Télécom Lille est une école particulière à plus d’un titre : seule école constituée sous la forme d’un groupement d’intérêt économique (GIE), elle dépend conjointement de l’Institut Mines-Télécom et de l’université Lille 1 ; ouverte à plusieurs niveaux, elle recrute à la fois des bacheliers et des élèves de prépas ; généraliste du numérique, elle possède un département d’économie-gestion. Rencontre avec son directeur, Narendra Jussien.
Olivier Rollot : Cette année la Commission des titres d’ingénieur (CTI) a insisté sur le développement de nouvelles méthodes pédagogiques dans les écoles d’ingénieurs. Cela tombe bien, Télécom Lille est en pointe sur ce sujet !
Narendra Jussien : Effectivement il y a plus de 20 ans que nous nous intéressons à l’enseignement à distance, à l’apprentissage par projet ou aux classes inversées. La pédagogie doit chaque jour s’adapter à des générations qui ne savent pas, par exemple, chercher l’information tant ils ont le sentiment de l’avoir à disposition. Il faut comprendre comment ils fonctionnent et leur expliquer que tout ce que dit Wikipedia n’est pas forcément vrai. Même si le profil de nos étudiants a beaucoup changé, cela ne m’empêche pas de faire aussi des cours au tableau noir et à la craie !
O. R : Télécom Lille est particulièrement renommée pour la qualité de son enseignement à distance !
N. J: Nous avons tout un service dédié et un tiers de nos diplômés a étudié à distance aujourd’hui.
O. R : Vous recrutez dès le bac et après prépa. Les deux premières années de votre cursus postbac sont-elles ce qu’on appelle des « prépas intégrées » ?
N. J: Pas au sens où on l’entend généralement. Ce cycle de deux ans permet bien évidemment de consolider les bases scientifiques fondamentales, mais il permet aussi d’entrer dans le vif du sujet en initiant dès le début nos étudiants aux sciences de l’ingénieur, à l’informatique et plus largement au numérique. Ils découvrent aussi l’entreprise par l’enseignement de l’économie et surtout par la pratique en suivant un stage dès la première année.
O. R : Les stages sont-ils essentiels dans votre cursus ? De même que l’international ?
N. J: Les étudiants arrivés après le bac effectuent près de deux ans de stage sur les cinq ans de leur cursus. Dès la deuxième année ils font un stage à l’étranger et les deux tiers d’entre eux en auront fait deux. Au niveau académique, nous avons quatre accords de doubles diplômes avec l’Ecole de Technologie Supérieure de Montréal, Hochschule fur Telekommunikation de Leipzig, l’Universitat Politècnica de Valencia et The Bonch-Bruevich St Petersburg State University of Telecommunications. Ces doubles diplômes peuvent être obtenus après un an passé à l’étranger, sans effectuer pour autant une année supplémentaire de cours.
O. R : Le cursus est d’ailleurs relativement « à la carte ».
N. J: Nos étudiants identifient assez vite ce qu’ils veulent faire et surtout ce qu’ils ne veulent pas faire et construisent ainsi leur programme de 4ème et 5ème année comme ils le veulent ou presque, dans un large choix de spécialités scientifiques et technologiques ou en management.
O. R : Est-il possible de suivre son cursus en alternance ?
N. J: C’est possible, avec des modalités relativement originales puisque nos étudiants en formation par apprentissage ne sont présents sur notre campus qu’une semaine sur six. Mais cela ne signifie pas pour autant qu’ils n’étudient pas pendant tout ce temps. Les entreprises doivent en effet leur laisser du temps chaque jour pour étudier dans un lieu isolé. Ils suivent alors leur cursus avec des télégroupes sur notre plateforme de formation à distance.
O R : Comme toutes les écoles du numérique vous devez avoir du mal à recruter des étudiantes ?
N. J: Elles ne représentent effectivement que 17% de nos 732 étudiants mais ce chiffre est très différent selon qu’elles intègrent en potstbac ou en post prépas. Elles ne sont que 10% dans le premier cas et 20% dans le second. Apparemment, jusqu’au bac, on dissuade les jeunes filles de s’orienter en école d’ingénieurs, alors qu’après deux années de prépa, elles prennent conscience de l’intérêt d’aller dans une école d’ingénieurs du secteur numérique, comme la nôtre.
O. R : Une des forces du numérique c’est qu’on y trouve très facilement un emploi !
N. J: Deux tiers de nos étudiants sont même embauchés avant la fin de leurs études. Deux mois après la fin de leur cursus, 80% sont en CDI et ce chiffre monte à 95% après six mois, avec un salaire médian de 35 200€ (hors primes). Après trois ans d’activité le salaire moyen s’élève à 43 000€.
O. R : Au sein de votre école, vous insistez également sur la création d’entreprise. D’ailleurs, chaque année vous organisez un Challenge Projets d’entreprendre.
N. J: Pendant une semaine chaque année, 200 étudiants ingénieurs (pour l’essentiel de Télécom Lille, mais aussi de Polytech’Lille et des Mines de Douai) ou managers (de l’IAE de Lille et du master « Veille stratégique, intelligence, innovation » de Lille 1) sont réunis en équipes mixtes pour travailler sur des projets de création d’entreprises. Ils doivent inventer et réaliser un business-plan et on voit éclore des idées passionnantes comme, par exemple, ce « Shazam des bébés », une application capable de reconnaître à quelle demande du bébé (faim, douleurs, couches pleines, etc.) correspond chaque pleur. Nous souhaiterions ouvrir encore plus ce challenge à des doctorants et des étudiants ayant une fibre plus artistique (design, etc.).
O. R : Télécom Lille devrait bientôt se rapprocher de l’École des Mines de Douai. Où en est le projet ?
N. J: C’est un projet qui répond à la prise de conscience du besoin de plus en plus important d’une double compétence dans le numérique et dans les sciences de l’ingénieur. Construire un bâtiment intelligent, est-ce du numérique ou du BTP ? Quand on veut réparer une voiture aujourd’hui, on commence d’abord par y brancher un ordinateur.
À cela s’ajoutent la fusion des universités lilloises et un Institut Mines-Télécom qui évolue : aujourd’hui il faut être capable de croître et nous n’avons pas assez de ressources (locaux, personnels) pour faire cela seuls. Nous sommes donc aujourd’hui en train d’effectuer une étude de faisabilité de ce rapprochement. Nous croyons à la création d’une seule école avec un seul diplôme.