A l’occasion de la journée de la femme écoles et universités ont organisé de très nombreuses rencontres pour inciter les filles à se projeter dans toutes les carrières. L’occasion de faire le point sur leur orientation, leurs inhibitions et leurs qualités. Notamment lorsqu’il s’agit de diriger une entreprise.
Grenoble INP organisait hier, 7 mars, une journée « Femme Ingénieure » pour promouvoir ses métiers auprès des jeunes femmes. « Les femmes sont un vivier de progression extrêmement fort pour nos écoles. Et dans tous les domaines », explique ainsi Brigitte Plateau, administrateur général du groupe Grenoble INP et première femme à diriger un ensemble qui compte six écoles d’ingénieurs et de très nombreux laboratoires de recherche : « Les filles doivent prendre conscience de leur valeur ! ».
Ambitions, inhibitions, tout remonte à loin dans la construction de l’identité avec des effets à long terme. « Si 30% des entreprises sont créées par les femmes en France, elles ne sont plus que 9% à diriger des entreprises de plus de 10 salariés et 4% dans le high-tech », regrette ainsi Renaud Redien-Collot, directeur des affaires internationales de Novancia qui organisait cette semaine un séminaire dédié à l’entrepreneuriat féminin.
Les sciences (dure) toujours boudées
En dépit de toutes les campagnes de promotion comme « Tu seras ingénieure », les femmes restent bien à l’écart de la plupart des filières scientifiques, médecine et biologie exceptée. S’il n’y avait pas des écoles d’ingénieurs agronomes, dans lesquelles elles représentent parfois 80% des effectifs, les écoles d’ingénieurs seraient bien en deçà du quart d’effectifs féminin (27% très précisément) qu’elles revendiquent aujourd’hui. Pour Brigitte Plateau c’est d’abord un problème de représentation : « Je suis moi-même informaticienne et, quand j’ai commencé mes études, il y avait autant de femmes que d’hommes. Ensuite tout a changé avec l’image du geek asocial puis l’idée que l’informatique allait se délocaliser. Mais croire que l’informatique, ou d’ailleurs l’électronique, n’est pas faite pour les femmes relève de l’ordre de l’irrationnel ».
La journée organisée par l’INP était justement là pour démontrer que leur insertion était bonne et qu’on peut aujourd’hui concilier vie professionnelle et vie privée dans l’entreprise. Et même en créer ! « Les femmeshésitent encore beaucoup à se lancer dans l’aventure de la création d’entreprise quand beaucoup d’hommes comptent eux sur leur femme, qui reste salariée, pour prendre le risque », analyse Renaud Redien-Collot. D’autant que les incubateurs d’entreprise sont souvent consacrés aux entreprises technologiques alors que les femmes créent encore majoritairement leurs entreprises dans les services.
Où s’orientent les filles ?
Si 55% des étudiants sont des étudiantes la féminisation des filières d’enseignement supérieur reste très inégale. Ainsi, les femmes sont majoritaires à l’université avec plus de 59% des effectifs toutes filières confondues mais ne sont que 40% dans les IUT et 42% en classes préparatoires (75% en lettres, 55% en économie mais seulement 30% en sciences). En BTS, elles représentent un plus de la moitié des effectifs et sont largement plus nombreuses dans les services (69%) que dans la production (41%).
A l’université si c’est en langues (75%) qu’elles atteignent la proportion la plus importante, elles sont également les plus nombreuses dans les disciplines les plus prestigieuses que sont la médecine-odontologie et le droit (près de 65%) alors qu’elles sont très minoritaires en sciences fondamentales (30%).
- Source: DEPP, «Filles et garçons sur le chemin de l’égalité, de l’école à l’enseignement supérieur», 2012
Où travaillent les filles ?
Même quand elles vont dans les mêmes écoles, les filles n’en sortent pas avec les mêmes salaires que les garçons lit-on dans la dernière enquête d’insertion publiée par la Conférence des Grandes écoles (CGE) et portant sur les diplômés 2011. Mais si elles sont en moyenne moins payées c’est aussi parce qu’elles se dirigent vers des postes ou des secteurs moins rémunérateurs que les hommes. « A poste égal dans un secteur égal, il n’y a pas de différence », souligne ainsi Florence Darmon, la directrice d’une école d’ingénieurs parmi les plus réputées, l’ESTP, spécialisée dans le bâtiment et les travaux publics, qui constate ainsi que ses jeunes diplômées s’orientent plus « dans les fonctions de bureaux d’études que de chantiers » alors que ces dernières sont mieux rémunérées en moyenne.
Chez les managers, les hommes sont ainsi 10,4% à choisir d’aller dans les institutions financières, les banques et les assurances pour 6,4% des femmes (chez les ingénieurs, la proportion est de 3,5% et 1,1% des femmes dans le même secteur). Au contraire, 2,6% des femmes ingénieurs vont dans l’industrie agro-alimentaire pour 1,6% des hommes ; 2,1% des femmes managers choisissent les agences de communication pour 1,2% des hommes, etc.
Résultat : quels que soient le lieu de travail et le type d’école, les écarts salariaux annuels entre hommes et femme sont, en moyenne, d’un peu plus de 3 000 € (35 134 € contre 38 355 € primes comprises). Un différentiel qu’on retrouve aussi bien chez les ingénieurs (37 193 € pour les hommes, 34 352 € pour les femmes) que les managers (respectivement 42 012 € et 36 251 €).
Quel type d’entreprise créent-elles ?
« Lorsqu’elles créent leur entreprise, les femmes le font le plus souvent par nécessité (temps partiel douloureusement subi, suppression d’emploi, etc.) que par opportunité », explique Renaud Redien-Collot. Elles préfèrent d’ailleurs se tourner vers des solutions de financement rapides – un peu précaires mais souvent originales – que d’aller lever des fonds. Il faut encore lever beaucoup d’inhibitions et de barrières pour arriver au taux des États-Unis : 48 à 52% des créations d’entreprise y sont dues aux femmes. Un taux qu’on retrouve d’ailleurs sensiblement en Afrique subsaharienne quand, dans toute l’Europe, l’entrepreneuriat au féminin reste très minoritaire.
Parce qu’elles interagissent mieux et trouvent plus facilement les outils hors de la présence d’hommes, Renaud Redien-Collot tient justement à délivrer des formations spécifiques aux femmes qui se destinent aux fonctions de direction. Une volonté qui lui vaut bien des critiques. « Le système laïc a fait sa révolution dans la mixité et ne s’intéresse guère aux questions de genre en dehors de quelques colloques. Or la majorité des formations à l’entrepreneuriat sont toutes calibrées pour des hommes d’une quarantaine d’années qui ont envie de créer leur entreprise. Avec la montée en puissance des start up, beaucoup d’efforts ont été fait pour s’intéresser aux jeunes ces vingt dernières années. Aujourd’hui, accueillir les femmes entrepreneures est un enjeu auquel nous ne sommes pas encore prêts. »
Quels managers sont-elles ?
Encourager les femmes à créer leur entreprise ou à devenir dirigeantes pourrait être source de bien des progrès dans le monde économique. Puisqu’aucune femme ne dirige aujourd’hui une entreprise du CAC 40, le fonds d’investissement Women Equity For Growth, dont Renaud Redien-Collot préside le conseil scientifique, a ainsi mené une étude sur les femmes dirigeantes de PME : « Nous avons constaté qu’elles travaillaient sur un modèle « polyphonique », c’est-à-dire qu’elles aplanissent les codes hiérarchiques pour être certaines d’avoir la bonne réponse à la question qu’elles se posent. Les femmes dirigeantes ont une capacité à prendre conseil en interne beaucoup plus forte que celle des dirigeants masculins ». Autres conclusions de l’enquête : elles ne sont non plus pas à la recherche de grands labels et de reconnaissance et travaillent plus dans la continuité que les hommes qui sont eux obsédés par la rupture. « Les hommes auraient tout intérêt à se pencher sur des stratégies qui génèrent de la croissance sans pour autant faire diminuer le nombre de postes ou passer par des manipulations comptables », analyse Renaud Redien-Collot.
La volonté de maintenir la motivation en donnant une certaine joie de vivre dans leur entreprise semble bien être au centre du management au féminin « Elles savent traiter le changement sans le faire de la manière « héroïque » propre aux dirigeants masculins. Les hommes adorent trouver une « hyper solution » quand les femmes s’en méfient. Elles sont pragmatiques mais sans le défaut d’être rivées sur la faisabilité des décisions. Elles vont plus loin mais en s’assurant toujours que la motivation est conservée. »
Olivier Rollot (@O_Rollot)