Comment les enseignants doivent-ils utiliser les IA ?

by Olivier Rollot

Il était très attendu par les personnels et enseignants de l’Education nationale. Un Cadre d’usage de l’IA en éducation a été publié par le ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche le 14 juin. Il établit notamment que « tout recours à l’IA générative pour réaliser un devoir scolaire, sans autorisation explicite et sans travail personnel d’appropriation, sera considéré comme une fraude ». Certes mais encore faut-il former les enseignants à leur usage ! En avril dernier Neoma et l’Association des professeurs de classes préparatoires économiques et commerciales (APHEC) ont justement organisé un atelier consacré à l’usage des Intelligences Artificielles Génératives en CPGE pour former ces professeurs face à des étudiants de plus en plus usagers. Le ministère chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR) et l’Agence de mutualisation des universités et établissements (AMUE) ont justement lancé cette semaine un partenariat d’innovation avec Mistral AI visant à développer un agent conversationnel intelligent.

Ce que prévoit le cadre d’usage. « Disposer d’un cadre clair et partagé pour accompagner élèves, enseignants, cadres et personnels administratifs dans l’usage de l’intelligence artificielle est une nécessité », établit la ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Elisabeth Borne, en présentant le « cadre d’usage de l’IA en éducation ».

Le cadre précise les grands principes à respecter :

– s’assurer de la plus-value pédagogique du recours à l’IA ;

– veiller à la protection des données saisies dans les outils grand public ;

– être conscient de l’impact environnemental de l’IA générative ;

– faire preuve de transparence dans son utilisation ;

– exercer son esprit critique face aux contenus produits.

Il fixe également des règles d’utilisation concrètes pour les élèves : l’usage autonome de ces outils ne sera, par exemple, autorisé qu’à partir de la classe de 4e. Au lycée, les élèves peuvent « utiliser les IA génératives de manière autonome dans un cadre d’apprentissage et de formation explicitement défini par l’enseignant ». 

De plus une micro-formation à l’IA sera proposée à tous les collégiens et lycéens à partir de la rentrée 2025 sur la plateforme Pix. Elle sera obligatoire pour tous les élèves de 4e et de 2de.

Un enseignant sachant prompter. La compréhension et l’appropriation des IA génératives sont devenues indispensables pour les enseignants et les étudiants de l’enseignement supérieur. « Se former aux IA génératives, c’est comprendre comment elles transforment nos métiers, nos interactions et nos modes d’apprentissage. En tant qu’acteur de l’enseignement supérieur, nous devons anticiper ces mutations et accompagner nos étudiants et toute la communauté académique dans leur appropriation responsable de ces outils », insistait Alain Goudey, directeur général adjoint en charge du digital de Neoma, en ouverture de la journée qu’il organisait avec l’APHEC.

Mais les classes préparatoires constituent-elles un environnement idéal pour développer de nouvelles pratiques pédagogiques liées à l’IA ? Alain Joyeux, le président de l’APHEC, le pense et l’a dit en avril dans les locaux de Neoma: « L’intégration des IA génératives dans nos pratiques pédagogiques est essentielle pour préparer nos étudiants aux défis de demain. Ces technologies ne se substituent pas à l’enseignement, elles permettent de gagner en efficacité à condition d’en maîtriser les limites. L’expertise des professeurs sera toujours irremplaçable mais l’utilisation de l’IA donne la possibilité d’aller plus loin dans le développement de nouvelles compétences analytiques et critiques chez les étudiants ».

Neoma et l’APHEC vont maintenant poursuivre leurs échanges sur les IA génératives.« Cet engagement se traduit dès à présent par une formation en ligne sur les IA génératives et leur prise en main, mise à disposition par NEOMA et accessible à tous les professeurs de CPGE membre de l’APHEC », complète Delphine Manceau.

Allez à la source ! Autrice en 2024 de l’article « La dissertation artificielle : l’IA perturbe-t-elle le cogito ergo sum ? » Agathe Mezzadri-Guedj, professeure de français en classe préparatoire au lycée Michelet de Vanves, a vu son approche des IA évoluer cette année : « J’ai arrêté de me concentrer sur le seul ChatGPT pour m’intéresser à Perplexity ou Mistral AI. C’est avec Mistral AI que j’ai les meilleures interactions mais les sources sont plus difficiles à trouver que sur Perplexity ». Surtout elle a aujourd’hui « plus conscience de ce qu’elle doit dire aux élèves » pour les guider dans leur utilisation des IA : « Le « recul critique » cela ne veut rien dire. Ce qu’il faut c’est se conforter en allant chercher à la source d’où viennent les informations ». Il faut mieux car on a parfois des surprises : « Je me suis rendu compte en interrogeant Perplexity sur les « poètes romantiques et l’idéalisation ou non de la femme » que l’IA avait fait un contre sens total en lisant la 4ème de couverture d’un livre. De même Llama4 avait inventé une citation d’Alfred de Musset. On délègue mieux aux IA dans son domaine de compétences. J’ai les épaules pour critiquer une réponse. Pas les étudiants ! C’est un peu comme un médecin et un profane qui utiliseraient Doctissimo avec des connaissances bien différentes des corpus ».

Alors qu’elle ne donne plus depuis très longtemps de devoirs à réaliser à la maison à ses élèves, Agathe Mezzadri-Guedj préfère leur indiquer les thèmes de 40 à 50 sujets de dissertation qu’elles est susceptible de leur demander en cours pour qu’ils les soumettent aux IA « sachant que ces dernières ne sont pas encore capables d’écrire une dissertation de très bon niveau. En littérature et philosophie, les IA se fondent sur un petit nombre de grands textes. On retrouve des extraits des « Misérables » dans toutes les dissertations ».

Le MESR partenaire de Mistral AI. Le ministère chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR) et l’Agence de mutualisation des universités et établissements (AMUE) ont lancé cette semaine un partenariat d’innovation avec Mistral AI visant à développer un agent conversationnel intelligent, conçu pour « répondre aux besoins spécifiques des étudiants, enseignants et personnels administratifs de l’enseignement supérieur ».

En septembre 2025, plus de 3 000 utilisateurs issus de 21 établissements pilotes expérimenteront cette solution. Ce test grandeur nature permettra d’explorer trois cas d’usage prioritaires :

  • Accompagner les étudiants grâce à un tuteur virtuel personnalisé ;
  • Soutenir les enseignants dans la préparation de leurs cours et le suivi pédagogique ;
  • Faciliter les tâches administratives des agents, notamment la rédaction de documents ou de réponses aux usagers.

À terme, l’objectif est de déployer cet outil dans 180 établissements d’enseignement supérieur et de recherche sur l’ensemble du territoire.

Quels usages pour les enseignants ? Les usages pédagogiques des IA vont bien au-delà de la recherche d’informations ou l’écriture d’articles pour les professeurs. Il peut s’agit de la génération rapide de supports variés (QCM, dissertations, synthèses, exercices corrigés), de l’automatisation de la correction dans certaines disciplines (surtout si elle ne recourent pas à l’écriture manuscrite), de la personnalisation des parcours d’apprentissage selon les besoins des étudiants ou encore de la création d’activités interactives (débat, brainstorming, quiz en temps réel). « L’IA a de nombreux usages pour moi, qu’il s’agisse de préparer des cours inversés, des cours audios, de sortir un script d’une durée idéale ou de démultiplier mes cours ou mes exercices pour s’adapter à ce qui a été compris ou pas. Je l’ai aussi utilisé pour, avoir pris une copie en photo, la modifier légèrement pour la présenter aux élèves qui préfèrent ne pas travailler sur leurs propres copies », explique encoreFatima Aït Saïd, professeure de chaire supérieure en sciences économiques et sociales au Lycée Saint Louis de Gonzague.

Pour rendre ses cours plus vivants,cette dernière utilise également Wooflash et Quiz Wizard pour générer des QCM et des flashcards, parfois à partir de vidéos : « Beaucoup d’élèves tapent leurs cours et c’est un bon exercice de mettre ces cours dans l’appli pour qu’ils puissent en sortir des exercices et vérifier qu’ils ont bien compris les définitions. Ils peuvent aussi interroger l’IA comme s’ils étaient professeurs ». Et elle les incite à se rendre sur character.ai pour rencontrer des personnalités réelles virtuellement reconstituées afin de discuter avec de grands économistes comme John M. Keynes ou Milton Friedman…

Quelle évaluation à l’ère des IA ? Dans son « cas d’usage » le ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche estime qu’il faut « adapter les devoirs et les modalités d’évaluation » en :

  • mettant au premier plan le raisonnement et la résolution de problème ;
  • expliquant aux élèves que l’utilisation d’une IA générative pour réaliser un devoir scolaire, sans autorisation explicite et sans travail personnel d’appropriation, constitue une fraude ;
  • évitant d’utiliser des logiciels de détection de contenus générés par l’IA : peu fiables, ils pourraient conduire à pénaliser à tort un élève.

« La question que nous nous posons est comment les IA peuvent aider l’humain, depuis le primaire jusqu’aux seniors. Il faut laisser aller toutes les dérives d’usage pour les comprendre et adopter d’autres postures », explique Didier Paquelin, professeur titulaire de la Chaire de Leadership en pédagogie de l’enseignement supérieur de l’Université Laval du Québec, qui conduit depuis plus d’une trentaine d’années des études et des recherches sur la transformation des pratiques d’enseignement et d’apprentissage en contexte numérique.

Et le point central à travailler selon lui c’est l’évaluation : « A l’université de Laval nous tenons à maintenir des devoirs à domicile. Mais faut-il seulement rabâcher ce que dit le professeur ? Les changements dans les pratiques ne sont durables que si les évaluations sont modifiées. Des évaluations qui sont garantes du fonctionnement du système. Parce que le moment où on apprend c’est l’évaluation. C’est le moment auquel je fais appel à ce que j’ai appris pour aller chercher ce que j’ai compris. Pour résoudre. C’est bien différent de la simple mémorisation ». Selon lui « il faut pouvoir donner une place aux IA. Les utiliser pour se donner du temps long. Mettons de l’énergie à repenser les évaluations. Il y un vrai déficit de formation pédagogique en France – je le sais, j’y ai enseigné quinze ans – et de scénarisation ».

  • A lire pour aller plus loin :

L’article d’Alain Goudey : L’intelligence artificielle générative bouscule la prépa : retour sur une conférence nécessaire

L’article d’Agathe Mezzadri-Guedj La dissertation artificielle : l’IA perturbe-t-elle le cogito ergo sum

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