Comment augmenter les droits d’inscription dans les écoles d’ingénieurs ?

by Olivier Rollot

Récente contribution de l’Institut Montaigne (Métiers de l’ingénieur : démultiplier nos ambitions), volonté d’Elisabeth Borne de former plus de femmes ingénieures en instituant des quotas en classes préparatoires, colonté tout simplement d’augmenter les tailles des promotions la question de la formation des ingénieurs et au cœur des politiques publiques. Mais avec quels moyens ? La Cdefi (Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs) se prononce cette semaine sur l’augmentation des droits d’inscription dans les écoles. L’occasion de se plonger également dans les chiffres de ces mêmes écoles. (Photo : Arts et Métiersà

Augmenter les droits d’inscription ; ce que dit la Cdefi

Dans un communiqué la Cdefi rappelle qu’alors que « la filière ingénierie est confrontée à des défis sans précédent (…) de manière paradoxale, aujourd’hui, les écoles d’ingénieurs publiques subissent des contraintes qui brident fortement leur capacité d’action, au moment crucial où elles doivent accélérer ». Et d’appuyer là où ça fait mal : « Diversifier les viviers de recrutement et rester inclusives, adapter les programmes de formation, consolider la qualité de l’environnement de travail et de vie des élèves tout en ayant la capacité d’accueillir plus d’apprenants : tout cela nécessite un renforcement global des ressources des écoles ».

Si la « subvention pour charges de service public est une composante essentielle et doit le rester » la Cdefi « soutient la mise en place de la modulation des droits d’inscription dans les écoles d’ingénieurs publiques, associée à quelques grands principes établis par l’État pour encadrer cette régulation d’un nouveau type ». Selon elle les « écoles dans toutes leurs diversités doivent pouvoir choisir le modèle adapté à leur structure et à leurs viviers, en restant en deçà d’un plafond établi par l’État, correspondant à une fraction du coût réel de la formation, tout en demeurant fidèle à la mission de service public qui leur est inhérente ».

Sans remettre en question les pratiques d’exonérations pour situations particulières, notamment l’exonération totale pour les boursiers, ainsi que les politiques d’attribution de bourses d’études, un « cadrage officiel émanant du ministère, permettant la modulation des droits selon les principes ci-dessus, avant fin juillet 2025, permettrait la mise en œuvre des actions opérationnelles préparatoires à la rentrée 2026, notamment le positionnement des conseils d’administration des établissements »

Oui mais à quel montant ? Et avec quelles exonérations ?

Aujourd’hui, si on excepte les double diplômes de CY Tech, CentraleSupélec mène la danse des écoles publiques sous tutelle du MESR avec des frais de 3 500€ par an pour les étudiants français et communautaires non boursiers. On monte à 4 150€ pour les étudiants de Mines Paris, école publique la plus chère globalement alors que, dans les écoles privées, l’ESTP cumule à 9 450€ par an. L’ensemble des écoles vise au moins le montant de CentraleSupélec mais espère pouvoir aller jusqu’à 10 000€ . Elles s’appuient en cela sur un outil du MESR qui leur a permis de calculer leurs coûts. De plus beaucoup d’écoles ont commencé à demander à leurs étudiants quels étaient les revenus de leurs parents. Elles attendent maintenant un cadrage du MESR pour un montant maximum et minimum.

Le tout avec tout un système de bourses afférent selon les revenus des parents. Là aussi un modèle doit être trouvé. « Toutes les écoles ne peuvent pas moduler leurs droits comme Sciences Po ou CentraleSupélec car elles n’ont pas la même sociologie d’étudiants », rappelle Emmanuel Duflos, le président de la Cdefi et directeur général de l’EPF, bien conscient que les ressources tirées d’une éventuelle augmentation des droits de scolarité varierait largement d’une école à l’autre en fonction des CSP des parents.

Le tout avec une crainte qu’expriment certaines écoles : que ces nouveaux financements ne viennent faire que compenser des baisses de contribution pour charges de service public. Les écoles souhaiteraient donc que l’argent ainsi apporté leur permette d’ouvrir des postes.

L’estimation des recettes supplémentaires que propose l’Institut Montaigne pour chaque niveau de formation. Pour les écoles d’ingénieurs, le groupe de travail a pris l’hypothèse d’une moyenne des frais de scolarité de 4 000 € (Source : Dgesip / Tableau : Institut Montaigne)

Écoles d’ingénieurs : la progression des effectifs se tasse

Ces débats interviennent alors que leseffectifs des écoles d’ingénieurs commencent à suivre une courbe certes en hausse mais qui se tasse et même baisse selon le MESR. On dénombrait au cours de l’année 2023-2024 un effectif total d’environ 257 000 apprenants dans les écoles d’ingénieurs, dont plus de 203 000 étaient inscrits en formation d’ingénieur pour 4 200 en cycle Bachelor en sciences et ingénierie, selon le Panorama 2025 des écoles d’ingénieurs que vient de publier la Cdefi. Une progression de 3,1% en un an quand le SIES parle au contraire d’une baisse de 2,2%. « Nous ne trouvons pas les mêmes chiffres que le SIES et nous en discutons avec eux. Il semble que les établissements ont du mal à faire remonter les effectifs de prépas intégrées. De plus le MESR fait peut-être remonter plus de statistiques des ministères techniques ? », s’interroge Emmanuel Perrin, directeur de Polytech Lyon et responsable de la collation de ces data. La progression est particulièrement forte dans les écoles internes aux universités (plus de 7%) mais se tasse ailleurs. En 2023 ont ainsi été diplômés 48 700 étudiants soit 3 000 de plus que les entrants de 2024 en cycle ingénieur.

Évolution du nombre de diplômés en 2023 / FISE : formation initiale sous statut d’étudiant / FISA : formation initiale sous statut d’apprenti / FC : formation continue / INT : école interne à une université / EXT : école externe / PRIV : école privée (Tableau : Cdefi)(Sources : Cdefi, CTI , SIES / Tableau : Cdefi)

Les écoles externes et internes à une université sous tutelle du MESR regroupent 54 % des apprenants en formation d’ingénieur, un pourcentage qui est en baisse de six points par rapport à l’année précédente, suivies des écoles privées (31 %) et des écoles externes sous tutelle d’un autre ministère dit « technique » (15 %). Près de 21 % des inscrits en formation d’ingénieur suivent une formation initiale par voie d’apprentissage soit une hausse de 4 points en un an. À la rentrée 2024, les écoles répondantes ont indiqué avoir intégré en 1re année de cycle ingénieur près de 11 500 nouveaux apprentis, dont environ de 47 % dans des écoles (externes et internes) sous tutelle du MESR (- 3 points en un an) et 44 % dans les écoles privées (+ 2 points).

Les femmes représentent 32 % de l’ensemble des apprenants en écoles d’ingénieurs : 29 % en formation d’ingénieur, 30 % en BSI (bachelors) et même 40 % dans les autres formations (master, Master of Science, Mastère spécialisé, diplôme d’établissement, etc.). Elles sont majoritaires en chimie ou agriculture.

Répartition des effectifs et part de femmes en cycle ingénieur selon le domaine de formation (Source : SIES / Tableau : Cdefi)

Environ 19 000 bacheliers ont été admis dans les écoles françaises d’ingénieurs à la rentrée 2024. Comme l’année précédente, plus de la moitié des nouveaux entrants en formation d’ingénieur en première année d’études intègrent une école privée. Des écoles privées qui sont plus susceptibles que les autres de recruter des bacheliers aux profils divers, notamment ceux qui n’avaient pas choisi de spécialité « maths + science » ou ceux qui n’avaient pas choisi les maths. Les enseignements de spécialité les plus couramment suivis en terminale forment la doublette « mathématiques + physique », qui rassemble 60 % du total des admis (83% avec mathématiques et une autre science).

Les écoles d’ingénieurs comptent 47 000 nouveaux inscrits à la rentrée 2024 en cycle ingénieur. Une forte remontée alors que, à la rentrée 2023 avec la mise en place du BUT, le nombre de nouveaux entrants en 1re année du cycle ingénieur atteignait environ 42 300 inscrits.Parmi les nouveaux inscrits 2024 la part provenant d’une CPGE diminue tendanciellement au profit de ceux qui ont suivi un cycle préparatoire intégré à une école. Ainsi, à la rentrée 2024, les apprenants intègrent désormais

Évolution de l’origine des admis en 1re année de cycle ingénieur entre la rentrée 2019 et la rentrée 2023 (Tableau : Cdefi)

Les données internationales de l’étude montrent que 86 écoles d’ingénieurs sont impliquées dans des campus à l’étranger, majoritairement en Chine. Si 20% des étudiants dans les écoles d’ingénieurs sont étrangers, soit plus de 47 400, ils représentent seulement 15% des diplômés en raison de la forte présence des étrangers en doctorat. 4 600 thèses ont ainsi été soutenues dans les écoles d’ingénieurs en 2023. Durant l’année 2023-2024, ce sont près de 18 000 doctorants qui étaient encadrés par au moins un enseignant-chercheur rémunéré par une école d’ingénieurs.

En résumé les écoles d’ingénieurs se portent bien mais se porteraient bien mieux si on leur en donnait les moyens. La balle est clairement aujourd’hui dans le camp d’une Elisabeth Borne qui a bien signifié récemment dans un entretien à Educpros qu’elle ne souhaitait pas que les frais universitaires augmentent… « à ce stade ».

Related Posts

Leave a Comment