ECOLE D’INGÉNIEURS, ECOLES DE MANAGEMENT, POLITIQUE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

Quel modèle économique pour l’enseignement supérieur privé ? : l’UGEI s’interroge

Joël Cuny, président de l’UGEI, entouré de ses invités, le sénateur Stéphane Piednoir, rapporteur des crédits de l’enseignement supérieur au sein de la commission de la culture et de l’éducation, Isabelle Huault, directrice générale de emlyon et Frédéric Meunier qui dirige l’Efrei.

« Inflation, développement de l’apprentissage qui soutient un certain nombre d’élèves, baisse de la taxe d’apprentissage, soutien accru des collectivités, beaucoup d’éléments ont influencé nos finances ces dernières années alors que notre modèle économique se tend. » En conclusion du congrès de son association, à Lyon les 26 et 27 mars dans les locaux de l’Itech puis de l’Esmod. le président de l’Union des Grandes écoles indépendantes (UGEI) et directeur de l’ESTP, Joël Cuny, s’interrogeait avec ses invités sur le modèle économique des écoles privées.

L’analyse du sénateur Stéphane Piednoir : « Nous avons assisté à une forte expansion du privé lucratif, ce qui ne me choque pas pourvu que la qualité soit au rendez-vous. La naissance d’un lucratif peu scrupuleux est d’abord lié à la baisse de la taxe d’apprentissage mais surtout de la réforme de l’apprentissage en 2018 qui s’est faite quasi-exclusivement dans l’enseignement supérieur », analyse Stéphane Piednoir, sénateur du Maine-et-Loire, rapporteur du budget de l’enseignement supérieur et lui-même professeur de mathématiques en classe préparatoires.

« Cette réforme de l’apprentissage partait d’un bon sentiment et a été dévoyée par des personnes mal intentionnées qui ont vendu une sorte d’enseignement gratuit aux moins argentés. Cela a complétement perturbé le système avec des universités publiques qui peinent avec leur modèle et un enseignement privé respectueux d’une qualité d’enseignement et d’intégration qui doit faire face à un autre monde qui est arrivé avec des moyens colossaux et a tué le match », déplore encore le sénateur qui voit aujourd’hui des « écoles historiques qui ont du mal à remplir les classes sur le bassin angevin face à des écoles au marketing hyper agressif ». Et d’insister : « Ce ne sont pas les labels qui fonctionnent mais le niveau d’intégration, la qualité du campus, le salaire, etc. Les label ils n’y comprennent rien ».

Quels financements? Deux modèle sont face à face dans ce débat : emlyon devenue une société aujourd’hui sous l’égide de Galileo, l’Efrei restée indépendante et EESPIG (école établissement d’enseignement supérieur privé d’intérêt général). « Le public et le privé sont complémentaires. Le privé est associé à la qualité dans bien des cas, même si on voit des dérives », spécifie Isabelle Huault, directrice d’une emlyon dont le capital s’est ouvert en 2018 pour « avoir des capacité d’investissement et de croissance externe et acheter notre campus, le tout sans aucun apport financier public ». Une emlyon devenue société à mission en 2021 pour « bien montrer son intérêt général ».« Être une école privée n’empêche pas de répondre à l’intérêt général. Tous les actionnaires privés ne sont pas avides de dividendes. En tout cas pas le nôtre », insiste encore une fois la directrice. Une emlyon qui a relancé sa fondation pour parvenir à « une plus grande diversité sociale » et qui est aujourd’hui membre de la Comue de Lyon.

Arrivé en 2009 dans une « école en difficulté, qui venait de perdre sa subvention du ministère du MESR qui représentait 15% de nos ressources », le directeur général de l’Efrei, Frédéric Meunier, se souvient avoir vu « à ce moment-là un certain nombre de fonds venir nous voir pour reprendre l’école » : « Mais nous avons préféré remonter l’école, nous avons recouvert notre subvention avec la volonté de rester indépendants en augmentant le nombre d’étudiants – 6 000 aujourd’hui répartis équitablement entre son PGE et d’autres formations – et la création de programmes, digital ou tech, qui ont moins de contraintes et permettent éventuellement de surmonter une baisse des inscriptions en PGE ». Des programmes qui ont des contraintes de plus en plus fortes avec le poids de la recherche par exemple ou des taux d’encadrement de professeurs permanents de plus en plus importants.

Quel modèle économique ? « Les étudiants internationaux sont très importants et garantissent la pérennité de notre modèle économique au même titre que le développement de la formation continue » spécifie Isabelle Huault, qui s’appuie sur les capacités du groupe Galileo pour se développer et a par exemple investi dans le capitale de la London Interdisciplinary School (LIS), une jeune école britannique fondée en 2019.

L’école de Frédéric Meunier a un tout autre équilibre : « Je dépense l’ensemble de mes recettes dans le cadre d’un label EESPIG qui a sans doute plus d’attrait pour les salariés que les étudiants. Je suis en tout cas très satisfait de recevoir des personnels d’autres établissement du numérique qui ont une pression de l’actionnaire trop forte et nous rejoignent ». Le côté négatif c’est « d’être tous seuls face à des groupes qui se développent partout en France, à toutes vitesse, en amenant dans une ville plusieurs marques en se disant que l’une fonctionnera bien ». Et de s’inquiéter : « Il y a beaucoup trop de places qui s’ouvrent, notamment dans les école d’ingénieurs, par rapport à la volonté des jeunes. Des écoles vont disparaitre ou être rachetées ! Les groupes se constituent d’ailleurs en général en reprenant des écoles malades qu’ils redynamisent ».

Dans ce contexte de plus en plus concurrentiel Frédéric Meunier regrette de n’avoir « pas réussi entre écoles indépendantes à travailler ensemble quand, dans un groupe, la gouvernance est forcément alignée entre les écoles » : « Nous ne savons pas partager des coûts, pour créer de bons système d’information par exemple. J’ai 25 personnes à la DSI. Je ne vois pas comment une école de 1000 personnes peut fonctionner alors que la demande des étudiants est la même ». Seule mutualisation rappelle Joël Cuny : les concours communs comme Avenir ou Puissance Alpha.

Quel apport de l’État ? « Aujourd’hui la subvention EESPIG ne représente plus que 5% de mon financement quand elle était de 8% avant l’inflation mais 5% cela reste important », remarque Joël Cuny qui s’attache aujourd’hui à mutualiser des actions avec la Fesic et l’Udesca dans le cadre de l’Union professionnelle de l’enseignement supérieur (Upes). « Les dotations EESPIG sont des dotations pour charge de service public. Il faudra du courage politique pour accompagner la remontée de ces financements à une hauteur raisonnable. Le pic a été atteint dans les années 2010 et depuis les financements ont diminué, parce que le nombre d’étudiants a augmenté sans que les financements suivent », rappelle Stéphane Piednoir qui demande également une « clarification à tous les étages dans l’enseignement supérieur » : « La clarification se fera sur ce qu’est vraiment un modèle d’établissement d’enseignement supérieur et sur la possibilité de recourir au financement de l’apprentissage. La loi sur l’apprentissage a enlevé du pouvoir au ministère de l’Enseignement supérieur et l’a donné au ministère du Travail ».

Mais alors où trouver les financements ? Ne regardons pas du côté des écoles de management se prononce Frédéric Meunier : « 40% d’heures de moins de cours par an que dans les écoles d’ingénieurs (450 heures contre 800) avec 40% de coûts de scolarité en plus : je n’envie pas les écoles de management. La recherche, les accréditations internationales, leur coutent un bras. Je suis le premier à défendre la recherche dans les écoles, le premier à défendre l’encadrement mais il faut des limites ». La conclusion à Stéphane Piednoir qui se demande comment « des écoles qui ont été aspirées par des LBO vont pouvoir se remettre après avoir été prises au piège du court termisme… »

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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