Les universités Rennes 1 et Rennes 2 sont engagées dans un mouvement de fusion qui devrait aboutir le 1er janvier 2016 sur une université qui comptera 50 000 étudiants. Elle-même fera partie d’une grande Comue (communauté d’universités et d’établissements) regroupant la plupart des universités et des grandes écoles de Bretagne et des Pays-de-la-Loire, l’Université Bretagne Loire. Président de Rennes 1, Guy Cathelineau explique comment toutes ces mutations voient le jour mais aussi comment conduire un établissement et ses projets dans contexte économique particulièrement contraint.
Olivier Rollot (@O_Rollot) : Une fusion en cours et la mise en place d’une Comue, 2015 va être une année particulièrement riche en événements.
Guy Cathelineau : C’est mon deuxième mandat à la présidence de Rennes 1 et, clairement, la période la plus complexe tant les réformes dans le domaine de l’enseignement supérieur et la recherche passées et en cours sont importantes et nombreuses, avec un contexte économique difficile.
O. R : Pourquoi fusionner les deux universités rennaises ?
G. C : C’est d’abord un choix de raison pour des universités dont les disciplines sont complémentaires, qui veulent aller beaucoup plus loin ensemble avec des offres de recherche et de formation commune. Ce sont deux universités qui partagent un site universitaire métropolitain accueillant et stimulant, et qui ont envie de renforcer leur attractivité auprès de différents publics : étudiants, chercheurs jeunes comme confirmés, acteurs économiques de l’innovation, entreprises…. Nous commençons déjà à travailler ensemble sur notre prochain contrat d’établissement avec l’État pour la période 2017-2021.
Ce que nous voulons, c’est créer une offre de formation cohérente sur un large territoire qui va de Rennes à Saint-Malo en passant par Saint-Brieuc ou Lannion. Nous voulons gagner en visibilité à l’international avec une université pluridisciplinaire qui couvre tous les champs de la connaissance. Le fort investissement dans le Campus numérique, qui fait de la Bretagne la première région connectée d’Europe, confortera cette visibilité
O. R : L’heure est à la pluridisciplinarité dans le nouveau référentiel de la licence. Les enseignants des disciplines respectives des deux universités auront sûrement tout à gagner à travailler ensemble ?
G. C : La médecine et la psychologie vont très bien ensemble comme l’ORL et les sciences du langage, l’environnement et la géographie, arts et numérique, etc. Une approche qui est amplifiée nationalement avec l’association de plus en plus marquée des sciences dites « dures » et des sciences humaines et sociales. Nous travaillons d’ailleurs aussi avec l’École nationale supérieure de chimie de Rennes, Sciences Po Rennes ou encore l’École normale supérieure dans le cadre d’une stratégie de site.
O. R : Cette fusion ne provoque pas de tensions chez vos personnels ?
G. C : Nous essayons de répondre aux préoccupations des personnels avec un accompagnement qui se renforce progressivement et une charte de 23 engagements votée par nos conseils d’administration. Ce projet passe par un dialogue régulier avec les instances, les organisations représentatives et la communauté dans son ensemble. Mars 2015 marquera une étape importante avec l’adoption des statuts de l’université de Rennes, nous passerons alors dans une nouvelle phase avec le déploiement opérationnelle de la future organisation.
Mais il y a d’ores et déjà une dynamique collective, l’ensemble des services sont impliqués dans des groupes de travail inter établissement et nous sommes attentifs à la façon dont ont fusionné d’autres universités. S’il y a une recette pour réussir une fusion, c’est d’abord de prendre le temps du dialogue.
O. R : Mais il n’y a pas que la fusion. Il y a aussi la mise en place de la Comue (communauté d’universités et d’établissements). Tout se passe bien là aussi ?
G. C : Nous avons choisi de travailler sur un large territoire entre la Bretagne et les Pays-de-la-Loire. Un ensemble inter-régional qui comptera 260 000 étudiants et auquel nous tenions pour avoir une vraie dimension internationale avec des forces de recherche importantes pour montrer nos capacités scientifiques. Nous travaillons déjà ensemble sur de nombreux dossiers, par exemple avec une SATT (société d’accélération du transfert de technologies) interrégionale, et d’autres projets lauréats issus du PIA 1 (labex, équipex) : notre Comue est tout sauf une construction artificielle !
O. R : Quand verra-t-elle le jour ?
G. C : Après notre fusion, le 1er janvier 2016, dans une logique fédérale et de subsidiarité avec un certain nombre de compétences partagées avec la Comue et, au premier chef, le doctorat. C’est dans cette perspective qu’il faut réfléchir à quel endroit on travaille le mieux- au niveau de Rennes, de la Comue – pour aboutir à une construction solide. Nous candidaterons également aux prochaines initiatives d’excellence.
O. R : On parle beaucoup de restrictions budgétaires. Qu’en est-il pour vos universités ?
G. C : Le budget que nous alloue l’État ne subit pas de coupe important. J’en dirais tout autrement des Contrat de projets État-région (CPER) dont la diminution est dramatique : nos ressources risquent d’être divisées par trois dans l’avenir. A terme cela signifie qu’il n’y aura pas de maintenance immobilière sur nos 370 000 m2 de locaux de l’université de Rennes 1. Cela signifie que le volet recherche est sacrifié et l’achat de nouveaux équipements abandonnés. Mais comment être compétitifs dans un contexte international si les équipements ne sont pas au niveau ?
O. R : Cela risque-t-il de poser des problèmes de maintien de certains sites ?
G. C : Nous avons des sites extérieurs à Rennes qui bénéficient du soutien important des collectivités territoriales. Et nous travaillons pour que nos différents campus travaillent dans des logiques complémentaires, avec plutôt une offre de formation de niveau DUT/licence pro en proximité et une offre complète incluant Master/Doctorat à Rennes.
O. R : Mais on dit souvent que ce sont les universités de proximité qui permettent à plus de jeunes d’accéder au statut étudiant.
G. C : L’essaimage sur tout le territoire de formations est un modèle des années 70 qui a vécu.. L’important pour faire vivre l’ascenseur social, c’est de donner accès à des logements et à de bonnes conditions de travail à moindre frais. D’autant que l’université ce n’est pas seulement les connaissances acquises à l’université mais aussi l’accès à un environnement culturel et social qui donne à chaque étudiant les clés pour jouer son rôle social.
O. R : Pensez-vous pouvoir développer de nouvelles ressources ? Par exemple la formation continue ?
G. C : Rennes 1 réalise déjà un beau chiffre d’affaires de 6 millions d’euros, principalement en économie-gestion et environnement, qui nous place dans les 12 premières universités. Créée il y a quatre ans, notre fondation a de son côté levé 4 millions d’euros avec des entreprises comme Veolia, Orange, Canon mais aussi des PME et TPE locales qui ont notamment contribué à la création de chaires d’études. Grâce à la fondation nous pouvons financer les séjours d’études à l’étranger de certains de nos étudiants.
O. R : Aujourd’hui vos finances sont saines ?
G. C : Comme pour toutes les universités, le passage aux « responsabilités et compétences élargies » (RCE), que nous avons effectué en 2010, a été compliqué et nous avons un temps supporté un déficit. Mais il n’était que de 150 000€ sur un budget de 270 millions ! Depuis, le budget est maitrisé, à l‘équilibre mais les marges de manœuvre sont très étroites.
O. R : La réforme du logiciel d’allocation des moyens aux universités, assez curieusement appelé Sympa, provoque aujourd’hui beaucoup d’inquiétudes. Pourquoi ?
G. C : Les premiers tableaux auxquels nous avons eu accès montrent une diminution extrêmement importante des moyens pour des universités qui ont des liens très forts avec les grands organismes de recherche. Or ce sont ces universités qui font d’abord avancer la recherche.
O. R : Justement les chercheurs s’inquiètent pour leur avenir.
G. C : Si l’emploi scientifique statutaire est resté stable, l’emploi des docteurs non titulaires est en diminution très forte. A cause de la pyramide des âges le renouvellement est très faible. Sauf dans le privé, où les chiffres croissent mais il faut en faire une lecture très prudente au regard du dispositif crédit impôt recherche. L’avenir de l’emploi scientifique est lié l’investissement dans le système d’innovation et de transfert, qui doit être stimulé par une plus forte interaction entre recherche privée et recherche publique.