Alors qu’on parle beaucoup aujourd’hui de la nécessité de fusionner des écoles d’ingénieurs trop petites, le groupe public Grenoble INP rassemble six écoles et 5500 étudiants dans un ensemble consacré en 2015 par l’Usine nouvelle comme le deuxième en France derrière l’École polytechnique pour la qualité de son enseignement et de sa recherche. Entretien avec Brigitte Plateau, son administrateur général.
Brigitte Plateau : Le premier est la réussite à l’Idex (Initiative d’excellence) pour laquelle le dossier Université Grenoble Alpes : Université de l’innovation a été présélectionné. En 2011 nous avions finalement été retoqués et nous espérons bien un succès cette fois-ci. Le deuxième enjeu est plus local avec la « mise en route » du nouveau bâtiment, le GreEn-ER, de l’une de nos écoles, l’Ense3, qui va nous servir de laboratoire grandeur nature d’un bâtiment le plus économe possible. Nos chercheurs et nos étudiants vont pouvoir y tester des algorithmes pour le rendre le moins consommateur d’énergie possible même s’il ne sera jamais autonome pour autant. C’est une machine complexe qu’il nous faudra un an pour rendre totalement opérationnelle.
O. R : La recherche a de tout temps été au cœur de l’action de Grenoble INP. D’où cela provient-il ?
B. P : Grenoble INP a été créé en 1900 à l’intersection de la recherche et de la science « dure ». C’est un modèle d’une extraordinaire modernité et tous nos enseignants-chercheurs sont convaincus que c’est la recherche qui nous maintiendra au plus haut niveau.
O. R : Mais aujourd’hui avez-vous les moyens de pérenniser cette recherche de haut niveau ?
B. P: C’est difficile car nos budgets de recherche sont essentiellement accordés pour des projets de 3 ans par l’Agence nationale de la recherche (ANR), l’Europe ou les régions. Nos financements n’ont qu’une récurrence faible et 3 ans c’est très bien pour réaliser une thèse mais insuffisant pour des projets qui prennent plutôt 5 à 7 ans à aboutir.
O R : Quel est le taux de vos projets qui sont finalement acceptés par les financeurs ?
B. P: 26% en France et 20% en Europe, ce qui est à un bon taux mais ne doit pas masquer que nous ne proposons pas assez de projets aux instances européennes même s’ils sont déjà deux fois plus nombreux cette année que l’année dernière. Les chercheurs français vont de plus en plus aller vers l’Europe mais doivent pour cela construire des réseaux, bien maîtriser l’anglais et comprendre une mécanique européenne qui est très différente de celle des universités et des organismes de recherche français. Nous avons développé à cet effet une « cellule Europe » qui sert d’appui au dépôt et au suivi des projets européens et aide également les chercheurs à comprendre d’éventuels et échecs et comment rebondir. Il faut être tenaces !
O. R : Comment transmettez-vous le « virus » de la recherche à vos étudiants ?
B. P : C’est d’abord une culture de l’innovation qu’il faut un de temps à nos « taupins » [élèves de prépas scientifiques] à assimiler. Quand ils arrivent ils ont d’abord une vision de la grande école qui doit leur permettre de réaliser une belle carrière et ce que nous voulons c’est les rendre créatifs et responsables pour dépasser cette vision, pour leur faire prendre conscience à la fois de leur responsabilité sociale et de leur potentiel d’inventivité.
C’est un changement d’état d’esprit qui passe des cours sur les technologies tout autant que par un apprentissage fondé sur le projet ou le problème. On leur demande de résoudre un problème en cherchant pour cela les solutions technologiques nécessaires. Nous développons également des Fablab et délivrons des cours de créativité dès la première année. Mais attention, nous ne pouvons pas former que des inventeurs !
O. R : Constatez-vous chez vos étudiants un intérêt de plus en plus grand pour la création d’entreprise ?
B. P: Il y a un vrai changement de mentalité même si la création d’une entreprise n’intervient pas forcément dès la fin du cursus. Ceux qui le souhaitent peuvent en tout cas remplacer leur projet de 3ème année par une création d’entreprise et continuer à la développer ensuite dans le pôle Pépite (Pôle Etudiant pour l’Innovation, le Transfert et l’Entrepreneuriat] grenoblois.
O. R : Ce sont des enseignements communs à vos six écoles ?
B. P: Nous possédons effectivement un département transversal qui prend en charge aussi bien les enseignements de créativité que l’innovation pédagogique ou le sport pour mutualiser nos efforts.
O. R : Grenoble INP est très renommé en France mais attire-t-il également beaucoup d’étudiants étrangers ?
B. P: 25% de nos étudiants sont étrangers et sont d’abord issus du bassin méditerranéen ou du Vietnam avec aujourd’hui une forte expansion des Chinois. Nous avons également 350 accords, dont 70 très actifs, avec des universités étrangères et notamment européennes.
Nous avons également ouvert un campus en Chine consacré au nucléaire que nous pilotons avec Chimie ParisTech, les Mines de Nantes, Areva, EDF et le CEA. Il est financé jusqu’en 2016 et il faut maintenant lui trouver un deuxième souffle.
O. R : Parvenez-vous également à attirer des enseignants étrangers alors que les salaires sont notoirement bas en France ?
B. P: En France les chercheurs sont recrutés assez jeunes pour travailler sur des projets et restent affectés à leur établissement quoi qu’il arrive. Ce n’est absolument pas le cas aux États-Unis ou, plus près de nous, à l’EPFL (Ecole polytecnhique fédérale de Lausanne) par exemple. C’est un bon moyen d’attirer des talents et 50% de nos doctorants sont aujourd’hui étrangers. Pour recruter des profils plus expérimentés nous comptons beaucoup sur les financements issus de l’Idex. Mais c’est impossible de faire venir des « stars » de la recherche.
O. R : Et vos étudiants sont-ils également imprégnés de cet esprit international ?
B. P: Aujourd’hui la moitié de nos étudiants part réaliser une partie de son cursus à l’étranger et nous entendons arriver à 100% dans les quatre ans à venir sans rendre ce séjour pour autant obligatoire.
O. R : Vous êtes également présidente du Groupe INP qui regroupe les quatre INP. Avez-vous une politique commune de recherche ?
B. P: Ce n’est pas le but même si nous pouvons signer des accords collectifs comme celui que nous avons avec le CEA. Les politiques de recherche restent avant tout ancrées dans les sites et le Groupe INP est d’abord une force de proposition commune qui possède une prépa intégrée.
O. R : Et la Comue Université Grenoble Alpes, qui regroupe également les trois universités grenobloises, que vous apporte-t-elle ?
B. P: La mondialisation demande la création de marques visibles à l’international pour entrer dans le Classement de Shangaï par exemple. Aujourd’hui 30% des chercheurs signent déjà leurs articles « Université Grenoble Alpes » avant d’indiquer le nom de leur établissement et nous sommes sur une dynamique très positive qui donne à chacun sa place sans qu’il faille pour autant parler de fusions.