ECOLE D’INGÉNIEURS

« Nous voulons que l’Isep soit l’école du numérique la plus innovante »

Des promotions qui passent progressivement de 200 à 300 étudiants, de nouveaux locaux à Issy-Les-Moulineaux tout en gardant son implantation parisienne, une dimension internationale affirmée, l’Isep est devenue incontournable dans le paysage des écoles d’ingénieurs. Rencontre avec celui qui sera son directeur général en avril, aujourd’hui directeur de l’enseignement, Dieudonné Abboud.

  • Ecole d’ingénieurs parisienne postbac et post prépas spécialisée dans le numérique, l’Isep propose essentiellement un cycle ingénieur (accessible après le bac par le concours Puissance 11 et sur dossier pour le cycle intégré international de même que par le concours e3a après prépa) mais aussi trois mastères spécialisés en formation initiale ou continue. Les frais de scolarité sont de 3160 € par an en 1ère et 2ème année puis 8060 € par an pour les trois autres (6 950 € par an pour le cycle préparatoire international).

Olivier Rollot : Comment définiriez-vous l’Isep à quelques mois d’en prendre la direction et comment entendez-vous la faire évoluer dans les années à venir ?

Dieudonné Abboud : L’Isep est une école du numérique au sens large qui a toujours été dans une démarche innovante depuis sa création en 1955, sept ans après l’invention du transistor, lequel est à la base de toute la révolution numérique. Depuis nous formons des ingénieurs innovants pour toutes les industries. En 2000 nous nous sommes lancés dans la recherche et dans le développement de l’international et nous entendons maintenant ajouter de plus en plus la dimension innovation comme notre troisième pilier après la formation et la recherche.

Un parcours « innovation et création d’entreprise » sera adjoint à notre filière entrepreneuriat afin que l’ingénieur Isep mette ses compétences au profit d’une approche innovante tant au sein de son entreprise d’accueil ou pour la création de sa propre start up. L’innovation se porte très bien en France et il faut l’accompagner, ce que nous projetons de faire dans le but de rendre l’Isep l’école du numérique la plus innovante. A terme, 4 à 5% des étudiants de chacune de nos promotions pourraient créer leur start up.

O. R : L’Isep possède-t-elle un incubateur de start up ?

D. A : Nous bénéficions déjà de l’incubateur des Arts et Métiers ParisTech et nous en avons créé un en propre en novembre 2016 à Issy-les-Moulineaux. Bientôt nous y créerons, en collaboration avec la Mairie de la ville, également un centre numérique de 1000 m2 avec un Fablab, un laboratoire d’innovation et des espaces co-working pour nos associations les plus innovantes. Ce Fablab sera un espace ouvert car une école d’ingénieurs doit pouvoir se déployer dans la cité et être au contact de tous.

O. R : Les ingénieurs du secteur numérique sont parmi ceux qui trouvent le plus facilement un emploi. Pour autant dans un récent entretien Godefroy de Benzmann, le président du syndicat professionnel du secteur, le Syntec Numérique, indiquait que « l’excellence technologique ne suffisait plus aujourd’hui » et qu’elle devait être accompagnée de « compétences qui permettent aux ingénieurs d’être polyvalents pour bien comprendre les besoins des utilisateurs ». Comment formez-vous vos ingénieurs dans cet esprit ?

D. A : Les entreprises ont besoin d’ingénieurs ouverts sur le monde capables de saisir la complexité du paysage technologique et son évolution, d’un côté, mais aussi d’accompagner les transformations induites par la révolution numérique en cours, d’un autre côté, et cela passe par des compétences qui vont au-delà de la pure technique. Le référentiel de compétences que nous attendons chez nos diplômés insiste justement sur quatre compétences générales qui sont la capacité à travailler en groupe, celle d’organiser et d’agir en mode projet dans un temps contraint, la possession d’un savoir être adapté à des contextes complexes et enfin le doigté dans la mise en œuvre.

O. R : On imagine pourtant souvent les ingénieurs informatiques comme des geeks enfermés dans leur monde !

D. A : Il peut effectivement y avoir une contradiction entre l’informaticien théoricien concepteur d’algorithmes, qui se rapproche de la pensée mathématique, et l’ingénieur numérique commun qui utilise les outils dans un processus de transformation au service des entreprises. Parce qu’il transforme les entreprises, parce qu’il est un acteur perturbant, l’ingénieur numérique doit d’autant plus savoir accompagner et humaniser le changement en montrant tous les apports du numérique.

C’est pour cela que, d’entrée de jeu, nous mettons nos étudiants en confrontation avec la nécessité d’un travail collaboratif. Ils n’ont plus à préparer un concours mais à apprendre à travailler ensemble dans un monde de probables plutôt que de déterminants. Nous leur disons souvent qu’un « problème bien posé a au moins une solution » pour qu’ils trouvent la meilleure. C’est très différent des mathématiques dans lesquelles la solution est unique.

O. R : A travailler ensemble et de plus en plus avec d’autres nationalités. Ce choc culturel les y préparez-vous ?

D. A : Parmi nos 1500 étudiants, 300 à 400 sont des internationaux, Indiens, Chinois, Américains, Maghrébins, etc. Le mélange culturel, nos étudiants le vivent dès leur entrée dans l’école puis lors du semestre qu’ils doivent passer à l’étranger. De plus nous leur délivrons un enseignement culturel très large comprenant des éclairages géopolitiques ou sur la culture des autres. L’être humain est par nature empathique mais il faut aussi savoir travailler cette empathie afin qu’elle reste à l’œuvre dans les situations de différence culturelle ou civilisationnelle.

Les étudiants les plus motivés par l’international, et il y en de plus en plus dans les nouvelles générations, peuvent suivre notre « cycle intégré international » (postbac) qui comprend plusieurs modalités de séjour à l’étranger : un séjour d’un mois en Inde, Canada ou encore Chine entre les deux premières années puis une année complète dans 3 universités chinoises dès l’entrée dans le cycle ingénieur (3ème année) ; un premier semestre en 2ème année préparatoire et un autre en 4ème ou 5ème année.

O. R : On entend souvent dire que le niveau en maths et physique des bacheliers S a beaucoup baissé ces dernières années à la suite de la réforme du lycée de 2010. Menez-vous des actions particulières pour y pallier ?

D. A : Depuis Platon on dit que le niveau baisse. Si c’était vrai nous n’aurions pas beaucoup évolué ! Au global le niveau de nos élèves progresse mais il ne peut pas être aussi bon en maths-physique dans un modèle éducatif où il y a de plus en plus de choses à apprendre et forcément moins de place pour les maths. Nos élèves nous les prenons tels qu’ils sont sans leur administrer de remise à niveau. Simplement, le programme suivi est adapté à leurs acquis de sorte que les obstacles sont surmontés progressivement – ce qui est plus valorisant pour eux et pour les efforts qu’on leur demande tout au long de leur formation.

Le vrai problème du collège/lycée ce n’est pas le niveau des élèves mais la nécessité de favoriser une approche pédagogique qui fasse la part belle à l’expérimentation -celle qui conduit à des modèles explicatifs du monde réel. De promouvoir une initiation aux mathématiques qui ne soit pas systématiquement trop abstraite car c’est un facteur discriminant envers beaucoup d’élèves qui pourraient s’orienter vers des études scientifiques et techniques s’ils échappaient au filtre de l’abstraction précocement exigée

O. R : Ce niveau en maths est d’autant plus crucial pour vous que vos étudiants vont plus que jamais travailler dans un univers d’algorithmes. Une sorte de retour aux sources de l’informatique ?

D. A : L’informatique est au cœur de tous les process et nous avons besoin de produire énormément d’algorithmes pour traiter la masse de données reçues. Dans cet espace, les maths sont la « force de frappe » de la révolution numérique. Aujourd’hui on est capables de récolter les données de quelque 5 milliards d’objets connectés qui seront environ 150 milliards à l’horizon 2020. Sans compter les flux des données massives venant des réseaux sociaux avec plus 4 milliards d’ordinateurs connectés. Il y a trois ans Google a prouvé qu’il était capable de prévoir une épidémie dix jours avant l’Organisation mondiale de la santé en traitant les données massives récoltées sur les réseaux sociaux. Ce dont nous allons de plus en plus avoir besoin ce sont d’ingénieurs capables d’avoir la maîtrise de cette masse d’informations qu’elle soit structurées ou non.

O. R : Mais comment les y formez-vous ?

D. A : La plupart du temps nous privilégions une approche qui convient à des élèves de prépas qui ont forte appétence pour la théorie en maths et physique. Pourtant le cerveau humain combine toujours l’induction et la déduction. On peut dire que 95% de la population n’est pas susceptible d’apprendre la théorie hors d’un contexte. La plupart veulent réfléchir et conceptualiser dans une situation donnée.

Tout est affaire d’approche pédagogique qui allie la maîtrise conceptuelle et les situations d’apprentissage. C’est ainsi que notre cycle international combine à parité les sciences fondamentales, la pratique et les sciences humaines et sociales. Une plateforme robotique leur permet d’exploiter immédiatement les concepts mathématiques et physiques que nous leur inculquons.

En somme, nous essayons de diversifier l’offre et les approches pédagogiques afin de répondre à la multiplicité des intelligences au sein de chaque promotion.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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