Par Gérard Péhaud, professeur d’ESH au lycée Voltaire, à Orléans, et membre du bureau de l’Association des professeurs de classes préparatoires économiques et commerciales (APHEC)
Depuis quelques mois le ministère de l’enseignement supérieur conduit une réflexion sur l’avenir du parcours de formation des futurs étudiants des programmes grande école proposés par les Grandes écoles françaises de management. Si la tutelle ne s’attaque pas à ce qui se fait dans les écoles, qui sont consulaires ou privées, il souhaite une refonte complète des classes préparatoires ECG (Economiques et Commerciales voie générale). Arguant d’une baisse importante des effectifs et de l’existences de classes en difficulté, il entend avancer très vite pour mettre en place une ECG réformée dès la rentrée 2024, afin de « rendre la filière plus attractive ». Nous, professeurs dans des classes préparatoires de proximité, qui assurons à la fois un maillage territorial et un accès à des formations de haut niveau à des élèves issus de tous les milieux sociaux, souhaitons nous faire entendre et montrer pourquoi les évolutions potentiellement imposées nous sembles délétères.
Certes, la filière ECG connait une crise de recrutement réelle dont les explications sont balayées d’un revers de la main par la tutelle comme par les représentants de certaines écoles membres de la Conférence des directeurs des écoles françaises de management (Cdefm). Pourtant, la multiplication des bachelors, les effets de la réforme du lycée sur le niveau réel en mathématiques, la crise du covid peuvent être objectivement avancées. Les CPGE ECG, en particulier celles qui sont situées en province et souvent dans les villes moyennes, proposent cependant une réponse appropriée aux défis du XXIe siècle : gratuites, elles permettent à des étudiants issus de milieux modestes d’accéder à des enseignements de haut niveau, à un accompagnement permanent. Certes, le coût peut sembler important pour les finances publiques mais il ne court que sur deux ans, les étudiants finançant ensuite leur scolarité dans les écoles. Si l’on tient compte des taux d’intégrés par rapport aux effectifs de départ, plus de 75 % des étudiants obtiennent un bac plus 5 en 5 ans, avec seulement deux ans à la charge de l’Etat ? Quel système coûte aussi peu cher pour de tels résultats ?
Sans commenter ici les conditions dans lesquelles est conduite de cette réforme, à la hussarde et sans réelle concertation avec les associations de professeurs et de chefs d’établissement, nous nous bornerons à exposer de ce qui est essentiel, à savoir la formation des étudiants, sans évoquer le sort des professeurs qui risquent de voir leur situation se dégrader ou, pire, leur poste supprimé.
- Le choix d’une réforme intervient alors que la première cohorte d’étudiants n’a pas encore passé les concours: aucune évaluation fiable des résultats des choix opérés lors de la création des quatre parcours d’ECG n’a été réalisée. Il est d’ailleurs surprenant qu’aient été choisis, pour conduire la réforme actuelle, ceux qui auraient échoué, de leur propre aveu, il y a quatre ans ! Seule est prise en compte la baisse des effectifs (réelle) des clases depuis deux ans sans que le lien soit fait avec les conséquences dramatiques de la suppression des mathématiques dans le tronc commun du lycée. La décision récente de les réintroduire n’est pas non plus prise en compte. Au lieu de proposer une remise à niveau et un accompagnement pour les élèves n’ayant suivi que les mathématiques complémentaires, l’idée est de ramener l’horaire de huit ou neuf heures à seulement 5. Dans un monde marqué par l’économie de l’innovation, de la connaissance et du data, c’est une décision surprenante. Certes, les plus capables des étudiants se verront proposer une option de mathématiques avancées dans certains lycées. Nous faisons ici le pronostic que cela ne concernera que les établissements prestigieux, qui prépareront aux écoles les mieux classées, qui ainsi, conserveront leur vivier.
- Les réformateurs s’attaquent aussi à la culture générale, en menaçant ses horaires et en souhaitant orienter la réflexion des étudiants sur les questions contemporaines, faisant ainsi passer à la trappe ce qui faisait la noblesse d’une discipline originale, incarnant la tradition humaniste et l’ouverture culturelle. Pourquoi sacrifier ce qui donnait un plus à des étudiants qui devront se confronter à un monde incertain. Les héritages philosophiques et littéraires anciens ne serviraient-ils donc à rien ?
- L’introduction de parcours optionnels, pour lesquels chaque établissement aura sa spécificité et se distinguera des autres, jouera en défaveur des petites classes prépas, précisément celles qui assurent encore pleinement leur rôle d’ascenseur social. Même si elles n’arrivent pas à faire intégrer les trois « parisiennes » elles offrent des services inestimables : elles font progresser des jeunes recrutés avec des faiblesses et, depuis les années 80, permettent à des écoles de recruter des étudiants bien formés, habitués à travailler. Ce n’est sans doute pas étranger à la bonne tenue des écoles françaises dans les classements internationaux.
- Comme dans le secondaire, la multiplication des options mettra à mal l’esprit de promotion et de corps qui fait la force des classes préparatoires en créant un sentiment d’appartenance, d’autant plus important dans les classes de proximité où les étudiants, souvent plus fragiles ou angoissés ont besoin d’être rassurés et accompagnés.
- Si c’est le coût qui pose problème à la puissance publique : comment expliquer, dans le même temps la création et la multiplication des CPES (Cycles Préparatoires à l’Enseignement Supérieur) sur trois ans avec des effectifs faibles ?
- Enfin l’introduction de nouveautés, comme les TIPE (Travaux d’Initiative Personnelle Encadrés) réalisé hors temps de cours, est-elle bien sérieuse dans un monde où l’intelligence artificielle se développe à grande vitesse et où seules les évaluations en condition d’examen resteront sincères ? Quant aux gadgets comme les heures de BDE, les formations extra scolaires, qui peut croire un seul instant qu’elles seront mises dans les établissements hors contrat ? Gageons que les étudiants de ces CPGE feront des mathématiques quand les autres seront assujettis à des dérivatifs, sans que nous puissions réellement les en blâmer.
Les classes préparatoires restent un élément crucial de l’excellence à la française. Certes, elles n’existent pas ailleurs mais elles fonctionnent, tout comme les grandes écoles de management.
Casser un système qui a fait ses preuves, qui permet à des jeunes venus de tous les milieux de se projeter dans un avenir ambitieux, n’est-ce pas, à terme affaiblir le pays tout entier ? Est-ce d’ailleurs par hasard que ceux qui nous gouvernent ou leurs enfants ont choisi les formations les plus sélectives et les plus prestigieuses ? Pourquoi dénier aux générations montantes le droit d’avoir accès à l’excellence ? Les difficultés prévisibles de classes préparatoires de proximité n’aboutiront-elles pas, de fait, à la polarisation géographique en faveur de Paris et des grandes métropoles, en complète contradiction avec les valeurs républicaines dont il est en permanence fait grand cas.
De plus, que penser d’un système qui pourrait, à terme, ne s’adresser qu’à ceux qui auront les moyens de suivre un cursus de trois, quatre ou cinq ans en école, sans sélectivité autre que la capacité à se financer ?