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Pépite France : « Notre métier c’est d’être des révélateurs de talents »

Alain Asquin, coordinateur national du plan Esprit d’Entreprendre et du réseau Pépite France.

 A l’origine le statut d’étudiant entrepreneur (SNEE) avait été créé pour aménager les études des étudiants qui avaient le projet de lancer une entreprise. 10 ans après le réseau Pépite France propose bien d’autres actions. Les explications d’Alain Asquin, coordinateur national du plan Esprit d’Entreprendre et du réseau Pépite France qu’opère la Fnege (Fondation nationale pour l’enseignement de la gestion des entreprises).

Olivier Rollot : Il y a maintenant 10 ans que le dispositif de soutien aux étudiants créateurs d’entreprise, Pépite France, a été créé. Qu’est-ce qui a évolué dans votre action ?

Alain Asquin : Nous avons fortement élargi le spectre des formes d’entrepreneuriat comme des profils d’entrepreneurs pris en charge. Nous incluons la création d’entreprise ou de structures associatives, mais aussi l’intrapreneuriat qui permet d’entreprendre et d’innover au sein de structures existantes. Nous cherchons à toucher tous les publics, y compris ceux qui n’ont jamais envisagé l’entrepreneuriat ou qui sont « empêchés » par des freins culturels ou familiaux. Enfin, nous assumons pleinement que tous les étudiants que nous soutenons ne deviennent pas créateurs d’entreprise. Ce que nous attendons d’eux c’est de révéler leur talent créatif et d’oser la prise d’initiative pour être acteur de la société.

Ce dernier point est caractéristique du terme esprit d’entreprendre. Cela se travaille dès les premières années d’études, plus seulement en fin de cursus comme à l’origine de Pépite. Pour cela nous leur proposons de travailler sur des défis ou des hackathons en complément de leurs cours habituels, pour expérimenter les pratiques de résolution de problème en allant chercher les connaissances nécessaires pour passer chaque étape.

Ce qui plait beaucoup aux étudiants c’est que c’est défis sont intégrés dans un contexte ludique. Cela permet notamment de faciliter l’apprentissage de ceux qui sont parfois mal à l’aise dans un contexte plus académique. Les intervenants travaillent avec eux dans une logique d’accompagnement et non de sachant, ce qui faire vivre un autre rapport à leur université ou à leur école. Les travaux de groupe sont aussi l’occasion de faire naitre de superbes histoires d’amitiés entre des étudiants qui ne se connaissaient pas.

L’important c’est que les étudiants s’autorisent à être créatifs et à défricher, à expérimenter dès leurs premières années de cours. Ainsi l’université prépare les esprits à identifier des situations à enjeux, à aborder positivement la résolution de problème et à identifier et mobiliser les connaissances nécessaires lorsqu’ils ne les maîtrisent pas directement. Le statut d’étudiant entrepreneur sera proposé à ceux qui choisirons la voie d’un projet de création d’activité.

O. R : Comment portez-vous ces dispositifs dans les universités et les Grandes écoles ?

A. A : Chaque territoire universitaire a créé un pôle dédié à l’entrepreneuriat étudiant, dans lequel se regroupent les établissements du site, dans leur grande diversité. Il y a 31 pôles, les pôles étudiants pour l’Innovation le transfert et l’entrepreneuriat (Pépite) avec 100 implantations, que ce soit dans les grandes métropoles mais aussi dans de nombreuses villes universitaires. Dans ces établissements, les gouvernances ont nommé 700 référents qui sont les interlocuteurs des Pépite. Ils présentent les initiatives, organisent des actions de sensibilisation et supervisent le parcours des étudiants notamment pour assurer la compatibilité du parcours de chaque étudiant entrepreneur avec son parcours d’études.

Ce sont ainsi près de 6 000 étudiants que nous accompagnons chaque année avec le statut d’étudiant entrepreneur, et 40 000 depuis 10 ans. Pour donner des chiffres globaux, 25% des SNEE sont issus des écoles d’ingénieurs, 24% en économie-gestion, 3,5% en écoles de commerce et les autres dans toutes les formations universitaires. 80% sont étudiants et le restent avec le statut mais nous avons aussi 20% qui redeviennent étudiants après avoir obtenu leur diplôme, et peuvent se consacrer à 100% à leur projet grâce à un programme spécifique, le diplôme d’étudiant entrepreneur.

Ces volumes d’accompagnement nous ont conduit à faire naitre de nouveaux métiers au sein des établissements. Pour cela une école interne forme nos 240 collaborateurs.

O. R : Qu’apporte exactement Pépite aux étudiants entrepreneurs ?

A. A : Avec notre dispositif les étudiants entrepreneurs disposent de lieux de co-working et d’un mentorat délivré par nos équipes avec l’appui un vivier 3 000 mentors qui sont des entrepreneurs ou dirigeants expérimentés. Nous proposons des aides au prototypage, dont les formules peuvent varier selon les pôles, une certification des compétences acquises, des programmes de mobilité internationale, la participation à des salons (Go Entrepreneurs, BIG, Vivatech…) et des prix (prix Pépite et pour nos Alumni le prix Pépites des Pépite) et la connexion avec les écosystèmes entrepreneuriaux, et notamment les réseaux de Cap Créa mais aussi les incubateurs et réseaux locaux.

Pour rappel, l’obtention du SNEE est totalement gratuite et pour les jeunes diplômés qui redeviennent étudiants pour entreprendre, ils doivent simplement payer le coût d’une inscription universitaire pour le diplôme d’étudiant entrepreneur.

Les étudiants ont aussi la possibilité demander des aménagements de leurs études et par exemple de réaliser le stage obligatoire de leur cursus dans leur propre entreprise à condition que cela corresponde à leur formation. Le statut peut être renouvelé plusieurs fois pour peu que nos comités d’engagement valident la progression du projet et l’engagement de l’entrepreneur. Les étudiants-entrepreneurs ont des rythmes différents, notamment ceux qui sont encore étudiants et l’agenda n’est pas toujours celui qu’ils envisageaient.

Entreprendre est un processus complexe dans lequel on se construit avec les projets qu’on mène. Cela nécessite du temps, les personnes changent, comme leurs projets. Les entrepreneurs qui ont mené à terme leur première idée d’entrepreneuriat sont rares. C’est pour cela que nos comités d’engagement ne jugent pas l’entrée au SNEE mais sur la validité d’un projet qui, par définition est naissant. Nous évaluons avant tout la sincérité et l’engagement des étudiants, et c’est bien cela qui est pris en compte lors des renouvellements

O. R : Et après avoir été étudiant entrepreneur comment passe-t-on au stade suivant ?

A. A : Nous sommes connectés avec de nombreux acteurs de l’écosystème entrepreneurial, publics comme privés. Nous sommes par exemple membre du collectif Cap Créa initié par Bpifrance, qui réunit les grands réseaux d’accompagnement français et au sein desquels nos entrepreneurs circulent ensuite.

Il n’est plus à démontrer que de nombreux très beaux projets ont été initiés par de très jeunes entrepreneurs pendant leurs études. Les réseaux nous voient comme des tiers de confiance. Si des projets ont abouti au sein d’un Pépite, c’est un très bon signe pour eux, cela facilite leur analyse qui, sinon, se fait sur des éléments à un instant T. Nous pouvons attester de la qualité d’un parcours, d’attitudes et d’engagements difficile à saisir. Mais ils sont tout de même là aux pitch des étudiants-entrepreneurs et lors des démo-days.

Nous voyons ainsi nos étudiants progresser dans les différents réseaux en les préparant à être accompagnés sachant que la phase de passage à l’échelle des projets intervient en aval de notre action. C’est important pour nous de garder le lien avec nos alumni pendant les premières années de leur projet.

Nous sécurisons les conditions de la bascule vers la création d’entreprise mais c’est un métier mal connu car ce sont plutôt les incubateurs qui prennent la lumière lors des phases plus visibles de croissance ou plus visibles de levée de fonds. Mais c’est bien à nous que revient la responsabilité de dénicher les talents qui continueront de s’épanouir dans d’autres réseaux.

O. R : Quel pourcentage de vos étudiants devient effectivement entrepreneur tout de suite après sa formation ?

A. A : En moyenne 21,4% des étudiants entrepreneurs qui ont le statut créent leur entreprise dans les deux ans (nos enquêtes portent sur l’année d’accompagnement et les deux années qui suivent). Sur une année type cela ne fait pas moins de 1 200 créations d’entreprises qui génèrent en moyenne 2,4 emplois. Pour les autres ça peut prendre plus de temps (création dans le domaine de la santé par exemple) ou si le projet n’a pas réuni les conditions nécessaires, que le moment n’est pas propice. Cependant, 92% des répondants indiquent qu’ils entreprendront un jour.

Le SNEE est un révélateur, il ouvre un champ des possibles et démystifie l’entrepreneuriat. Notre métier c’est d’être des révélateurs de talents et de créer des compétences d’ailleurs inscrites au répertoire spécifique du RNCP (Répertoire national des certifications professionnelles). Ceux qui n’auront pas entrepris seront cependant très recherchés par les entreprises qui veulent intégrer des collaborateurs qui auront fait la démonstration de leur esprit d’entreprendre.

O. R : Dans quels secteurs d’activité se lancent plus particulièrement les jeunes aujourd’hui?

A. A : Tous les secteurs sont représentés car nos étudiants viennent d’une très grande diversité de formations. Nous constatons cependant que tous intègrent « nativement » les enjeux du développement durable. 69% des entrepreneurs au SNEE nous disent avoir intégré dans leur stratégie les objectifs du développement durable. Évidemment, l’innovation est une clé dans l’entrepreneuriat, simplement pour créer une différenciation et nos établissements d’enseignement supérieur sont en pointe sur le sujet. Cependant, les formes d’innovation mises en œuvre sont multiples, innovation d’usage, innovation commerciale, de modèle économique ou technologique…et surtout une combinaison de ces innovations.

Enfin, nous sentons un intérêt pour les produits, la fabrication voir des formes d’artisanat mais souvent par la mise en œuvre des innovations vues précédemment et pas seulement technologiques. Aujourd’hui les entrepreneurs vont de plus en plus chercher des compétences complémentaires à celles de leur cursus et c’est aussi notre rôle de les mettre en relation avec les entreprises et les formations dédiées.

O. R : Vous remettez également des prix. Le « Prix Pépite » mais également les « Pépites des Pépites » plus tard.

A. A : Le prix Pépite est le prix historique du réseau, organisé en partenariat avec Bpifrance. Nous réunissons toute notre communauté et nos réseaux partenaires. Au-delà des prix en numéraire et en accompagnement c’est une formidable mise en visibilité des projets et la présence de la ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche à chaque édition, montre l’importance de ce temps fort pour nos entrepreneurs. Ensuite nous avons un prix désormais pris en charge par les anciens lauréats des Pépite. Ils ont structuré leur réseau et ils sélectionnent chaque année avec un jury de partenaire cinq entreprises emblématiques qui illustrent ce dont sont capables ces jeunes après avoir été étudiants entrepreneurs. C’est très important de montrer à quelle vitesse les choses se concrétisent après le programme Pépite.

O. R : Vous ne vous intéressez qu’aux jeunes entrepreneurs ?

A. A : Aujourd’hui ils sont notre cœur de cible mais en tant qu’acteurs de la formation nous devons travailler sur les personnes qui veulent engager une reconvention professionnelle par l’entrepreneuriat. Notre certification professionnel permet de sécuriser ces parcours et de trouver des sources de financement de ces parcours.

O. R : Vous vous adressez en revanche déjà aux docteurs.

A. A : il y a toujours eu des jeunes chercheurs et notamment des doctorants dans les Pépite. Mais les choses s’accélèrent. Ces jeunes sont de la même génération que les autres et ils veulent être acteurs. Les compétences développées dans le cadre d’une thèse sont celles de la conduite d’un projet soumis à forte incertitude, sans garantie d’aboutissement, dans un contexte de forte compétitivité avec parfois disons-le, la nécessité d’être très créatif pour trouver les moyens nécessaires. Beaucoup de compétences qui font une belle expérience pour entreprendre.

Les responsables de laboratoire accueillent de manière plus favorable que par le passé ces perspectives. Nous proposons en amont du SNEE un programme aux jeunes chercheurs qui souhaitent se lancer dans l’entreprenariat avec le programme Starthèse qui fédère l’ensemble des programmes qui invitent les jeunes docteurs ou doctorants à penser des innovation à partir de leur expérience de thèse.

O. R : C’est un autre de vos succès : le statut s’est diffusé dans le monde.

A. A : La Belgique s’est très tôt emparée de l’idée. Ensuite avec l’Agence universitaire de la francophonie nous avons effectivement diffusé le statut dans les pays francophones. Burkina Faso, Cameroun, Congo, Côte d’Ivoire, Guinée, Liban, Maroc, Sénégal, Tunisie et l’ouverture du SNEE est programmée au Benin et à Maurice notamment.

O. R : Quels sont les grands conseils que vous pouvez donner à tous ces profils d’entrepreneurs ?

A. A : Je n’ai pas de conseil à leur donner, un conseil c’est toujours personnalisé et produit avec une grande humilité quand on sait ce que signifie entreprendre. Cependant j’aimerai insister sur un sujet général. On valorise beaucoup l’innovation elle-même, le produit, le service qui va être proposé par l’entrepreneur. Et évidemment il n’y a pas d’entrepreneuriat sans proposition de valeur nouvelle.

Cependant, le succès de l’entrepreneuriat tient fondamentalement dans la capacité à organiser les choses, à « exécuter » de manière efficace pour que le produit ou le service arrive vraiment dans les mains des clients et dans des conditions viables pour l’entreprise. Deux défis qui ne sont pas si simples à relever. Gérer un collectif c’est très compliqué et que le talent majeur qu’ils doivent avoir c’est de savoir organiser. Souvent, ce message est compris car il faut dépasser le « travail entre potes » en posant quelques limites.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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