Comme chaque année la Technopole de l’Aube en Champagne organise ses journées Plug and Start les 31 mai et 1er juin à Troyes. L’occasion pour des porteurs de projets innovants de rencontrer des entreprises et des investisseurs potentiels. L’occasion également de rencontrer son directeur général, Francis Bécard, également directeur général du Groupe ESC Troyes, pour évoquer plus largement le développement de l’enseignement supérieur dans sa métropole.
Olivier Rollot : Vous avez longtemps été vice-président du Chapitre des Grandes écoles de management. Quel regard jetez-vous sur le système des Grandes écoles françaises ?
Francis Bécard : Nous bénéficions en France d’une configuration exceptionnelle dans laquelle les Grandes écoles s’entraident plus qu’elles ne s’opposent ! Les « très Grandes écoles » nous donnent le droit d’exister à l’international et nous protègent toutes en France. De plus une école comme la nôtre peut bénéficier des conseils de leurs dirigeants quand nous souhaitons aller en « zone de risques ». Frank Bournois (le directeur général d’ESCP Europe), Bernard Ramanantsoa (l’ancien directeur général d’HEC) ou encore Bernard Belletante (le directeur général d’emlyon) ou d’autres encore nous ont beaucoup soutenu. Et nous avons également la chance d’avoir aujourd’hui à la présidence de l’école le P-DG d’Optic 2000, Didier Papaz.
Si vous ajoutez à ces soutiens une chambre de commerce et d’industrie intelligente, qui a su nous amener au statut associatif, c’est en quelque sorte un univers idéal qui nous a permis de développer tout ce que nous avons voulu faire à Troyes. Nous n’avions pas anticipé la baisse des moyens des chambres de commerce et d’industrie mais nous avions tous bien pressenti qu’il ne fallait pas rester dans leur enceinte, et offrir une place plus conséquente aux autres collectivités.
O. R : Justement le Groupe ESC Troyes présente un profil tout à fait original. Pourquoi avoir choisi de développer des écoles dans plusieurs disciplines quand la plupart des Grande écoles sont concentrées sur une seule ?
F. B : Certains disent même que nous sommes des « laboratoires de la démonstration de ce qu’il faut faire » dans les Grande écoles ! Bernard Ramanantsoa estime que nous avons « modifié notre industrie » avec un modèle de financement à la fois diversifié et soutenu par les collectivités. Partout les élus doivent prendre conscience de notre impact !
En se diversifiant nous avons réparti les risques. Aujourd’hui le master Grande école du groupe ESC Troyes, dispensé au sein de la South Champagne Business School (SCBS), ne représente que 20% de notre activité. Autour de l’ESC initiale, nous avons choisi de développer une École supérieure de design, une École supérieure de tourisme mais aussi deux Écoles de la deuxième chance qui obtiennent un taux de réinsertion de 47% grâce à notre réseau d’entreprises. Et nous venons d’étoffer notre offre avec deux écoles Pigier, à Metz et Troyes, qui présentent un modèle de formation tout en alternance offrant la possibilité aux étudiants de suivre des cursus qui ne leur seraient pas ouvert sinon. Nous allons également élargir notre école de coding sur d’autres villes. Enfin nous sommes présents à Paris pour y former au tourisme. Si on ajoute à toutes nos activités en formation initiale les 5 millions d’euros que nous réalisons en formation continue nous arrivons à un chiffre d’affaires de 23 M€.
O. R : C’était quand même une sacrée gageure de vouloir développer une école de commerce dans une ville moyenne comme Troyes !
F. B : L’ESC Troyes n’aurait pas dû exister ! Elle est née en 1992 de la volonté d’une chambre de commerce et d’industrie, qui n’avait forcément ni port ni même d’aéroport, de la développer pour tout l’écosystème de ville. Un bon motif en soi mais qui ne suffisait pas à attirer les étudiants. Seule une volonté politique, la conscience que l’enseignement supérieur est indispensable à toute métropole, peut assurer la réussite d’un projet comme le nôtre. Cette conscience, Philippe Adnot, l’ex président du Conseil départemental de l’Aube, François Baroin, le maire de Troyes, comme l’actuel président de la CCI Troyes et Aube, Sylvain Convers, l’ont eue. Aujourd’hui à Troyes nous représentons un important volume des étudiants en master.
O. R : Le design est votre nouvelle priorité ?
F. B : L’école fonctionne très bien dans un environnement où le design se développe parallèlement au marketing dans beaucoup de PME. Au sein du comité de pilotage de la technopole je compte d’ailleurs deux designers. Il faut encore prêcher dans les entreprises et convaincre les parents que ce sont des emplois en devenir.
O. R : Où vous reste-t-il à progresser ?
F. B : Il nous reste à faire progresser nos formations « visées », par exemple en bachelor, où nous sommes de plus en plus concurrences par des très Grandes écoles, Edhec, ESCP Europe, qui ouvrent de plus en plus de places et mettent nos bachelors visés en souffrance. Quand nous amenons de bons lycéens de notre région à s’intéresser aux bachelors, cela profite à nous et aux plus grandes.
De notre côté nous pourrions également reprendre des EGC. D’autant que ces formations de niveau bac+3 sont aussi une manière d’apporter du flux aux diplômes les plus élevés alors que le nombre d’élèves qui va intégrer notre diplôme Grande école issu de classes préparatoires ou même d’admissions parallèles est stable. Nous devons réinventer notre recrutement !
O. R : En tant que directeur de la technopole de l’Aube en Champagne votre intérêt va bien au-delà du management ou du design
F. B : LLa technopole de l’Aube en Champagne bénéficie de la présence de l’Université de technologie de Troyes (UTT) et de deux écoles d’ingénieurs associatives privées, l’EPF et maintenant l’ESTP, ainsi que du Groupe ESC Troyes. Avec elles nous avons pu développer un diplôme ESTP dans le design et un MSc avec l’EPF mais aussi faire croitre notre incubateur étudiant qui est passé de trois à 23 projets par an. Intelligemment tout notre enseignement supérieur a confié à la technopole l’incubation des start up de façon à mieux hybrider les compétences. Elle est même la seule technopole à un porter un Pépite (pôle étudiant pour l’innovation, le transfert et l’entrepreneuriat).
O. R : Depuis 2002 vous organisez vos journées Plug & Start à destination des entrepreneurs. Comment évoluent-elles ?
F. B : Nous les adossons de plus en plus à de grands groupes comme Coyote, Generali, Engie… en tout huit groupes cette année auxquels nous faisons rencontrer des porteurs de projets qui les concernent et qui vont nous aider à les incuber. Cette année nous avons déjà reçu 500 candidatures.
O. R : Vous présidez la commission entrepreneuriat de la Conférence des grandes écoles. Que faut-il encore faire pour développer le goût de l’entrepreneuriat chez les étudiants ?
F. B : Je propose de créer des allocations d’un montant de 1000€ par mois pour soutenir les étudiants qui créent leur entreprise. Sinon de quoi vit-on quand on est un jeune créateur d’entreprise, qui plus est parfois endetté pour financer ses études ? Cette allocation serait ensuite remboursée sur les dividendes ou la revente des entreprises. Je pense également à la création, dès la seconde, d’une filière entrepreneuriat études sur le modèle des sections « sports études ».
Nous montons également des « Creative Mix Party » pour faire travailler ensemble autour de projets précis 150 à 200 étudiants de toutes les écoles pendant 24 heures.
O. R : Le Groupe ESC Troyes fait partie des écoles de management françaises qui se sont implantées récemment, en 2016, en Afrique. Comment avez-vous procédé ?
F. B : D’abord nous l’avons fait seul, sans partenaire local. Après trois ans de travail et des visites dans sept pays africains nous avons choisi le Cameroun et Yaoundé. Parce que c’était trop tard pour la Chine et l’Inde, que l’Amérique du Sud n’est pas prête, et qu’il faut savoir prendre des risques. Beaucoup de Grandes écoles plus âgées que nous ou de plus grande notoriété sont déjà implantées sur d’autres continents donc l’Afrique nous a semblé une belle opportunité. L’avenir nous donnera raison ou pas.