Fondée il y a seulement cinquante ans l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) a fait ses dix dernières années son entrée dans le top 30 des meilleures universités dans le monde. Son vice-président pour l’éducation, Pierre Vandergheynst, nous explique le « modèle » EPFL.
Olivier Rollot : En 1969 est créée l’EPFL. Cinquante ans plus tard, en 2019, le Times Higher Education la classe au 35ème rang des meilleures universités dans le monde et QS au 22ème rang. Comment expliquez-vous l’émergence en si peu de temps d’un « modèle EPFL » ?
Pierre Vandergheynst : En fait notre croissance date surtout d’il y a un peu plus de dix ans avec les résultats des réformes voulues par notre président de 1999 à 2016, Patrick Aebischer, qui a créé un modèle assez particulier mêlant valeurs européennes et anglo-saxonnes. Nos professeurs sont recrutés après une pré-titularisation, le « tenure track », de six ans et bénéficient d’une totale indépendance. Chaque professeur possède son propre laboratoire, son propre projet de recherche et a beaucoup de moyens pour les développer. Tous les professeurs possèdent leur propre chaire avec un montant pour la faire fonctionner. C’est très attractif pour de jeunes chercheurs brillants, qui sont aussi des enseignants, dont les recherches seront très visibles avec des collaborateurs de très bonne qualité. Notre école doctorale joue également un rôle important pour attirer les meilleurs.
O. R : Combien l’EPFL compte-t-elle de professeurs ? D’étudiants ? D’étudiants français ?
P. V : L’EPFL compte 400 professeurs et 200 enseignants non professeurs pour 12 000 étudiants. Nous recrutons dans le monde entier. Les étudiants français viennent chercher à l’EPFL un modèle différent de celui de la classe préparatoire. Plus proche d’une prépa intégrée. De plus les étudiants font un choix de disciplines dès le départ avec une part belle faite à la pratique dans les laboratoires de recherche rénovés.
O. R : Le niveau que vous demandez aux étudiants français est très important. D’où un fort taux d’échec !
P. V : Il faut avoir une mission très bien au bac pour être reçus. Mais le niveau est extrêmement élevé et génère des échecs. Tous les très bons bacheliers peuvent postuler mais il faut aussi avoir conscience du niveau que nous demandons. La question que je pose à ceux qui viennent nous visiter : « Est-ce que vous voulez vraiment venir passer cinq ans au minimum alors que le coût de la vie est très élevé en Suisse et qu’il faut produire une masse de travail élevée ? ».
Juste après le lycée il faut être très vite indépendant. Pour éviter les échecs nous testons le niveau de nos étudiants dès le mois de janvier et on ne laisse pas continuer ceux en difficulté dans les mêmes conditions. Nous leur proposons un deuxième semestre spécifique pour pouvoir ensuite recommencer leur première année dans de meilleures conditions. Dès janvier on peut très bien prédire les résultats de juin.
P. R : Cela coûte cher de venir étudier à l’EPFL pour un Français ?
P. V : 1 200 francs suisses par an (aux alentours de 1 050 €) pour tous les étudiants. Nous sommes une école fédérale et le législateur suisse nous permet de ne pas proposer de coûts différenciés selon qu’on est ou pas Suisse. Avec l’ETH nous sommes deux centres d’excellence chargés de former des chercheurs de très haut niveau dans un pays où, avec la force de la formation professionnelle, seulement 20% d’une classe d’âge va dans l’enseignement supérieur.
O. R : Comment est financée l’EPFL ?
P. V : Sur notre milliard de francs suisses de budget annuel les deux tiers viennent de l’Etat fédéral et un tiers des entreprises ou des financements dans le cadre de programmes de recherche suisses et européens. Le gouvernement suisse tient beaucoup à l’autonomie de l’EPFL et de l’ETH de Zurich. Les chercheurs sont donc appelés à multiplier les moyens accordés à leurs laboratoires. Un bureau de transfert de technologie leur permet de déposer des brevets et de créer des start up dans un « Parc de l’innovation » où sont présentes beaucoup d’entreprises. Des start up, des PME et de grands groupes comme Nestlé, Logitech, etc.
O. R : C’est un modèle très proche de ce qu’on retrouve aux Etats-Unis ?
P. V : C’est un modèle très américain et très suisse. L’ETH a été créée pour former les ingénieurs de l’industrie suisse. On aurait pu créer d’autres écoles sur notre modèle mais on a préféré n’en garder que deux. Les autres sont des « écoles de sciences appliquées » qui pratiquent la formation duale aux niveaux bachelor et master.
O. R : L’EPFL n’est pas en pointe que dans la recherche. Elle l‘est également dans la pédagogie.
P. V : Quand nos effectifs ont fortement progressé nous avons voulu être créatifs. Nous nous sommes demandés si construire toujours plus d’amphis de 800 étudiants était forcément le mieux. Aujourd’hui tous nos cours de base (ce que nous appelons les « grands cours polytechniques ») sont en ligne pour que chaque étudiant puisse les suivre soit en ligne soit en auditoire. Récemment nous avons ouvert un centre de recherche consacré à la pédagogie des sciences.
O. R : Quelles sont les spécialités dans lesquelles l’EPFL excelle plus particulièrement ?
P. V : L’école est jeune et travaille donc beaucoup les disciplines jeunes comme l’informatique. Dès ses débuts elle a bénéficié du courage de son université cantonale qui lui a transféré des disciplines comme les mathématiques et la physique. L’université conservant les sciences humaines et sociales. Cela nous a beaucoup aidé plutôt que d’avoir des facultés concurrentes.
O. R : Vos diplômés poursuivent-ils leur cursus par un doctorat ?
P. V : Rarement. Ils vont essentiellement dans l’entreprise après leur master. Nos doctorants viennent d’ailleurs. Le marché de l’emploi est si bon en Suisse que cela ne pousse pas nos diplômés à poursuivre leurs études.