La montée en puissance des marques dans l’enseignement supérieur ces dernières années s’est accompagnée d’une multiplication des programmes soutenus par ces mêmes marques. Mais jusqu’où faut-il aller ? Comment prendre garde à ne pas dénaturer sa marque ?
Des marques à tout faire
Longtemps l’Essec a préféré appeler son BBA l’Epsci pour garder l’appellation Essec à ses programmes grande école et masters. En choisissant de devenir le BBA Essec en 2012, elle a entraîné un mouvement de fond dans des business schools qui ont suivi le pas, l’Espeme devenant BBA Edhec en 2014, l’Ecole atlantique de commerce Audencia BBA en 2016, etc. Aujourd’hui l’Ecole polytechnique n’a aucune crainte à délivrer un bachelor sous son nom quand cela aurait été inenvisageable il y a encore quelques années. « La tendance est de vouloir tout faire, un peu comme Amazon qui vendait des livres et aujourd’hui vend des lave-vaisselles ou des chaussettes. On le voit aujourd’hui avec Sciences Po, qui lance son « Ecole du management et de l’innovation » », commente Jean-Pierre Helfer, ancien directeur de l’IAE de Paris et d’Audencia BS et aujourd’hui doyen du corps professoral d’EDC Paris.
« Une business school ne peut être pérenne si elle ne se développe pas au-delà de son programme grande école dont les ratios d’excellence académique coûtent très cher. Il faut absolument profiter de ce terreau d’excellence pour développer d’autres formations », lui répond Emeric Peyredieu du Charlat, l’actuel directeur d’Audencia. Cette dernière s’est justement largement développée autour d’un seul programme fort, le programme grande école, du temps du directeur emblématique qu’était Aïssa Dermouche (directeur de 1989 à 2004) avant de se diversifier petit à petit sous la direction de Jean-Pierre Helfer, notamment en formation continue, puis de Frank Vidal. Pour autant son chiffre d’affaires (39 M€) reste encore inférieur à ses grandes rivales dans les classements, Grenoble EM (60 M€) ou Toulouse BS (48 M€), qui ont su plus tôt qu’elle mener à bien une politique de diversification en France mais aussi à l’étranger. Toulouse BS est ainsi significativement présente à Barcelone comme Casablanca.
Gare aux « dérapages » !
Si elle est porteuse pour des programmes moins renommés qui s’appuient sur une marque globale pour se développer, cette stratégie porte en elle des risques de « dérapages » que redoute Jean-Pierre Helfer : « Certaines écoles se développent comme aucune entreprise de grande consommation n’aurait jamais osé le faire. Gérer tous les programmes sous une même marque c’est bien mais il faut que le marché de l’emploi y retrouve ses petits. Sinon les mauvaises écoles d’un groupe chassent les bonnes comme la mauvaise monnaie chasse la bonne ». Un risque que mesure bien Emeric Peyredieu du Charlat qui, s’il veut développer sa marque, insiste aussi sur le maintien de « l’excellence car tout réagit sur la marque Audencia. Si une marque est défaillante, la grande école en pâtit forcément. Nous sommes dans la logique d’une marque de luxe ombrelle qui doit bien prendre garde à conserver son excellence dans tout ce qu’elle développe ».
Une analogie avec le secteur du luxe juste à plus d’un titre : comme un bijou, comme une montre une marque d’enseignement supérieur fait partie des reconnaissances les plus difficiles à obtenir et qu’on conserve longtemps au poignet ou tatouée sur son CV. Etre diplômé de l’ESC Amiens dans les années 80 était aussi remarquable que de porter un costume Pierre Cardin. 30 ans après la première a quasi disparu quand le second est plus connu dans le monde pour ses caleçons que pour sa haute couture. Mais la déception est incomparablement plus forte chez des diplômés, qui ont vu leur école s’abimer dans des querelles internes, des diversifications mal préparées puis l’aventure France business school, que pour ceux qui ont remisé leur robe Cardin dans un placard.