« Les séjours d’études et stages à l’étranger sont devenus obligatoires dans la quasi-totalité des écoles d’ingénieur », se félicite Christian Lerminiaux, président de la Cdefi (Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs) (1). Longtemps réticentes à laisser filer leurs étudiants hors de France, les écoles d’ingénieurs ont en effet pris du temps pour se convertir à la nécessité de former les cadres internationaux que leur demandaient les entreprises.
« Nous avons besoin d’ingénieurs culturellement ouverts sur le monde », explique ainsi Christian Desmoulins (1), PDG d’Actia Group, une entreprise toulousaine d’équipements électroniques pour les véhicules implantée notamment en Chine qui a constaté tout ce qu’être français apportait lorsqu’on voulait travailler à l’étranger : « Je le dis souvent à mes cadres expatriés : l’approche culturelle est très importante. Pour décrocher un contrat, il ne suffit pas d’aligner des chiffres, il faut aussi montrer son intérêt culturel pour le pays qui vous reçoit et, pour cela, quoi de mieux que d’avoir étudié à l’étranger ? »
Stages ou séjours d’études
Les élèves de Supélec, l’une des écoles les plus en pointe sur le sujet, suivent ainsi maintenant tous au moins un semestre à l’étranger et un tiers une année complète. Que ce soit en stage dans une entreprise ou dans une université, tous les élèves de l’Ecole des Mines d’Alès partent eux au moins trois mois. Quant à ceux de l’Isep, une école parisienne en 5 ans après le bac, ils vont pouvoir bénéficier d’un cursus international qui les amènera à étudier au moins une année à l’étranger à partir de la rentrée 2012. Au total, la Cdefi établit que 80% des stages des élèves ingénieurs à l’étranger durent en 1 et 6 mois. En termes de destinations, l’Europe l’emporte largement (53%) devant l’Asie (16%) et l’Amérique du Nord (14%). La proportion de départs en Europe est encore plus forte quand il s’agit de séjours d’études : 61%. Et là c’est l’Amérique du Nord qui arrive en deuxième avec 20% de départs aux États-Unis et au Canada.
Et parce qu’il y a plus d’étudiants qui souhaitent aller à Cambridge qu’à Helsinki, une sélection s’opère en amont : les élèves les mieux classés d’un point de vue académique étant prioritaires. Mais l’important est aussi d’avoir un bon niveau en langues. L’Ecole des mines d’Alès demande à ses élèves de pratiquer deux langues vivantes et leur niveau est testé par le passage du TOEIC ou du TOEFL.
De plus en plus d’étrangers en France
Les écoles d’ingénieurs comptent en moyenne 13,4% d’étudiants étrangers sur leurs campus. Rien d’étonnant quand on sait combien les entreprises sont demandeuse de profils qu’il n’est pas toujours facile de trouver en France même. « Nous avons clairement eu une action forte de recrutement d’étudiants étrangers », rappelle Christian Lerminiaux, qui s’est beaucoup battu d’ailleurs depuis contre les effets désastreux de la circulaire Guéant limitant leurs possibilités de s’installer en France une fois leur diplôme obtenu. Un terrible gâchis quand l’Insa Lyon compte jusqu’à 30% d’étrangers dans le cycle ingénieur (trois dernières années) et 50% en doctorat. La moitié des étudiants y baigne dans un véritable bain international dès la première année en rejoignant l’une de ses filières internationales – Asinsa, Eurinsa et Amerinsa – qui mêlent pour moitié étudiants français et étrangers. « Dans Asinsa vous avez ainsi environ 50% d’étudiants venus de Chine, Vietnam, Malaisie, Inde, Singapour ou encore Thaïlande, explique Eric Maurincomme, directeur de l’Insa. À la fin de leur première année, les élèves français effectuent un stage ouvrier d’un mois minimum en Asie, vous imaginez le dépaysement ! ».
Si le nombre d’étudiants étrangers dans les école d’ingénieurs françaises est en progression de 29% depuis 2006, il n’en est pas moins à peine plus élevé que la moyenne des étudiants français dans l’enseignement supérieur français (12%) et varie fortement selon que les écoles sont publiques (15,4%) ou privées (seulement 8,3%). Au sein même des écoles publiques, les variations sont également très importantes puisque les trois universités de technologie (Compiègne, Troyes, Besançon) reçoivent près d’un quart d’étrangers (23,7%), les Insa 19,3% quand le réseau Ensam n’en est qu’à 9%. Enfin, en termes de nationalités, ce sont toujours les étudiants africains qui sont les plus nombreux : 8034 sur un total de 15 803 étudiants étrangers reçus en 2010-2011. Pour autant, les Asiatiques se rapprochent (3920 reçus et une progression de plus de 50% en 5 ans) alors que les Américains (du Sud et du Nord) connaissent la plus grande progression (+78,6%) pour s’établir à quelques 1566 étudiants. La déception dans ce contexte viendrait alors plutôt de la faible progression des Européens (+7,7%) avec seulement 2251 étudiants.
Un campus français à l’étranger
En 2005, l’École Centrale de Paris a franchi le pas d’aller former directement des étudiants chinois à Pékin. Un projet qui répondait à une demande des autorités chinoises. « Si l’ingénieur est très respecté en Chine il n’y a pas pour autant de formation spécifique différente de celles des autres scientifiques. Comprenez que les ingénieurs chinois savent très bien appliquer des recettes apprises par cœur mais ne sont pas très innovants. Le gouvernement chinois s’en est ému et s’est rapproché de nous pour créer une antenne de Centrale en Chine », se souvient Jean Dorey (1), tout juste revenu de l’Empire du Milieu où il dirigeait l’Ecole Centrale de Pékin. Il y a formé une première promotion dans un cursus qui dure 6 ans et demi (dont un an d’apprentissage du français) sur le campus de l’université de Beihang.
Un véritable choc culturel pour le coup avec des échecs et de grandes réussites : « Dans une promotion chinoise vous avez bien 20% d’étudiants pas très travailleurs, loin de l’image qu’on se fait d’eux. Mais le vrai problème ce sont d’apparents très bons élèves qui en fait ne savent qu’apprendre par cœur et n’admettent pas d’avoir de mauvais résultats ! »
Un système du par cœur qui pourrait même obérer le financement même de l’école. Non que les étudiants chinois ne veulent plus venir. Ceux qui s’adaptent au système sont mêmes enthousiastes. Non, le problème viendrait plutôt des enseignants. « Nous pensions pouvoir rapidement former des professeurs chinois à nos méthodes afin qu’ils enseignent à nos étudiants au lieu et place d’enseignants français, explique encore Jean Dorey. Ce qui aurait permis de sérieuses économies sur les frais de déplacements. Or la plupart des enseignants chinois ont encore du mal à passer autant de temps qu’il le faudrait à préparer des cours qui ne soient pas du simple par cœur. Résultat les dépenses restent élevées et le financement dans 6 ans encore incertain. » Il faudra même sans doute attendre que les premiers diplômés de Centrale Pékin puissent devenir eux-mêmes professeurs pour prendre le relais d’une école qui, Jean Dorey en est certain, est un formidable « vecteur d’influence pour la France ».
- Olivier Rollot (@O_Rollot)
(1) Lors du colloque sur « La mobilité internationale » organisé le 13 avril 2012 par la Cdefi (Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs).