POLITIQUE DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

Après le livre sur Galileo : l’enseignement supérieur privé en question

Une inspection interministérielle va être missionnée par les ministres de l’Education nationale et de l’Enseignement supérieur, Elisabeth Borne et Philippe Baptiste « pour une plus grande transparence du fonctionnement des établissements d’enseignement supérieur privés à but lucratif ». C’est la première conséquence tangible de la publication le 5 mars du « Cube » sous-titré « Révélations sur les dérives de l’enseignement supérieur privé », aux éditions Flammarion. Alertés les deux ministres ont en effet demandé au président de Galileo Global Education, Marc-François Mignot-Mahon, de « venir s’expliquer au ministère ». « Le livre décrit des conditions de formation et d’enseignement qui donnent l’impression d’être dégradées au sein de certains établissements de Galileo. Certains points mentionnés dans le livre seraient vraiment graves, donc il est normal qu’on ait une discussion », explique Philippe Baptiste dans Les Echos. Un électrochoc pour tout l’enseignement supérieur privé. Même si c’est essentiellement le groupe Galileo qui est mis en cause l’amalgame est facile comme l’a fait Le Nouvel Obs dans son article Enseignement supérieur privé : les superprofits des marchands de diplômes.

Galileo sur la sellette. Le groupe Galileo est scruté, disséqué, analysé, stigmatisé par la documentaliste Claire Marchal dans son livre « Le Cube » du nom de sa plateforme de gestion des inscriptions des étudiants. Elle y livre les résultats d’une enquête de 20 mois dans les coulisses des établissements d’enseignement supérieur du groupe qui « témoignent de l’obsession des managers Galileo à augmenter sans cesse les effectifs de leurs écoles, réduire les coûts, optimiser leurs rendements ». De nombreux témoignages sont anonymes et la direction de Galileo n’a pas répondu à ses questions. En filigrane on ressent le sentiment d’abandon de professeurs, de personnels pédagogiques amoureux de leur métier mais pris au piège de l’Ebitda par une direction dans laquelle on ne trouve aucun professeur de l’éducation hors le président, Marc-François Mignot-Mahon. Ancien directeur de Strate, Dominique Sciamma dénonce ainsi la direction du groupe : «L’éducation ne les intéresse pas : ils ont choisi ça parce que c’est juteux, c’est être une machine à Ebitda ». Ce à quoi Galileo répond dans un communiqué publié le lendemain de sa convocation au MESR que « contrairement aux insinuations de course aux profits sa rentabilité opérationnelle a été divisée par 4, passant de 12,8% à 3,4% depuis 2021 ».

De plus le groupe livre les conclusions de sa dernière Étude Alternance Galileo Global Education Toluna Harris de février 2025 qui montre que 77% de ses étudiants recommandent ses écoles. Il se trouve qu’en 2024 l’Association des Entreprises Éducatives pour l’Emploi (3E) a demandé au même cabinet d’interroger 3 000 étudiants de Galileo Global Education et Pigier Lyon. La comparaison est intéressante. Si les étudiants de Pigier Lyon et des écoles Galileo se disent majoritairement satisfaits de leur école sur quasiment toutes les dimensions évaluées, les études divergent en matière de recherche d’emploi. Alors que 80% des alternants de Pigier Lyon déclarent que les offres transmises par leur école correspondaient à leur niveau de qualification et à leur formation, ils ne sont que 35% chez Galileo et quasiment autant (33%) à exprimer l’opinion contraire.

C’est dans ce contexte que des étudiants de l’école de design Strate ainsi que des designers dénoncent les paradoxes de cette école rachetée par le groupe Galileo en 2015 dans une tribune sur Libération intitulée Galileo : quand notre école de design sacrifie notre avenir sur l’autel du profit`.

 Bye bye label. Bonjour Qaliopi+. Philippe Baptiste annonce également l’abandon du label de l’enseignement supérieur privé au profit du « renforcement du dispositif existant Qualiopi sur des critères de qualité de la formation, pour éviter la multiplication des labels et avoir un label augmenté ». Ce label renforcé devrait en place début 2026 en coordination avec Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du Travail et de l’Emploi. Ce « Qaliopi+ » concernerait d’abord pour les formations hors Parcoursup, ce dernier étant considéré comme un label de qualité en soi. Écoutons- encore le ministre : « Toutes les formation hors Parcoursup ne sont pas médiocres, mais il faut plus de contrôle sur la qualité, ce qui passe par le renforcement du label Qualiopi ».

Dans cet esprit Philippe Baptiste entend se consacrer d’abord à la question de la qualité des formations en apprentissage « parce que c’est là qu’il y a peut-être eu des effets d’aubaine ». Dans un deuxième temps, il estime qu’il « faudra peut-être s’interroger sur la généralisation du dispositif » et sur le fait de soumettre au futur label Qualiopi les formations hors apprentissage qui donnent lieu à la délivrance d’un titre RNCP ».

Pour autant le ministre ne veut surtout pas qu’on imagine qu’il s’agit d’une « quelconque condamnation de l’enseignement supérieur privé. Le développement d’un enseignement supérieur privé, lucratif ou non, c’est très positif. La question n’est pas là. La question est de garantir aux étudiants une qualité, quelles que soient les formations proposées. Ensuite, que l’enseignement supérieur privé se développe et soit lié en particulier à l’apprentissage, c’est très bien ! L’important, c’est la qualité. C’est ça, la question fondamentale ».

Une loi pour réglementer l’enseignement supérieur privé ? Début janvier 2025 Philippe Baptiste annonçait déjà que le gouvernement allait publier un arrêté de déréférencement des formations qui ne respectent pas la charte de Parcoursup qui s’appliquerait avant le 13 mas, la date limite de formulation des vœux sur la plateforme. Depuis les député Jean Laussucq (Renaissance) et Emmanuel Grégoire (socialiste) ont déposé des proposition de loi pour en ce sens. Le projet de loi de ce dernier vise à un Meilleur encadrement de l’enseignement supérieur privé à but lucratif en:

  • interdisant les « droits de réservation » consistant à imposer à l’étudiant le versement de frais destinés à garantir une place au sein d’un établissement d’enseignement supérieur privé avant la confirmation définitive de l’inscription ;
  • instaurant un mécanisme limitant les contrats à une année renouvelable, et dont la reconduction devra faire l’objet d’un accord entre les deux parties à la fin de chaque année pédagogique ;
  • imposant le remboursement des frais de scolarité en cas de départ anticipé de l’étudiant dans un délai de deux mois après le début de la formation.

Pour les CFA sont visées par le projet de loi :

  • les clauses qui imposent le versement de frais de réservation préalables à la confirmation d’inscription dans un CFA ;
  • les clauses privant l’apprenti d’un remboursement au prorata temporis des frais administratifs ou de scolarité en cas de départ anticipé du CFA ;
  • les clauses excluant le remboursement des frais demandés à un postulant à l’apprentissage lorsque celui‑ci signe un contrat d’apprentissage dans le délai de trois mois, prévu à l’article L. 6222‑12‑1 du code du travail.

L’article 3 a quant à lui pour objet d’empêcher, pour un organisme de formation, le dépôt d’une nouvelle demande d’activité en cas de faits « particulièrement grave relevés par les services régionaux de contrôle de la formation professionnelle de l’État au moment du dépôt de la déclaration d’activité ou au cours de l’activité de l’organisme, et de permettre l’annulation d’un organisme ayant eu recours à des faux documents pour obtenir indûment des fonds de la formation professionnelle ».

Il propose également de doter les services de contrôle d’un « pouvoir de police administrative leur permettant de refuser à un organisme ayant fait l’objet d’un signalement par les services de contrôle à la suite de constatation de faits frauduleux ou d’usurpation d’identité de déposer une nouvelle déclaration d’activité pendant quatre ans ».

Enfin, l’article 4 entend introduire des « sanctions applicables aux responsables des établissements privés d’enseignement supérieur en cas de constatation de pratiques commerciales trompeuses pouvant aller jusqu’à des peines de prison et l’interdiction définitive d’enseigner et diriger un établissement privé d’enseignement supérieur ».

  • Comment Parcours privé valide les établissements présents sur son site. Lancée par la FNEP (Fédération nationale de l’enseignement privé) en décembre 2023, la plateforme PARCOURS Privé propose plus de 6 000 formations réparties sur plus de 800 campus en France. Pour qu’une école soit référencée, elle doit suivre trois étapes: effectuer une demande auprès de la FNEP, compléter un questionnaire et « permettre une analyse transparente de son site internet pour s’assurer que sa communication est claire et cohérente ». Au besoin, la FNEP procède à une vérification approfondie à l’aide de documents complémentaires, tels que le certificat Qualiopi pour les certifiés, l’arrêté ministériel pour les visas et grades, les numéros des titres RNCP actifs et leur fiche…. « Pour cette première année, sur 421 demandes d’inscription, seules 286 ont à ce jour été acceptées, ce qui témoigne de la vigilance portée à la crédibilité de la plateforme », assure Patrick Roux, président de la FNEP.

Petit état de lieux d’un enseignement supérieur privé en plein essor. Ces dix dernières années, la part du secteur privé dans l’enseignement supérieur est passée de 19,7% à 26,6% des effectifs globaux en 2024. Ce sont donc aujourd’hui près de 630 000 étudiants qui sont scolarisés dans l’enseignement supérieur privé. A l’horizon 2030, 3 étudiants sur 10 pourraient inscrits dans l’enseignement supérieur privé alors que ceux du public devraient baisser.

Le secteur progresse d’autant plus que les règles de création d’un établissement supérieur privé sont très lâches en France. La liberté de commerce et d’industrie est protégée constitutionnellement en France d’où parfois une porte ouverte à des acteurs médiocres dans un modèle d’auto-régulation. Faut-il aller vers une régulation exogène de l’enseignement supérieur privé? Faut-il donc demander aux établissements d’obtenir une autorisation préalable d’installation? La question se pose régulièrement alors qu’on ne peut pas ouvrir un établissement d’enseignement secondaire sans avoir « rempli pendant cinq ans au moins les fonctions de professeur soit dans un établissement d’enseignement technologique ou professionnel public, soit dans un établissement privé régulièrement ouvert et qui donne un enseignement au moins de même degré que l’établissement que le candidat entend diriger » (lire la circulaire). Pourquoi ne pourrait-il pas être le cas également dans l’enseignement supérieur ?

Cet enseignement supérieur privé repose sur des statuts différents :

  • un privé « parapublic » sous qualification établissement d’enseignement supérieur privé d’intérêt général (EESPIG) financé en partie par l’Etat (les écoles de la Fesic notamment) ;
  • un privé associatif non EESPIG ;
  • un privé consulaire sous forme d’EESC (établissement d’enseignement supérieur consulaire) :
  • des SA ou SAS traditionnelles ;
  • des « société à mission ».

Si le modèle se développe autant c’est qu’il répond le plus souvent aux attentes des étudiants tout en étant très rentable pour les établissements. Dans son étude sur L’enseignement supérieur privé en France, Laurent Batsch, ancien président de Dauphine, explique que la spécificité des coûts dans l’enseignement supérieur est qu’ils « sont indépendants du nombre d’étudiants inscrits à partir d’un certain seuil » puisqu’ils sont « couverts par un niveau plancher de recrutement, au-delà duquel tout nouveau client n’entraîne pas de coût marginal ». Si ce modèle économique de coût fixe est un modèle vertueux en termes financiers, le « biais naturel d’un établissement fondé sur ce modèle est de faire du volume ». Et Laurent Batsch d’établir : « Le rapport de la marge au montant investi, la rentabilité (résultat/actif) est donc potentiellement très élevée. C’est pourquoi il a retenu l’intérêt des investisseurs ». Résultat les prix de transaction ont grimpé selon lui jusqu’à atteindre 22,7 fois son EBITDA pour le groupe EDH selon Le Nouvel Obs…

Ces établissements n’ont pas le même modèle économique. EESPIG, EESC, associations doivent bien sûr générer de la marge pour réinvestir mais ne versent pas de dividendes ni ne réfléchissent à une revente. Beaucoup de SA sont en revanche dans ce dernier processus. « Pour doubler la valeur de sa mise dans un temps moyen de 5 à 7 ans, l’entreprise acquise doit dégager une rentabilité annuelle de 10% à 15% », signifie Laurent Batsch dans son étude. Comment alors conjuguer qualité et rentabilité ? C’est tout le défi de l’enseignement supérieur privé lucratif… mais aussi de tout un enseignement supérieur de plus en plus en panne de moyens.

  • Qu’est-ce que l’intérêt général dans une Grande école? La Conférence des Grandes écoles (CGE) tenait cette semaine un colloque sur le thème « Intérêt général, identité et projet des Grande écoles ». « Dans l’enseignement supérieur il n’y a pas d’un côté la vertu, de l’autre côté le vice. Société à mission emlyon s’engage pour l’intérêt général. Il faut vraiment séparer le bon grain de l’ivraie », y défendait Isabelle Huault, présidente du directoire et directrice générale de emlyon, école du groupe Galileo. « Nous sommes depuis 170 ans en contrat avec l’État et donc contrôlé contrairement à des écoles sans aucune tutelle pour lesquelles tout et n’importe quoi est possible », note de son côté Philippe Choquet, directeur général d’UniLaSalle et président de la Fesic (Fédération des établissements d’enseignement supérieur d’intérêt collectif) pour lequel une établissement privé ne « doit pas dépasser une limite raisonnable de rentabilité à partir du moment où il est financé par la puissance publique ». Et d’évoquer ses « états d’âme vis-à-vis de la présence de fonds dans l’enseignement supérieur » dans la mesure où ils ont comme « volonté de revendre avec une plus -value ». « Dans la catégorie où nous sommes nous ne pouvons pas atteindre des rentabilités au-dessus du raisonnable », lui rétorque Isabelle Huault.

 

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Olivier Rollot est directeur du pôle Information & Data de HEADway Advisory depuis 2012. Il est rédacteur en chef de "l’Essentiel du Sup" (newsletter hebdomadaire), de "l’Essentiel Prépas" (webzine mensuel) et de "Espace Prépas". Ancien directeur de la rédaction de l’Etudiant, ancien rédacteur en chef du Monde Etudiant, Olivier Rollot est également l'un des experts français de la Génération Y à laquelle il a consacré un livre : "La Génération Y" (PUF, 2012).

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