A la fois institut d’administration des entreprises (IAE) et école de management, l’EM Strasbourg est la business school de l’université de Strasbourg. Après cinq ans d’un premier mandat qu’elle espère voir renouvelé, sa directrice, Isabelle Barth (@Isabelle_Barth) évoque sa stratégie.
Olivier Rollot : Il y a maintenant cinq ans que vous êtes à la tête de l’EM Strasbourg. Quel bilan pourriez-vous tirer de ce premier mandat ? (le directeur de l’EM Strasbourg est élu par un collège électoral pour un mandat de cinq ans à renouveler en avril prochain).
Isabelle Barth : En cinq ans, nous avons obtenu l’accréditation AACSB, le label « diversité », fait rayonner une marque créée il y a seulement 8 ans, réalisé plus récemment une campagne de communication qui a eu un grand retentissement (« On ne choisit pas son nom mais on choisit qui on devient »). Nous avons aussi développé l’entrepreneuriat et innové pédagogiquement avec le bachelor « jeune entrepreneur », programme innovant qui permet d’accompagner une création d’entreprise sur trois ans. Nous avons aussi su démontrer nos compétences en matière de RSE : aujourd’hui de plus en plus d’entreprises font appel à nous pour avancer dans ce domaine.
Nous travaillons main dans la main avec notre université. Cette entente nous a permis d’augmenter d’un tiers le nombre de nos professeurs et de multiplier par deux les postes administratifs. Nous avons également augmenté nos effectifs étudiants qui sont aujourd’hui de plus de 3000 alors qu’ils étaient de 200 en 2011. Cette progression de l’encadrement pour tenir nos promesses auprès des étudiants, était au cœur de notre projet, et nous avons tenu parole.
O. R : Vous allez également disposer bientôt de nouveaux locaux.
I. B : Nous bénéficions déjà d’une annexe de 1200m2 et le chantier d’extension va démarrer mi-mai. Il nous permettra de créer des espaces de co-working ainsi qu’une nouvelle bibliothèque et un learning center.
O. R : Ce début d’année 2016 est très positif du côté des classements des business schools, dans lesquels vous avez tous gagné des places, comme pour les inscriptions des élèves de prépas à votre concours en progression de près de 3%.
I. B : Nous nous classons entre le 12ème et le 15ème rang et c’est difficile d’aller plus loin tant que les classements donnent une « prime » à la taille de l’école. Nous souhaitons rester une école à taille humaine où les étudiants bénéficient d’un accompagnement proche tant des enseignants-chercheurs que du personnel administratif. Du côté du concours BCE notre alliance avec l’ESC Rennes School of Business et Montpellier BS fonctionne bien. Nous sommes trois écoles très complémentaires et cette alliance nous permet de proposer un modèle plus souple que des fusions tout en permettant à nos étudiants de passer d’une école à l’autre si une spécialité particulière les intéresse. L’idée était de créer des possibles et ça marche !
O. R : Avoir embauché de nouveaux professeurs a dû vous permettre de progresser en matière de recherche ?
I. B : Notre recherche est très solide avec un bon ratio de publications étoilées. Avec la fondation de l’université de Strasbourg nous avons également créé plusieurs chaires en supply chain, RSE, etc.
Grâce à cette recherche, nous avons pu produire des innovations pédagogiques avec, par exemple, la création de deux plateformes en ligne, l’une consacrée aux valeurs de l’école, l’autre aux « soft skills », aux « compétences douces ». Dans les deux cas nous proposons l’accès à des ressources en ligne très diversifiées : quiz, trainings, situations réelles qui permettent de se tester sur des dilemmes, etc. Nous lançons maintenant une certification, obligatoire pour nos étudiants, que nous allons proposer à des entreprises. Nous voulons que ce test devienne le TOEIC de la responsabilité sociétale.
O. R : Et du côté des « soft skills » qu’allez-vous proposer ?
I. B : L’enjeu est que les jeunes comprennent quelles compétences « non codifiées » ils ont acquises : l’audace, le courage, la capacité de conciliation, savoir travailler en groupe, dans un environnement multiculturel, sont autant d’exemples. Autant de compétences qu’on peut évaluer lors d’un stage ou d’un contrat d’apprentissage. Mais aller s’entrainer à la piscine tous les matins c’est aussi démontrer une belle compétence de courage et d’opiniâtreté.
O. R : Vous avez beaucoup écrit ces dernières semaines sur votre blog sur la question de la sélection en master, récemment interdite par le Conseil d‘Etat. Une absence de sélection qui est un « leurre » et qui « comme tout leurre, ne pourra engendrer à moyen terme que rage et frustration », dites-vous.
I. B : En France on croit que l’obtention d’un master suffira à vous donner un super boulot. Mais si la sélection ne se fait pas sur le diplôme, elle se fera par le DRH qui ne se fiera plus à des diplômes donnés trop facilement. Au final ceux qui auront eu ces diplômes seront frustrés de constater qu’ils ne leur apportent pas l’avenir auquel ils s’attendaient. J’ajoute que c’est irrespectueux et irresponsable pour les équipes et les professeurs d’interdire cette sélection. Nous sommes encore et toujours dans le scénario : « toujours plus avec encore moins », qui lasse et qui désengage.
Il y a toute une chaîne de valeur éducative qui part de la maternelle au supérieur et à l’insertion professionnelle. Il faut considérer chaque étape comme un réel investissement et maintenir de l’exigence. Le diplôme n’est pas un dû et il doit refléter une somme de connaissances et de compétences.
O. R : C’est une question de respect pour vos étudiants ?
I. B : L’étudiant ne doit pas être une charge pour son établissement mais un apporteur de valeur. C’est le cas dans les écoles de management et c’est encore plus vrai à l’EM Strasbourg où huit étudiants font partie de notre conseil d’administration. Etre étudiant c’est un métier à part entière et il faut respecter les étudiants en tant que citoyens qui font leur métier. Ce ne sont pas des citoyens de deuxième zone.
A l’EM Strasbourg, pendant trois ans nous les aidons à se connaître et à bien identifier leur projet de vie : déterminer où ils préfèrent aller à l’international, s’ils veuillent travailler dans une PME ou dans une multinationale, porter une Rolex et travailler au Luxembourg ou créer une start up au Japon. Il n’y a pas de parcours standard ! A l’EM Strasbourg, nous apprécions aussi bien les fêtards que les hyper investis dans les associations étudiantes et même ceux qui sont souvent absents parce qu’ils développent un projet personnel.
O. R : Au final, qu’est-ce qui amène d’abord aujourd’hui un étudiant à choisir l’EM Strasbourg plutôt qu’une autre école ?
I. B : D’abord la dimension internationale avec douze mois obligatoires à l’étranger : nous refusons le semestre qui s’apparente à du « tourisme académique ». Ensuite un climat de recherche universitaire qui nous différencie des autres business school. Le fait également d’être implanté dans une ville cosmopolite au sein d’une grande région franco-allemande. L’EM Strasbourg est l’école des deux rives du Rhin.
Nous nous engageons à accompagner nos étudiants tout au long de leur parcours, pour devenir qui ils souhaitent devenir, loin des projets standards et des modèles de réussite tout faits. Avec notamment les plateformes en e-learnings, les « journées des 3 valeurs », l’école affirme sa position de référence en matière de responsabilité managériale.
O. R : De plus en plus d’écoles de management ouvrent des locaux à Paris. Pas vous. Pourquoi ?
I. B : Nous disposons depuis longtemps de locaux au sein de la Maison d’Alsace à Paris et nous ne ressentons pas le besoin d’aller plus loin. Je ne veux pas m’engager dans des modèles « standard », comme l’est aujourd’hui une implantation parisienne, qu’il faudra ensuite financer longtemps. Il faut se diversifier sans être trop clivant. Je ne veux pas enfermer l’école dans un modèle franco-allemand ou européen même si ce sont des domaines d’excellence pour nous.
O. R : Les fondations jouent un rôle de plus en plus important dans les écoles de management. Qu’en est-il chez vous ?
I. B : Je vous le disais, la fondation de l’université nous permet de financer des chaires mais je veux aller plus loin aujourd’hui. Nous avons donc recruté un spécialiste du fundrising. Le souci pour une école de management c’est que les entreprises donnent plus facilement 150 000€ pour financer du matériel que 10 000€ pour de le management qui reste immatériel.
C’est aussi pour cela que nous voulons aujourd’hui breveter de la connaissance en management sur nos deux plateformes. Il faudrait inventer la « smartbox » de l’enseignement supérieur pour matérialiser tout ce qu’on apprend dans une école de management et qu’on ne peut pas indiquer sur une simple feuille de papier.