Depuis quelques mois, un groupe de travail, mêlant professeurs de prépas et reponsables des grandes écoles, réfléchit à l’amélioration du continuum CPGE-Grandes Écoles. Le 17 novembre l’APHEC organisait justement la deuxième édition de ses rencontres annuelles dans les locaux de l’ESCP Europe sur la thématique « La filière classes prépas – grandes écoles de management : un parcours gagnant ». L’occasion de faire le point sur l’avenir d’une filière qui cherche à s’affirmer comme telle.
Etat de lieux
Le constat est fait par le président de l’APHEC, Alain Joyeux, en ouverture des rencontres annuelles de son association : « Les clignotants sont a priori au vert : les effectifs sont en hausse, le nombre de places au concours augmente. C’est dont le bon moment pour réfléchir à l’avenir de notre filière. Nous ne délivrons pas de diplôme, nos diplômes ce sont les grades de master délivrés par les écoles. Il est donc vital de voir comment cette filière peut fonctionner mieux en 5 ans et non pas en 2+3 ans ». Plus largement, Alain Joyeux remarque « qu’autour de nous tout change, à l’échelle européenne, à l‘échelle mondiale… », que les étudiants changent : « C’est la génération de l’international, de l’ouverture, la génération connectée ». Il veut également réfléchir à la pédagogie : « Le moment ou l’enseignant était le seul à détenir le savoir dans la classe est dépassé ». Autant de thématiques qui sont aujourd’hui au cœur des réflexions sur l’avenir de la filière…
Une filière stabilisée mais concurrencée
Avec quelques 10799 candidats en 2017, le nombre de candidats issu des classes préparatoires s’est stabilisé depuis quelques années. Même chose pour les places offertes par les écoles – 50 places de plus sur 7799 pour la session 2018 -, même si ce chiffre cache des disparités avec une diminution des places chez certaines écoles quand d’autres sont plus ou moins régulièrement et une hausse chez d’autres écoles. Il serait en tout cas possible d’ouvrir plus de classes selon Alain Joyeux : « Nous attendons l’ouverture de nouvelles classes. En ECS nous avons 10 candidats pour une place ». Mais attention prévient Chantal Collet, la proviseur du lycée Saint-Louis à Paris : « S’il y a plus de demandes d’entrées en classes préparatoires, les lycées vont aussi plus loin dans le classement des élèves. Ce qui signifie que de plus en plus d’étudiants sortent d’APB ».
Paris-Dauphine, des universités en Suisse, au Royaume-Uni et même aux Etats-Unis, des bachelors, certaines licences, la concurrence est rude pour les classes préparatoires et donc pour les grandes écoles… « C’est peut être dû à la peur de la charge de travail que représente la scolarité en classe préparatoire, sans doute au manque de connaissance du fait que les parcours sont très sécurisés – ce qui pousse des élèves à préférer des parcours intégrés, peut-être encore à l’attractivité des doubles licences », analyse Chantal Collet
Une image à revoir
Les classes préparatoires souffrent encore beaucoup d’une image de « bagne » qui leur colle trop souvent à la peau. Alain Joyeux estime même que les professeurs de classes préparatoire ont trop souvent eu « le tort d’être sur la défensive » : « Non la classe préparatoire ce n’est pas le bagne. Nous devons l’affirmer et notre communication évolue pour bien montrer quelle est notre valeur ajoutée. La prépa n’est plus le temple de l’individualisme forcené. Les promotions qui ont les meilleurs résultats sont celles dans lesquelles la mutualisation du travail est la plus forte ». Et Chantal Collet d’insister : « Nous travaillons de plus en plus en groupe. La classe préparatoire reste rude mais nos élèves sont accompagnés ». Des vidéos sont d’ailleurs réalisées à destination des élèves de terminale pour qu’ils comprennent mieux comment on travaille en CP.
Cette image de la classe préparatoire est également troublée par son nom, bien trop réducteur. « Nous apportons des compétences qui sont très utiles pour l’ecole et la vie professionnelle », insiste encore Alain Joyeux. Mais faut-il changer la pédagogie « magistrale » des classes préparatoires ? « Elle pourrait évoluer si les concours évoluent. Nous pourrions proposer une épreuve avec un dossier ou même un accès Internet pour mesurer la capacité des candidats à gérer l’information et à la hiérarchiser. On les habituerait ainsi à faire des choix, ce qu’on leur demande en permanence en école et jamais en CPGE », imagine Alain Joyeux.
Tout cela en n’oubliant pas les grandes forces de la prépa. Et notamment cette capacité de travail qu’y ont acquise les jeunes. « Les jeunes qui sortent de classes préparatoires sont très bien formés, ils ont acquis des méthodologies, des capacités de travail. On leur a donné le gout au travail et ce n’est pas nécessairement le cas pour les diplômés qui ne passent pas par cette filière », assure Donald Bryden, président du conseil de surveillance de Prêt d’Union. « Ce goût pour le travail nous devons leur donner. Il n’est pas inné. Et nous avons désormais face à nous des étudiants qui se posent des questions : suis-je à ma place en CP ? », insiste Jean-Louis Chauve, professeur au lycée La Martinière-Duchère de Lyon et membre du bureau de l’APHEC. « Pour aller chercher de nouveaux candidats nous devons réfléchir à notre communication mais aussi à ce que nous proposons aux étudiants. Plus que jamais, pour les convaincre de la valeur de nos formations, nous avons besoin des écoles comme des chefs d’entreprises qui leur permettent de se projeter », demande Alain Joyeux pour lequel les classes préparatoires doivent évoluer pour « éviter le déclin et que, dans quelques années, elles ne soient pas réservées qu’à quelques meilleures écoles ».
La force d’une filière
Le directeur général d’ESCP Europe, Frank Bournois, est formel : « Si nos écoles sont dans le top mondial c’est parce qu’il y a une filière amont aval intégrée avec une capacité des classes préparatoires à apporter aux écoles des étudiants d’immense qualités ». Oui mais voilà « cette filière en 5 ans n’est pas perçue de l’extérieur », constate Alain Joyeux. Logique quand un concours, forcément stressant, coupe brutalement la filière. Mais n’est-ce pas la même chose en médecine ? Et même deux fois à la fin de la PACES (première année commune aux études de santé) puis lors de l’ECN (examen classant national)… « Il faut expliquer ce qu’est le concours et le fait que tous les étudiants, s’ils le souhaitent peuvent trouver un point de chute en école. Il faut que nous soyons identifiés comme une filière non pas « 2+3 » mais « 2+1+2″ comme le préconise la directrice générale de Skema, Alice Guilhon », reprend le président de l’APHEC.
Un concept « 2+1+2 » qui convient parfaitement à Frank Bournois : « L’année pré-master est bien une année charnière car c’est très difficile pour les élèves d’appréhender la diversité des écoles ». D’où l’idée de réaliser des petites vidéos avec les écoles pour faire comprendre aux élèves de classes préparatoires comment on y étudie. Une meilleure transition qui passe aussi par un rapprochement des prépas avec le monde du travail. Un sujet particulièrement lors des entretiens d’oraux où les élèves se retrouvent face à un problème paradoxal : ils ne travaillent que sur des disciplines académiques pendant leurs années de prépas et, au final, on leur demande leur avis sur l’entreprise ou leur carrière. « Nous voulons plonger nos étudiants en entreprise par un stage de 10 jours en fin de 1ère année. Cela permettra aux étudiants de se projeter, ce qu’ils ne font absolument pas », note Chantal Collet. Une ou deux semaines en entreprise qui doivent permettre aux jeunes de comprendre que « la réalité est complexe alors qu’ils sont trop scolaires et binaire », considère encore Alain Joyeux.
Répondre aux nouvelles attentes de la société
Toutes ces questions sur le continuum prépas / grandes écoles sont d’autant plus d’actualité qu’Internet, le numérique, l’intelligence artificielle, bouleversent totalement les besoins des entreprises. « Nous devons plus que jamais nous interroger sur ce qui est attendu par la société à l’horizon 2030. Il va se passer plus de choses dans les dix ans à venir qe dans les quarante années passées dans le numérique ou les biotechnologies et on ne s’en rend pas assez compte », prévient Frank Bournois, qui demande qu’on « transforme nos programmes pour ne pas se passer d’une dimension prospective et sociale ».
Une transformation des cursus qui a déjà conduit les écoles à être bien plus innovantes, notamment pour amener leurs étudiants à créer des entreprises. « La volonté de nos élèves de créer des entreprises est sans commune mesure avec ce qui existait il y a 30 ans. Toutes les écoles organisent des Hackathon, des activités tournées vers l’entrepreneuriat. La façon d’aborder la création d’entreprises s’est transformée », assure la directrice générale de Skema BS, Alice Guilhon. Et justement le « cheminement de l’entrepreneur » (de l’idée à la réalisation en passant par la conviction) est « celui que l’on acquière en CP alors que les techniques que l’on apprend en école sont assez vite périmées », certifie David Simonnet, le P-DG du groupe de chimie fine Axyntis qui n’en demande pas moins qu’on « préserve les classes préparatoires des contraintes de l’entreprise » car la « force des grandes écoles est aussi leur capacité à proposer un continuum vers l’entreprise par les stages et la professionalisation ».
Sébastien Vivier-Lirimont
- Continuum : les mesures proposées. Les mesures proposées pour un meilleur continuum CPGE/ Grandes Ecoles de management suite au travail entrepris entre l’APHEC, l’APLCPGE (Association des Proviseurs de Lycées à Classes Préparatoires aux Grandes Écoles) et 14 Grandes Écoles (SKEMA, ESCP-Europe, EDHEC, GEM, TBS, NEOMA, Rennes SB, Dijon BSB, EM Normandie, KEDGE, ISC, INSEEC, ESC Pau, ESSEC) vont dans deux grandes directions: Développer une « culture commune » entre CPGE et Grande École. Dans cet esprit le groupe de travail propose : la création par les écoles de « modules en ligne » à destination des élèves de CPGE pour faire découvrir aux étudiants dès la première année de leur cursus quelques-uns des enseignements délivrés en Grande École. Chaque école pourrait par exemple préparer une intervention très accessible de 30 minutes consacrée à une présentation générale d’un domaine du management. L’objectif n’est évidemment pas que chaque école fasse sa publicité à travers ce support, mais plutôt de permettre une sensibilisation des étudiants de CPGE aux enseignements et à la pédagogie qui les attendent en école.
Ces modules (une dizaine tout au plus) seraient suivis en CPGE sous la responsabilité d’un professeur de CPGE. Ils pourraient faciliter les préparations aux entretiens de personnalité et de motivation, permettre aux candidats d’atténuer les aléas de cette épreuve en leur donnant une base commune face aux jurys et donner aux étudiants des vues un peu plus précises sur les voies vers lesquelles ils s’engagent. Ils seront disponibles dès la prochaine rentrée ; l’intervention de professeurs de CPGE en année prémaster de Grande École pour délivrer des cours ou des modules de culture générale, géopolitique ou autres, afin de permettre un passage « plus en douceur » de la classe préparatoire à la Grande École ; la création par l’APHEC d’un diaporama ou d’une vidéo à destination des professeurs de Grande École, expliquant le fonctionnement des classes préparatoires, leur pédagogie et leur contenu. Il sera également précisé que les professeurs de CPGE sont connectés à la recherche car désormais en grande majorité docteurs. Ce support sera produit d’ici l’automne 2017 ; l’association des professeurs de classes préparatoires aux entretiens de personnalité dans les écoles, soit en tant que jury, soit en tant qu’observateur. Cette pratique existe déjà dans certaines écoles et pourrait être étendue. Elle permettrait aux professeurs de CPGE de mieux connaître les écoles et leurs enseignants. Offrir aux étudiants de CPGE une première sensibilisation au monde de l’entreprise et du management. La piste d’une immersion dans une organisation (entreprises, associations, etc.) au cours de la première année de CPGE semble intéressante à l’ensemble des participants au groupe de réflexion. Elle permettrait aux préparationnaires d’avoir une première approche personnelle de l’entreprise. Plusieurs expériences en la matière fonctionnent déjà, notamment dans les voies ECT. Ce dispositif d’immersion, d’ores et déjà programmé dans une trentaine de lycées à CPGE à Paris et en régions, pourrait prendre les contours suivants : durée : 5 jours au cours de la première année de CPGE, pris sur les cours en fin d’année ou pendant les vacances de printemps ;structures d’immersion : entreprises, associations, etc. ; organisation et tutelle : accords entre des lycées volontaires et des structures qui mettent en relation les entreprises et les jeunes telles que Passeport avenir, Fratelli, les Rotarys, les antennes locales des syndicats patronaux, etc. ; les attendus (sachant qu’il convient d’éviter le risque d’une simple répétition du stage d’observation que tous les collégiens effectuent en 3ème) seraient aussi bien de donner aux étudiants une dimension concrète de terrain à un cursus en CPGE, dont le contenu est exclusivement académique, que d’offrir aux étudiants l’expérience de rencontres et d’échanges avec des managers, la possibilité dans certains cas d’effectuer pour des PME des petites missions (enquêtes de terrain par exemple) et enfin de demander aux étudiants de tirer un bilan pour eux-mêmes en termes d’apport, de bonne surprise ou de déception de cette immersion sous la forme d’un court « rapport d’étonnement » ; le compte-rendu sera rédigé sous la responsabilité du professeur de CPGE, dans la mesure du possible un professeur d’une école de management pouvant venir effectuer un débriefing collectif avec les étudiants sur ce qu’ils peuvent retenir de leur immersion ; lors de l’entretien de personnalité et de motivation, deux ou trois questions pourraient être posées par le jury aux candidats sur le bilan qu’ils tirent de cette immersion ; quel cadre administratif ? : les lycées à CPGE n’ont pas la possibilité — sauf exceptions souvent liées à la présence de BTS dans l’établissement — de signer une convention de stage. Cependant, étant donné la faible durée de cette immersion, il suffit que le projet soit voté en conseil d’administration pour permettre au proviseur d’autoriser ces quelques jours hors du lycée. Cette immersion peut même être inscrite dans le projet d’établissement.