ECOLES DE MANAGEMENT

« La CCI Paris Ile-de-France va conserver ses écoles dans le cadre d’une mission d’intérêt général »

Alors que les investisseurs privés regardent l’enseignement supérieur avec les yeux de Chimène, le président de la Chambre de commerce et d’industrie Paris Ile-de-France, Didier Kling, entend bien conserver les « pépites » de l’enseignement supérieur qu’elle possède – HEC, ESCP Europe, Essec, Ferrandi, Esiee, etc. – en son sein. Il nous présente les évolutions qu’il entend maintenant mener dans le cadre d’une nouvelle holding qui verra le jour en 2019 (Photo F.Daburon-CCI Paris Ile-de-France).

Olivier Rollot : La Chambre de commerce et d’industrie Paris Ile-de-France que vous présidez a voté l’été dernier la constitution d’une holding chargée de gérer ses nombreuses écoles. S’agit-il d’une privatisation ?

Didier Kling : Pas du tout. Une chambre de commerce et d’industrie comme la nôtre a quatre types de mission : de service public quand nous gérons des activités pour le compte de l’Etat, remplissons des missions consultatives ou aidons les entreprises ; dans le secteur concurrentiel avec les salons et les espaces de congrès que nous gérons et enfin dans l’enseignement. Cette dernière activité fonctionne essentiellement avec des ressources propres dont font partie les droits de scolarité mais qui ne suffisent pas à assurer tout le fonctionnement des écoles. Nous leur versons donc historiquement des subventions issues de la taxe pour « frais de chambre » que financent les entreprises. Mais cette ressource devient de plus en plus rare avec la volonté des pouvoirs publics de la diminuer drastiquement. Nous devons trouver un équilibre financier pour nos écoles.

Dès lors deux stratégies sont possibles. Privatiser nos écoles, et rejoindre ainsi un certain nombre d’écoles privées ou conserver ces écoles dans le cadre d’une mission d’intérêt général. C’est le choix que nous avons fait. Nous ne cherchons pas à gagner de l’argent – pas à en perdre non plus ! – mais à servir les entreprises de notre territoire pour contribuer à son développement.

O. R : Quel statut vont avoir vos écoles ?

D. K : Alors que la plupart sont aujourd’hui des services de la CCIR, nous allons donner aux écoles un statut juridique. Ce ne seront pas des sociétés anonymes mais bien des EESC (établissements d’enseignement supérieur consulaire) dans lesquels est réinvesti tout l’excédent – c’est le terme dans le secteur associatif pour bénéfice.

L’EESC est un statut auquel je suis attaché, tel qu’il est aujourd’hui et je ne plaide pas l’évolution contrairement à ce que j’ai pu entendre. Les chambres de commerce et d’industrie doivent conserver une majorité de 51% des parts et cela me convient. Aucune autre entité ne peut dépasser les 33% des parts et cela me convient. Aucun dividende ne peut être distribué et cela me convient aussi.

Des étudiants de l’ESIEE

O. R : Quel est aujourd’hui le montant de l’investissement de la CCI Paris-Ile de France dans ses écoles ?

D. K : Nous apportions chaque année 60 millions à nos écoles dont la moitié à HEC, l’Essec et ESCP Europe et le reste réparti entre toutes les écoles comme l’ESIEE notamment avec près de 7 millions d’euros. Dix millions donc pour chacune de nos Grandes écoles de commerce en 2018 avec l’objectif de supprimer toutes les subventions en 2021. Elles vont donc toucher 20 millions en 2019, 10 en 2020 et rien en 2021. Pour autant elles doivent financer des investissements alors que le gouvernement nous demande de supprimer toute subvention. Et nous dit d’emprunter quitte à emprunter de nouveau pour rembourser. Ce n’est pas ce que nous enseignons dans nos écoles ; ce n’est pas ce que nous ferons.

O. R : Comment va être constitué cette holding ?

D. K : Sur le modèle de ce que nous avons fait pour les salons et congrès nous allons constituer une holding dont nous conserverons 51% des parts. Les 49% restants seront destinés en priorité à des acteurs publics ou parapublics mais aussi à des family offices qui investissent dans l’art ou les activités caritatives et qui sont prêts à investir sur le long terme. Cette holding détiendra une participation majoritaire dans chacune des EESC déjà constituées ou en cours de création

O. R : Chaque école pourra également avoir ses propres actionnaires dans le cadre de son statut d’EESC ?

D. K : Prenons la filière restauration et notre école Ferrandi. Les groupes hôteliers ont de grands besoins en compétences . Nous leur disons « venez travailler avec nous » pour nous aider à former vos employés en entrant au capital de l’EESC. Même chose pour Gobelins, La Fabrique, etc. Nous constituons ainsi un édifice à deux étages pour démultiplier notre capacité à trouver des financements.

O. R : A quelle échéance cette holding va-t-il voir le jour ?

D. : Le schéma a été approuvé le 5 juillet 2018. Depuis nous y avons travaillé pour démarrer cette année. Il faut d’abord déterminer la valeur de chaque école. Nous devons aussi attendre de connaître le montant auquel les contrats d’apprentissage serons financés dans le cadre de la réforme en cours.

O. R : La réforme de l’apprentissage aura un impact très important pour vos écoles ?

D. K : Pour une école comme l’Essec, qui forme 600 apprentis, l’impact sera important si le financement est significativement inférieur à ses coûts de formation. Les entreprises abonderont-elles comme le souhaite le gouvernement ? Cela signifie-t-il que les entreprises ajoutent à la taxe d’apprentissage des ressources hors obligations fiscales ?

Il est aussi important que les coûts contrats estimés soient homogènes dans toutes les branches d’activité. Nous ne pouvons pas avoir autant de rétribution que de branches professionnelles qui emploient nos apprentis, c’est tout l’enjeu des formations dites transversales comme les grandes écoles de gestion. D’autant que nous serons défavorisés si les coûts estimés sont les mêmes partout en France alors qu’opérer en Ile-de-France revient forcément plus cher.

Autre question : comment les régions vont-elles se répartir l’enveloppe nationale d’investissement dans l’apprentissage qui se monte à 250 millions d’euros. Il y a peu de chances que la région Ile-de-France en obtienne autant que son poids dans l’économie – 30% – d’autant que le fléchage doit plutôt se faire vers les formations infra bac et qu’elles ne représentent que 20% de l’apprentissage dans notre région.

O. R : Nous n’allons pas faire le point de chaque école mais en prendre quelques-unes comme exemples de votre stratégie. Qu’en est-il de votre seule école d’ingénieurs, l’Esiee ?

D. K : Son déficit d’exploitation est aujourd’hui de 7 millions d’euros par an. Nous tenons à l’Esiee et nous allons la conserver. Parce que c’est notre seule école d’ingénieurs. Parce que nous l’avons dotée récemment de salles blanches de tout premier ordre et que nous voyons régulièrement que la stratégie mise en place par la CCI Paris Ile-de-France porte ses fruits dans les classements. Nous nous donnons trois à quatre ans pour limiter son déficit notamment en gardant une coopération forte des écoles d’ingénieurs avec l’université. Mais nous n’augmenterons pas de façon importante les droits de scolarité alors que ses concurrents s’appellent l’Ecole polytechnique ou CentraleSupélec et que nos marges de manœuvre sont faibles.

O. R : HEC semble avoir plus de marge dans l’augmentation de ses frais de scolarité…

D. K : Mais il ne faut pas exagérer. Nos augmentations des frais de scolarité restent dans des proportions raisonnables pour HEC comme pour toutes nos écoles. Cela suffit pour parvenir petit à petit à l’équilibre. Reste la question d’un immobilier vieillissant. Nous allons rénover les locaux existants. D’autant que nous avons un très beau projet qui correspondrait aux attentes de ceux qui traversent l’Atlantique pour venir à HEC.

La question est aussi de savoir ce que sera une école de management dans 10 ou 15 ans. Il est certain qu’elles seront de plus en plus amenées à se rapprocher d’écoles d’ingénieurs mais aussi d’autres acteurs académiques. Mais faut-il encore construire tel que nous le faisons ? Nous allons en tout cas engager bientôt des travaux appuyés par la fondation HEC et d’autres investisseurs.

O. R : Où en est la coopération entre HEC et la New Uni qu’emmène l’Ecole polytechnique ?

D. K : Nous sommes sur le point de signer une convention pour renforcer notre coopération académique. Nous avons par exemple de grandes ambitions dans le domaine de l’entrepreneuriat et de la recherche.

O. R : ESCP Europe doit aussi rénover ses locaux. Comment allez-vous procéder ?

D. K : La stratégie est la même que pour HEC mais avec un périmètre immobilier très différent. HEC est essentiellement présente en France quand ESCP Europe gère cinq campus en Europe. Parfois en étant propriétaire, parfois locataire. Mais comme pour HEC le campus principal de Paris-République souffre du vieillissement. Nous nous sommes posé la question d’un déménagement sachant qu’une rénovation dans des locaux occupés a un coût supérieur. Mais nous ne voulions pas quitter Paris et nous ne sommes pas parvenus à y trouver des locaux. La question est donc résolue : nous allons rénover les bâtiments existants.

O. R : ESCP Europe ne possède pas ses locaux comme l’a obtenu HEC en devenant un EESC. Pourquoi cette différence ?

D.K : Nous n’avons pas apporté l’immobilier à ESCP Europe car je considère que gérer un patrimoine immobilier n’est pas le même métier que l’exploitation d’une institution académique. D’ailleurs la plupart des entreprises ne sont pas propriétaires de leurs locaux. Une chambre de commerce et d’industrie est mieux à même de discuter avec des investisseurs, les acteurs locaux ne doute pas d’ailleurs que la mairie de Paris nous aidera pour ESCP Europe comme elle a aidé Sciences Po pour sa nouvelle implantation à l’hôtel de l’Artillerie. La mairie de Paris tient à ce que nous restions à Paris.

O. R : Ce n’est donc pas lié à une domiciliation à Jouy-en-Josas d’un côté, Paris de l’autre ?

D. K : Pas du tout. La gestion de l’immobilier fait dorénavant partie des missions de la CCI. Nous avons en effet décidé de lui fixer une cinquième mission qui est de regrouper les actifs immobiliers de la chambre dans une foncière. Celle-ci va nous accompagner et lever de la dette. Il faudra ensuite que nous puissions fixer des montants de loyer que nous verserons les écoles en rapport avec le marché alors qu’ils sont aujourd’hui plus sous-évalués.

O. R : L’Essec s’apprête également à faire des travaux sur son campus et s’appuie pour cela sur sa fondation. Où en est la fondation d’HEC ?

D. K : Concernant l’ESSEC, les acteurs ESSEC territoriaux ont été des soutiens importants à la rénovation du campus, la fondation l’est également. La fondation HEC a obtenu d’excellents résultats dès sa première levée de fonds en dépassant les 100 millions d’euros et en faisant une des toutes premières françaises dans le monde académique. Pour la deuxième campagne qui va être lancée cette année l’objectif est également ambitieux .

O. R : Le mandat de Peter Todd à la tête d’HEC s’achève fin 2019. Sera-t-il reconduit dans ses fonctions ?

D. K : Le process suit son cours. Reste à savoir ce que lui-même souhaite faire.

O. R : On vient d’apprendre que le groupe Inseec U. (Inseec BS, EBS, Esce, ECE, etc.) était valorisé aux environs de 900 millions d’euros. Cela vous paraît un montant raisonnable ?

D. K : C’est cher mais le marché est un peu fou en ce moment avec peu d’actifs mis en vente alors qu’il y a de nombreux investisseurs qui sont très intéressés. Quand les taux d’intérêt sont négatifs et que seul le rendement action rapporte, les investisseurs préfèrent placer leur argent.

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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