En proclamant que « les école de management sont au bord du gouffre » le 11 septembre sur XerfiCanal, le directeur général honoraire d’HEC, Bernard Ramanantsoa, a ouvert un débat dans lequel se sont depuis engouffrés aussi bien le directeur général de Grenoble EM et président du chapitre des écoles de management au sein de la Conférence des grandes écoles, Loïck Roche («Avec la réforme de l’apprentissage, des grandes écoles pourraient disparaître») que la directrice générale de Skema BS, Alice Guilhon (qui n’exclut pas « d’installer un jour son siège social à Singapour ou ailleurs si on continue à mettre des bâtons dans les roues des écoles ») alors que le directeur général d’emlyon BS, Bernard Belletante, préfère de son côté affirmer que « le monde des grandes écoles françaises de management est entré dans une phase majeure de changements et que l’unicité du modèle statique du siècle dernier vole en éclats » (The Conversation). Directeur général de Montpellier BS, Didier Jourdan ne croit pas non plus que « nous soyons au bord du gouffre » en rappelant les « dizaines de fois où on a déjà annoncé la mort des écoles de management » mais regrette aussi : « Quand on dirige HEC on trouvera toujours de l’argent mais il ne faut pas inquiéter tous ceux qui pensent entrer dans une autre business school. Il faut se garder généraliser des problèmes en criant au feu car certains vivent dans des maisons en bois… »
Que va devenir la taxe d’apprentissage ?
C’est la nouvelle crainte des grandes écoles : que la réforme programmée de l’apprentissage en 2018 ne se traduise par la suppression d’une partie des fonds qui leur sont versés, au titre de la partie « hors quota » de la taxe d’apprentissage. « En prenant l’argent aux grandes écoles pour le mettre ailleurs, on détruirait le système des grandes écoles de management, alors même qu’elles sont un des pans majeurs, avec l’université, de l’enseignement supérieur et de la notoriété de la France à l’international », s’inquiète Loïck Roche. Un danger sans doute encore plus manifeste pour les grandes écoles de management mais qui inquiète l’ensemble des acteurs. « Nous avons pris rendez-vous avec les différents ministères concernés pour les alerter », rappelle ainsi la présidente de la CGE, Anne-Lucie Wack.
Des chambres de commerce et d’industrie privées de moyens. Si la réforme de la taxe d’apprentissage inquiète au premier chef les écoles de management c’est que beaucoup sont encore largement financées par leur chambre de commerce et d’industrie. De 10 M€ aujourd’hui par an pour ESCP Europe, la dotation de la chambre de commerce et d’industrie Paris Ile-de-France devrait ainsi passer à zéro dès 2022. « Nous avons trouvé notre mode de financement par nos activités, la fondation ou encore le développement des chaires », assure le directeur d’ESCP Europe, Frank Bournois.
Oui mais voilà une ponction plus rapide envisagée par le gouvernement dans le budget des chambres pourrait encore les pousser à accélérer le mouvement. Pour HEC cela signifierait par exemple aux alentours de 17 M€ de marge à trouver rapidement chaque année… Heureusement le désengagement des chambres n’est pas aussi douloureux partout comme l’exprime le directeur général de Toulouse BS, François Bonvalet : « Nous rencontrons certaines difficultés mais il ne faut surtout pas faire de catastrophisme. Sur un budget total de 52,5 M€ notre chambre de commerce et d’industrie contribue par exemple à hauteur de 1 million qui nous aident essentiellement dans notre dimension recherche ».
Augmenter les frais de scolarité ?
Dans son rapport pour la FNEGE sur Les ressources des écoles de management : la nouvelle donne. Jean-Philippe Denis, professeur à l’Université Paris Sud – Paris Saclay et co-auteur de l’étude avec la professeure de KEDGE BS Corinne Grenier, estime que « seuls les frais de scolarité peuvent compenser les baisses de ressources mais cela risque de coincer si l’employabilité des étudiants n’est plus à la hauteur ». Dans sa note stratégique publiée en juin 2016 le directeur général d’HEC, Peter Todd, prévoit ainsi qu’un « taux annuel d’augmentation des frais de scolarité plus élevé, de l’ordre de 6 à 8% sur la Grande Ecole et le MBA, ainsi que davantage de régularité dans les augmentations permettrait d’atteindre un revenu additionnel de 7 M € par an d’ici 2020 ».
En 2017 l’évolution des frais de scolarité des écoles de management post-prépa a été de 4%. Et en augmentant ses frais de près de 3 000€ sur trois ans (45 150 € contre 42 450 € l’année dernière et… 26 900€ en 2009) HEC Paris est redevenue l’école la plus chère devant l’Edhec et emlyon BS alors que c’est à Audencia que la facture a le plus progressé en passant de 36 000 à 41 350 €. Certaines écoles n’en estiment pas moins avoir encore de la marge. C’est le cas de Toulouse BS : « Nos droits de scolarité pourraient progresser sachant que nous nous plaçons dans la moyenne pour notre bachelor et, avec 11 000 € par an, à l’avant dernière place du top 12 des écoles pour notre programme grande école. Nous sommes très accessibles au niveau mondial pour une école triple accréditée (AACSB/Equis/Amba) », estime François Bonvalet.
Quelles autres ressources ?
La formation continue paraît à beaucoup comme le principal levier de croissance des écoles de management. Avec des différences absolument abyssales entre les écoles. Alors qu’HEC entend dégager une marge nette additionnelle de 5 M € par an sur l’Executive Education à l’issue des cinq prochaines années, le chiffre d’affaires total de Toulouse BS, y compris les mastères spécialisés et les MSc en part time, est aujourd’hui de 4,5 M€ par an. Ne parlons pas de marge nette ! « Nous savons très bien délivrer des diplômes ou faire de la « haute couture », des programmes vraiment sur mesure, pour nos grands clients mais nous ne voulons pas proposer de catalogue de formations », rappelle François Bonvalet, dont l’école s’est installée à Paris pour progresser sur ce segment comme la plupart de ses concurrentes.
Quant aux fondations elles apportent… plus ou moins. Dans sa dernière enquête à ce sujet, la CGE rappelait que 97 % du montant global de la collecte en 2015 est réalisé par seulement 14 établissements. 60,5 % des fonds levés proviennent d’entreprises, 37,5 % de particuliers et 2 % de fondations hors entreprises. Les deux tiers de la collecte auprès des entreprises (21,2 millions d’euros) proviennent des chaires d’entreprises. « Les entreprises comme Antin nous apportent à la fois des financements et des données importantes pour notre recherche. Ce qui nous permet en retour d’attirer d’excellents professeurs internationaux », relève le directeur général d’HEC, Peter Todd, venu signer le lancement d’une nouvelle chaire « Private Equity and Infrastructure » avec Antin Infrastructure Partners dont le professeur responsable, Denis Gromb, a récemment quitté l’Insead pour rejoindre HEC.
Qu’apporte vraiment le statut d’EESC ?
Pour mieux assurer leur indépendance financière une large part des écoles consulaires, sous tutelle des CCI, adopte peu à peu le statut dit d’« établissement d’enseignement supérieur consulaire » (EESC) « Etre devenu une EESC change notre vie en nous donnant beaucoup plus de latitude financière et d’indépendance », assure Stéphan Bourcieu le directeur général de BSB l’une des quatre écoles de management françaises – avec HEC, Toulouse BS et Grenoble EM – à avoir déjà adopté le statut d’établissement (Audencia, ESCP Europe et Neoma le feront début 2018). Même analyse du côté de Toulouse BS où François Bonvalet se félicite « de posséder une véritable personnalité morale avec un conseil d’administration et des institutions représentatives du personnel. Cela nous a permis d’acquérir de la maturité dans nos relations sociales et de constater l’adhésion au projet ». Du côté de Montpellier BS on a préféré adopter le statut associatif en 2013 et devenir un EESPIG (établissement d’enseignement supérieur privé d’intérêt général) en 2017. « Nous voulons conserver une réelle indépendance et ne pas prendre le risque de devenir lucratifs comme vous forcément y pousser des actionnaires », révèle Didier Jourdan.
Cinq actionnaires privés, dont trois sont des dirigeants d’entreprise influents de la région et deux des banques, sont déjà entrés au capital de BSB : « On oublie parfois qu’au-delà de la distribution de dividendes un actionnaire peut également être intéressé par la valeur créée. Ce qui serait des dividendes est réinvesti dans une entreprise dont la valeur augmente le jour de la sortie de l’actionnaire. » Du côté de Toulouse BS on est en train de finaliser la valorisation de l’école : « Début 2018 nous allons débuter des actions de fundraising et nous pensons recevoir la première entreprise actionnaire avant l’été 2018 ».
BSB, comme HEC ou demain Audencia, a reçu son patrimoine immobilier en dotation de sa chambre de commerce et d’industrie. « Cela nous paraissait nécessaire puisque, de toute façon, nous devons payer pour l’entretenir et l’agrandir. De plus c’est une décision structurelle puisqu’il n’y a qu’au lancement de l’EESC que le patrimoine de l’école peut lui être dévolu sans payer ni taxes ni impôts », soutient Stéphan Bourcieu. Un choix que n’ont fait ni Grenoble EM ni Toulouse BS : « Notre métier ce n’est pas de posséder des bâtiments. C’est donc la CCI qui conserve la propriété de l’immobilier et avec laquelle nous pourrons monter des structures mixtes », établit François Bonvalet.
Et maintenant que faire ?
« On veut encore réformer la taxe d’apprentissage, on nous casse l’année de césure, on a parfois le sentiment en France d’être remis en cause à chaque fois que nous faisons un pas en avant », regrette Alice Guilhon qui n’exclut pas « d’installer un jour son siège social à Singapour ou ailleurs » : « Nous voulons bénéficier d’un cadre juridique stable qui nous permette de travailler sereinement ». Le tout dans un contexte où les business schools françaises ont su s’imposer à l’international avec finalement des ressources contraintes. « Les ressources d’HEC ont augmenté de 7% en un an mais nous sommes bien derrière nos compétiteurs en termes de moyens. Notre ratio professeurs / étudiants est par exemple de 1 pour 25 quand il est autour de 1 pour 10 au sein de Wharton ou de la London BS », rappelle Peter Todd.
Des moyens d’autant plus nécessaires que le contexte mondial se fait de plus en plus concurrentiel comme l’analyse le président de la Fondation HEC, Bertrand Léonard : « Nous sommes dans un mouvement de redistribution au sein de l’enseignement supérieur avec, d’un côté une mondialisation qui débouche sur l’émergence de nouvelles business schools, de l’autre une digitalisation nécessaire pour abaisser les coûts des scolarités ».