Avec ses 8300 étudiants, ses huit composantes (dont deux écoles d’ingénieurs et deux instituts universitaire de technologie) et ses 14 laboratoires, l’université de Haute-Alsace (UHA) est aussi bien une université de proximité que de recherche, professionnalisante dans un environnement géographique privilégié à deux pas de l’Allemagne et de la Suisse. Sa présidente depuis 2012, Christine Gangloff-Ziegler, revient sur ses spécificités.
Olivier Rollot : Qu’est ce qui caractérise plus particulièrement l’université de Haute-Alsace ?
Christine Gangloff-Ziegler : Un triptyque professionnalisation, transfrontalier et innovation. Nous sommes par exemple l’université qui reçoit, en pourcentage, le plus d’étudiants apprentis (12%) en dehors de l’Ile-de-France. Nous sommes également la première université en ce qui concerne les rémunérations de nos diplômés en sciences et technologies. Nous portons une attention toute particulière à la construction de nos formations pour qu’elles assurent une bonne insertion professionnelle. Notre recherche se fait en liens étroits avec les entreprises, de la recherche fondamentale jusqu’à des montages pilotes pour tester ensemble des concepts. Nous profitons pour cela d’un écosystème performant avec l’agglomération de Mulhouse, la chambre de commerce et d’industrie, les entreprises, etc. réunies pour promouvoir l’industrie du futur.
O. R : Mulhouse est à 35 km de Bâle, en Suisse, et 60 de Fribourg-en-Brisgau, en Allemagne, vos étudiants baignent dans un bain de cultures européennes ?
C. G-Z : En 1989 nous avons créé le campus européen Eucor avec les universités de Strasbourg (UNISTRA), Fribourg-en-Brisgau, Karlsruhe et Bâle. Il est devenu un groupement européen en 2016 pour encore renforcer nos coopérations. Nous délivrons des doubles et triples diplômes franco-germano-suisses. Et nous avons un focus particulier sur l’interculturalité en étant soutenus financièrement pour cela par une initiative d’excellence (IDEFI).
O. R : Cela concerne beaucoup de vos étudiants ?
C. G-Z : 8% de nos étudiants sont inscrits dans ces formations bi et triple diplômantes. Les cursus se déroulent à parité dans chaque pays sans que cela demande forcément à nos étudiants de déménager tant les distances sont proches.
Beaucoup de nos diplômés partent ensuite travailler dans les pays limitrophes, ce qui explique aussi les excellentes rémunérations moyennes de nos diplômés quand on sait combien les salaires sont plus importants en Suisse qu’en France et même en Allemagne. Ce sont des formations très attractives qui attirent des étudiants de toute la France.
O. R : Un exemple de ces diplômes ?
C. G-Z : On peut citer le bachelor International Business Management qui a la particularité de durer 3 ans ½ pour correspondre aux 210 ECTS que demandent les Suisses pour délivrer un bachelor (contre 180 en France). A la fin les étudiants obtiennent les diplômes de l’UHA de la Duale Hochschule Baden-Württemberg (Lörrach – Allemagne) et de la Fachhochschule Nordwestschweiz (Bâle – Suisse). Ils peuvent également poursuivre leur cursus en master.
O. R : Vous évoquez la professionnalisation de votre université. D’où cela vient-il ?
C. G-Z : C’est historique. Les premières unités de notre universités ont été créées par des industriels locaux en 1822. A l’époque il leur fallait des spécialistes des couleurs et ils ont créé la première école de chimie française. En 1975, lors de la création formelle de l’université, s’est d’ailleurs posée la question d’en faire une université de technologie mais a finalement été décidé d’en faire le lance d’un nouveau modèle d’université, à la fois pluridisciplinaire, de recherche et professionnalisante.
O. R : L’UHA est même labellisée « grande école du numérique ».
C. G-Z : Avec deux formations que nous avons appelées « UHA 4.0 » et « UHA 4.0.0 », la première pour les bacheliers, la seconde pour les non bacheliers. Dans les deux cas nous formons des développeurs informatique sur la base de projets proposés par des entreprises sur lesquels les étudiants travaillent 35 heure par semaine, comme dans une entreprise, soutenus par des enseignants qui jouent un rôle d’accompagnateur. Les étudiants peuvent ensuite valider une licence professionnelle puis poursuivre en master.
Le développement de ce type de pédagogies par projet à une échelle plus large au sein de l’université est soutenu par le PIA (Plans d’investissement d’avenir). « Disrupt’ Campus » (dispositif de soutien aux formations à l’innovation numérique et à l’entrepreneuriat)
O. R : L’UHA innove beaucoup en termes de pédagogie ?
C. G-Z : Cela a toujours fait partie de notre modèle. Nous sommes d’ailleurs en train de construire un learning center au cœur de notre campus pour donner de nouvelles ressources et faire des étudiants des acteurs de leur apprentissage grâce notamment à des outils numériques à disposition. Nous aurons ainsi un bâtiment spécialement conçu pour produire de l’innovation plutôt qu’un bâtiment ancien reconditionné. C’est un investissement de 15 millions d’euros, financé par l’Etat et les collectivités. Nous avons également un vice président chargé de l’innovation dont le rôle est de bousculer nos fonctionnements pour nous pousser vers l’innovation que ce soit en pédagogie ou dans notre organisation. Et nous avons des équipes très volontaires !
O. R : Peu d’universités ont aujourd’hui de véritables learning centers !
C. G-Z : Une petite université comme la nôtre se doit d’avoir des spécificités fortes. L’UHA a toujours été attentive à sortir des sentiers battus pour se différencier de l’université de Strasbourg. Nous étions déjà la première université à créer un centre de formation des apprentis universitaires en 1990. Aujourd’hui l’UHA est la encore la seule université en France à être labellisée ISO 50001 dans le cadre de son projet de campus éco-responsable.
O. R : Quinze universités ont présenté cette année des budgets en déficit. Comment se portent les finances de l’UHA ?
C. G-Z : Nous avons eu un exercice négatif en 2012 mais depuis nous avons rétbli l’équilibre des comptes en gelant des postes et en optimisant notre fonctionnement. C’était nécessaire pour rester en capacité d’agir.
O. R : Qu’attendez-vous aujourd’hui de la nouvelle ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, Frédérique Vidal ?
C. G-Z : Un point très positif c’est qu’étant elle-même jusqu’ici à la tête d’une université elle a une bonne compréhension des enjeux. Dont au premier chef ceux de l’admission en première année de licence. La condition pour accompagner la réussite des étudiants est de leur permettre de construire un projet cohérent et sur la durée. Par exemple, à quoi sert d’entrer en licence langues étrangères appliquées option italien sans avoir jamais fait d’italien! Il faut des bases minimales ou alors des périodes intermédiaires.
Il faut aussi que le ministère fasse confiance aux universités avec un contrôle a posteriori et moins d’appels à projet, qui prennent un temps considérable, au profit de financements pérennes. Ces appels à projet génèrent parfois des comportements opportunistes au détriment de la cohérence de la stratégie. Ils nous poussent également à recourir massivement au service de cabinets d’accompagnement pour y répondre et à dépenser de l’argent qu’on pourrait mieux utiliser autrement.
Il faut enfin simplifier notre fonctionnement et les exigences de reporting pour nous permettre de préserver le cœur de notre métier. Aujourd’hui la complexité du reporting et l’augmentation des exigences sont telles que nous sommes obligés de développer nos services administratifs au détriment du recrutement d’enseignants-chercheurs. Depuis que nous sommes autonomes nous n’avons jamais été aussi contrôlés !
O. R : Quel modèle doivent développer les universités ? Peuvent-elles toutes être engagée à la fois dans la formation et la recherche ?
C. G-Z : Il faut reconnaître le rôle des universités en formation et en recherche quelle que soit leur taille. Le lien formation / recherche doit être bien établi dès la licence. L’université doit conserver sa base et jouer son rôle vis à vis des entreprises et des collectivités pour lesquelles la recherche est est un levier de développement.
O. R : La transition entre le lycée et l’université pose souvent problème et est source d’échec. Comment l’améliorer ?
C. G-Z : Tout ne peut pas venir des universités. Il doit y avoir une réflexion sur l’acquisition d’une plus grande autonomie dès le lycée. Recevant beaucoup d’étudiants allemands et suisses nous sommes bien placés pour voir à quel point ils sont différents des français en cours. Plus réactifs, parfois plus exigeants, plus habitués à travailler par eux-mêmes. Il faut que les étudiants sortent de l’esprit passif, face à un professeur sachant. Il faut qu’ils acquièrent vite l’autonomie et nous les y poussons en leur confiant des projets d’entreprise qu’on peut élargir à une dimension internationale.
O. R : Vous avez déjà une idée de l’évolution de vos effectifs à la prochaine rentrée ? Devrez-vous recourir au tirage au sort ?
C. G-Z : Depuis 2013 nos inscriptions ont augmenté de 11% et même 26% en doctorat. Des licences comme celle en sciences de l’éducation sont tellement demandées (230 candidatures pour 130 places) que nous serons bien obligés de recourir au tirage au sort mais c’est un dispositif incompréhensible pour tous.
O. R : Comment favorisez-vous la réussite des étudiants en première année de licence ?
C. G-Z : Nous organisons des tutorats et nous avons remplacé les cours en amphi par des cours TD en sciences « dures ». Pour les décrocheurs
nous avons créé un DU « projet orientation solidarité » qui comprend un semestre de service civique afin de donner du sens à leur apprentissage. Et les formations innovantes comme UHA 4.0 visent aussi à s’adapter à des étudiants qui sont découragés par le système universitaire conventionnel.
O. R : Vos IUT vont-ils tester le « parcours technologique de grade licence » (PTGL) créé cette année et qui amène les étudiants à se projeter dès leur entrée en IUT vers un bac+3?
C. G-Z : Les deux IUT vont le faire en identifiant dès leur recrutement des titulaires d’un bac technologique susceptibles de se projeter vers une licence professionnelle et en mettant en place un accompagnement renforcé. C’est important de les soutenir car leurs taux de réussite restent inférieurs globalement aux bacs généraux. C’est aussi le rôle des IUT d’accueillir des jeunes, quel que soit leur bac, qui lorsqu’ils sont de catégories socio-professionnelles plus défavorisées, ont plus de difficultés à se projeter vers un bac+5. Ils veulent déjà obtenir un bac+2, et se sentent au fur et à mesure de leur cursus légitimes pour aller plus loin. Un parcours par étapes avec des possibilités de sortie à différents niveaux les rassure. Une question que se pose moins pour les enfants de CSP+ dont les parents sont diplômés.