Écoles d’ingénieurs d’élite : pourquoi si peu de femmes ?

by Olivier Rollot

A la rentrée dernière la baisse avait causé un choc : seulement 16 % de femmes étaient admises à l’école polytechnique contre 21 % en 2023. Une chute qui a interpellé la ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Elisabeth Borne, au point de la faire envisager d’instaurer un quota de 30% de femmes dans les classe préparatoires scientifiques. Aujourd’hui une note de l’Institut des politique publiques s’interroge : Comment expliquer la sous-représentation des femmes dans les écoles d’ingénieurs les plus sélectives ?

En prépa une inversion progressive de l’écart de performance entre les femmes et les hommes. La faible proportion de femmes admises dans les écoles les plus sélectives pourrait s’expliquer par deux types de facteurs : des écarts de performance (avant ou pendant la CPGE, ou au moment du concours), ou des différences de préférences quant aux concours présentés ou au choix d’affectation. Les analyses de l’IPP permettent d’écarter à la fois le rôle des préférences et celui des performances avant l’entrée en CPGE comme causes principales, car ces facteurs « jouent en réalité en faveur des femmes ». Les femmes inscrites en CPGE scientifiques ont en effet obtenu en moyenne de meilleurs résultats au baccalauréat : 59 % ont décroché une mention « très bien », contre 47 % des hommes.

Le cœur de l’explication résiderait dans une « inversion progressive de l’écart de performance entre les femmes et les hommes au cours des années de classe préparatoire, notamment dans les filières les plus sélectives et compétitives, les classes étoile ». Les femmes sont sur-représentées dans les écoles d’ingénieurs les plus sélectives qui recrutent directement après le baccalauréat – 45% à l’Insa Lyon soit une hausse de 15% ces dix dernières années – mais sous-représentées dans les écoles les plus sélectives recrutant sur concours, notamment parmi les 10% les plus sélectives.

Un deuxième facteur explicatif réside dans le choix des CPGE et des filières. À performances scolaires équivalentes, les femmes s’orientent vers des classes préparatoires qui, en moyenne, envoient moins d’élèves dans les écoles d’ingénieurs les plus sélectives. Cette différence d’orientation explique environ 36 % de la sous- représentation des femmes

Les écarts se jouent enfin lors de l’admission en classe étoilée en fin de première année qui sélectionnent plus d’hommes que de femmes. En intégrer une ouvre en effet des perspectives d’intégration nettement plus élevées dans les écoles d’ingénieurs les plus sélectives : la probabilité d’intégrer une école du top 10 est de 6% en classe non étoilée, contre 39% en classe étoilée.

Des disparités de genre face aux examens à forts enjeux. La littérature en économie expérimentale a mis en évidence des disparités de genre face aux examens à forts enjeux. Plusieurs études ont ainsi montré que les femmes ont tendance à sous-performer lors de ces épreuves décisives par rapport à leurs résultats au contrôle continu, en particulier dans des disciplines perçues comme masculines, telles que les mathématiques. Ce phénomène, désigné par les auteures de l’étude comme l’« effet examen du jour J », impacte négativement les trajectoires éducatives des étudiantes.

Deux autres effets, plus marginaux, complètent l’analyse. À résultats équivalents en fin de CPGE, les femmes s’inscrivent un peu moins souvent aux concours les plus sélectifs. Cette différence dans le choix des concours explique 10 % de l’écart observé. Les femmes redoublent également moins souvent la deuxième année de CPGE, ce qui explique 8 % de l’écart dans l’accès aux meilleures écoles.

Comment repenser les concours ? Selon les auteures de l’étude de l’IPP améliorer la représentation des femmes dans les écoles les plus sélectives suppose de « repenser l’organisation de ces processus de sélection (…)  Des recherches complémentaires sont toutefois nécessaires pour évaluer si ces processus de sélection reflètent réellement les compétences requises pour réussir dans les filières scientifiques les plus exigeantes. Si la capacité à performer sous pression n’est pas essentielle à la réussite académique et professionnelle, alors le fonctionnement actuel des CPGE scientifiques pourrait être sous-optimal, en écartant de manière injustifiée une partie des talents féminins les plus prometteurs ».

Une réflexion reprise dans d’autres processus d’admission. En 2024 le concours Accès d’admission dans trois écoles de management postbac a ainsi décidé de prendre en compte les dossiers scolaires des candidats et de mettre en place les « grands admissibles » qui, au vu de leur dossier, passent directement aux épreuves orales sans avoir à passer les épreuves écrites. Comme l’explique Caroline Roussel, directrice de l’Iéseg, l’une des trois écoles du concours, « cela correspond à un double objectif. D’abord, avoir une vision plus dynamique des années de formation. Le concours a la vertu de mettre tous les candidats à égalité un jour donné, mais il ne valorise pas leur travail sur le long terme. Ensuite, amener davantage de féminisation : trop de jeunes femmes, qui ont pourtant bien le niveau voulu en mathématiques pour intégrer l’Iéseg, ont tendance à s’autocensurer lorsqu’il s’agit d’un concours. Nous pensons que la prise en compte du dossier scolaire va avoir un effet positif ».

  • La note de l’IPP s’appuie sur une base de données inédite, construite à partir d’un appariement entre les données administratives exhaustives du Service de concours écoles d’ingénieurs, des données administratives du ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, ainsi que de données collectées auprès de 18 classes préparatoires scientifiques en France métropolitaine couvrant la période 2015-2023.

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