Université pluridisciplinaire (médecine, droit, lettres, sciences économiques, etc.) recevant plus de 30 000 étudiants, l’université Paris-Est Créteil Val-de-Marne (UPEC) est engagée dans un mouvement de fusion avec l’université Paris-Est Marne-la-Vallée (UPEM). Son président, Luc Hittinger, revient sur les enjeux de cette fusion et, plus largement, sur l’actualité de son université.
Olivier Rollot (@O_Rollot): La fusion entre vos deux universités, qui devrait intervenir le 1er janvier 2017 et créer un ensemble de 41 000 étudiants (30 000 pour l’UPEC et 11 000 pour l’UPEM), est dans toutes les têtes sur vos campus. Vous pouvez nous en expliquer la genèse ?
Luc Hittinger : C’est une fusion un peu particulière puisque ce sera la première qui interviendra en Ile-de-France. Pour la comprendre il faut se reporter aux origines de l’université Paris-Est Créteil Val-de-Marne qui fut fondée il y a 44 ans pour accompagner la création et le développement de Créteil et de sa région. Il y a 21 ans on nous a demandé de créer des campus à Sénart et Fontainebleau qui accueillent aujourd’hui plus de 2500 étudiants. En 2007 l’intégration d’un IUFM (aujourd’hui école supérieure du professorat et de l’éducation, Espé) nous a amenés à travailler sur six sites supplémentaires et à parfaire notre capacité d’intégration.
Notre territoire s’est ainsi peu à peu élargi et, depuis 2007 avec la création des pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) et notamment celui d’Université Paris-Est, nous avons commencé à travailler avec l’université Paris-Est Marne-la-Vallée en créant six équipes de recherche communes. Depuis deux ans nous travaillons à la création d’une offre de formation commune qui aboutira à la rentrée à ce que 50% de nos licences, 32% de nos licences professionnelles et 45% de nos masters soient coaccrédités.
O. R : Mais un tel projet, aujourd’hui voté par les tous les conseils des universités, il faut aussi le faire passer auprès des personnels. Comment avez-vous procédé ?
L. H : Quand on commence à travailler ensemble sur un territoire partagé dans le cadre du PRES et aujourd’hui de la Comue (communauté d’universités et d’établissements) on entre dans un système qui nous a conduits à comprendre nos valeurs et nos objectifs communs. Nous avons donc mis en place un large processus d’information, de concertation et de dialogue des communautés des universités. Les étudiants et les personnels ont ainsi pu s’exprimer.
Avec l’UPEM, quelle que soit notre différence de taille, nous sommes vraiment dans un exercice de co-construction comme en témoigne la parité parfaite des groupes de travail mis en place. Ce que nous voulons c’est préparer ensemble une université du XXIème siècle opérationnelle dès 2017.
L. H : Là encore la constitution de cette Comue ne date pas d’hier. Avant même la constitution du PRES, l’UPEM en lien avec l’ENPC et l’ESIEE, avait constitué le Polytechnicum de la cité Descartes. Nous aurions pu faire un autre choix stratégique que celui de nous tourner vers l’Est, vers Saclay par exemple, mais nous avons préféré travailler avec Marne-la-Vallée et nos autres partenaires à la constitution d’un PRES auquel nous avons rapidement délégué le doctorat et l’habilitation à diriger les recherches (HDR) ainsi que la signature de nos articles de recherche. Un effort de délégation que ne font pas encore toutes les Comue.
O. R : Justement, quelle identité spécifique va avoir votre Comue?
L. H : La structuration de la recherche scientifique et de nos laboratoires avec nos partenaires (Ecole des Ponts et Chaussées ParisTech, École nationale vétérinaire d’Alfort, ESIEE, Ifsttar, etc.) nous a permis de réfléchir à une meilleure organisation tout en nous faisant prendre conscience de nos plus-values.Sur cette base, nous avons structuré deux pôles : la ville-environnement-ingénierie d’une part, la santé-société de l’autre. Des domaines qui ouvrent la voie à de nombreux travaux interdisciplinaires et commun entre nos établissements. Comment communique-t-on sur la vaccination ? Les équipes de communication ont des éléments à apporter. Comment préserver la santé dans la ville de demain ? Les spécialistes du bâtiment ont une place à prendre. Etc.
O. R : Vous parlez santé, vous êtes vous-même praticien hospitalier, l’une des forces de votre Comue sera sans doute la présence en son sein d’un grand centre hospitalier universitaire, Henri-Mondor à Créteil.
L. H : Nous avons sur notre territoire trois grands hôpitaux et 1500 lits. Dès lors notre mission est de réfléchir à comment irriguer les questions de santé en Seine-et-Marne. Nous avons donc créé des maisons médicales de santé à Coulommiers, Torcy, etc. dans lesquelles les médecins généralistes sont amenés à travailler avec les praticiens hospitaliers pour répondre aux besoins de la population. Nos universités entretiennent des liens forts avec la région, les entreprises et les villes grâce notamment à la formation des enseignants.
O. R : Pour en revenir à l’UPEC, son évaluation récente par l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Aeres, aujourd’hui rebaptisé HCERES) a été plutôt positive. C’est le résultat d’un long travail ?
L. H : En amont de la visite de l’AERES, en 2013, nous avions déjà bénéficié d’une évaluation de l’Association européenne des universités (EUA) ce qui nous avait permis de nous préparer. De par mon parcours – j’ai longtemps travaillé aux États-Unis – je suis particulièrement attentif à la dimension internationale et je voulais profiter de cette première évaluation pour faire le point du positionnement de l’UPEC au niveau européen. Ensuite, la visite de l’Aeres a pu être longuement préparée et est effectivement plutôt positive pour notre action.
O. R : On sait que les finances de beaucoup d’universités sont tendues. Qu’en est-il pour l’UPEC ?
L. H : Les exercices 2012 et 2013 ont été bouclés à l’équilibre et on espère que ce sera aussi le cas en 2014. Nous sommes l’une des rares universités à ne pas geler de postes et à résorber de manière très active la précarité. Une politique de ressources humaines qui reste donc ouverte même si nous aimerions bien sûr avoir plus de postes !
O. R : L’Aeres vous félicite notamment de la spécialisation progressive en cours de licence de vos étudiants.
L. H : La population de l’Est francilien c’est celle de la France de demain avec des populations pour lesquelles le passage du lycée à l’université est délicat. Nous leur proposons donc un temps de rattrapage pour leur faire acquérir rapidement le cadre général du travail à l’université. Nous procédons par étapes et les aidons à réfléchir progressivement à un projet professionnel.
Notre université a aussi un rôle essentiel de développement sur son territoire qui va de la grande métropole parisienne à la campagne et dans lequel des problèmes tout à fait différents se posent pour lesquels nous essayons de trouve les réponses les plus adaptées.
O. R : Vous parlez international. Vous recevez beaucoup d’étudiants étrangers ?
L. H : L’UPEC mène une politique dynamique de développement des partenariats internationaux de formation, de recherche et de coopération institutionnelle. Nous accueillons chaque année des enseignants, des chercheurs et 3500 et 4000 étudiants étrangers. Nous favorisons également la mobilité de nos propres étudiants et de nos personnels.
O. R : L’UPEC réalise un chiffre d’affaires de 5 millions d’euros en formation continue. Pouvez-vous aller plus loin ?
L. H : Le développement de l’activité formation continue fait partie de nos priorités. Elle s’inscrit dans la volonté de diversifier l’offre de formation dans le cadre de la construction de dispositifs de formation tout au long de la vie. Ainsi des parcours qualifiants courts vont être développés, les accompagnements des publics candidats à une validation des acquis de l’expérience seront renforcés. Enfin l’individualisation des parcours de formation et l’accompagnement des adultes inscrits en formation diplômante seront améliorés. L’UPEC s’engage donc dans une politique de croissance de l’activité formation continue appuyée sur la diversification des activités et sur l’amélioration de la qualité des services proposés.
O. R : La formation continue fait souvent appel à des ressources pédagogiques nouvelles, notamment digitales, comment travaillez-vous ces sujets ?
L. H : L’UPEC structure une équipe d’ingénieurs pédagogiques spécialisés dans les outils numériques autour d’un pôle innovation pédagogique et usages du numérique. Ces collègues viennent en appui aux équipes pédagogiques de formation initiale et continue afin de développer les ressources numériques mobilisables dans des approches pédagogiques combinant du temps en présentiel et de la formation à distance.
Lauréate avec le PRES Université Paris-Est de l’appel d’offre PIA-IDEFI (formations innovantes) l’UPEC incite au développement des expérimentations pédagogiques puis à leur déploiement dans les formations de niveau L et M. L’amélioration de la réussite des étudiants et la facilité d’accès à nos formations pour des adultes qui doivent gérer des contraintes de temps liées à leur activité professionnelle constituent les objectifs principaux visés par le recours au numérique dans la formation.
O. R : Une dernière question, plus personnelle. Qu’est-ce qui vous a amené à postuler ce poste de président après une carrière de chercheur international bien remplie ?
L. H : Je suis à la recherche du sens des choses et mon expérience médicale m’a appris que la vie s’arrête rapidement quand on n’a plus de projet. Actuellement, ma mission est aujourd’hui de développer l’enseignement supérieur dans un Est francilien défavorisé en pleine évolution. Un sujet complexe, mais d’avenir pour la jeunesse, comme je les aime.
Quand j’ai commencé ma carrière de cardiologue, j’ai dû affronter le décès de personnes relativement jeunes, de 40 ans, qui souffraient d’insuffisance cardiaque, et qui mourraient en 6 mois 1 an. J’ai passé des années ensuite à essayer de comprendre comment on pouvait inverser ce mouvement de dégénérescence cardiaque ce qui m’a conduit aux États-Unis, puis à l’Inserm, puis à l’hôpital pour permettre à ces patients de survivre 6 mois puis 1 an et aurjourd’hui plus de 10 ans. J’ai donc toujours travaillé sur des modèles complexes parce que ce qui m’intéresse le plus c’est quand je ne comprends pas un phénomène ou que l’on me dit qu’il n’y a pas de solution à ce problème.