveau en maths.

O. R : Mais vous parvenez à compenser ces manques pendant les deux années de prépa ?

S. B : Nous allons bien sûr bien les former à la modélisation des systèmes physiques. Jusqu’en terminale, les élèves n’ont pas posé une seule équation différentielle, pas suffisamment travaillé la notion de vecteur, alors que ce sont des outils essentiels pour la physique. En maths il faut leur donner une certaine agilité. Mais nous avons dû renoncer – sauf en PT-SI – à des chapitres entiers de géométrie car elle a complètement disparu des programmes de terminale, et que nous ne pouvions plus nous appuyer sur les connaissances antérieures des élèves.

Ce n’est pas possible de compenser tout ce qui a été perdu dans l’enseignement des sciences tout au long du collège et du lycée. Entre 1982 et 2013, nous constatons une diminution de 20% de l’horaire de mathématiques et physique-chimie sur le cycle terminal: 800 heures jusqu’en 1995, 640 heures depuis 2013. Au total nous estimons que les élèves ont perdu une année entière d’enseignement des sciences par rapport à la fin des années 90.

O. R : Comment les écoles d’ingénieurs se préparent-elles à ces changements de profil de leurs futurs élèves ?

S. B : Nous faisons partie de leur premier cycle et nous travaillons avec elles depuis plusieurs années au sein de la commission amont de la CGE. Ce sont des « organismes agiles » et elles savent s’adapter. Il n’y a aucun souci là-dessus. Mais c’est vraiment dommage de dénaturer l’enseignement des sciences quand on sait à quel point c’est à leur niveau scientifique que nos écoles d’ingénieurs doivent d’être renommées dans le monde entier !

O. R : Autre sujet qui vous intéresse : le rapprochement prépas/universités par le biais de convention. Où en est-on sur ce point ?

S. B : Ces conventions ne sont pas encore signées et achoppent souvent sur la notion de « frais modulés ». Entendez qu’il serait logique que les universités ne facturent que les services qu’elles rendent à nos élèves, qu’il s’agisse de l’accès à la documentation, à leurs installations sportives ou à leurs services de santé. Mais c’est évidemment bien différent selon que vous êtes en prépa à Paris à Louis-Le-Grand et que vous avez la possibilité de profiter de bibliothèques ou de laboratoires universitaires dans un rayon de 500 mètres, et que vous êtes à Saint-Brieuc d’où l’université la plus proche est à plus d’une heure de route !

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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